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12fév03


Arrêt de la Cour de cassation de Belgique dans l'affaire Sharon & Yaron


COUR DE CASSATION DE BELGIQUE
Arrêt
N° P.02.1139.F
  1. H. S. A.,
  2. A. A. e. N.
  3. E. S. O. H.
  4. Y. M.
  5. E. D. F. A.
  6. M. A H.
  7. S. S. M.
  8. N. N. Y. S.
  9. H. M. A.
  10. T. C. A.-e.-G.
  11. H. A. A.
  12. Z. B.
  13. F. M. I
  14. R. M. C. A.
  15. E. S F. A. Q.
  16. A.-M. A. A.
  17. H. A.
  18. E.-K. N. A.
  19. A.-K N. A.-e.-R.
  20. F. A. S.
  21. E.-K. A. A.
  22. A.-J. N. A.-R.
  23. H. K.

parties civiles,
ayant pour conseils Maîtres Luc Walleyn, dont le cabinet est établi à Schaerbeek, rue des Palais, 154, chez qui il est fait élection de domicile, et Michaël Verhaeghe, avocats au barreau de Bruxelles, ainsi que Chibli Mallat, avocat à Beyrouth (Liban), demandeurs en cassation,

contre

  1. S. A.
  2. Y. A.

personnes à l'égard desquelles l'action publique est engagée,
représentés par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation et ayant pour conseil Maître Adrien Masset, avocat au barreau de Verviers, dont le cabinet est établi à Herve, rue Bê Pâki, 16, chez qui il est fait élection de domicile,

II. S. E.-M. S.

partie civile,
demanderesse en cassation, ayant pour conseils Maîtres Alexandre Sachem et Mchaël Verstraeten, avocats au barreau de Gand,

contre

  1. 1. S. A.
  2. 2. Y. A.

personnes à l'égard desquelles l'action publique est engagée,
représentés par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation et ayant pour conseil Maître Adrien Masset, avocat au barreau de Verviers, dont le cabinet est établi à Herve, rue Bê Pâki, 16, chez qui il est fait élection de domicile.

I. La décision attaquée

Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 26 juin 2002 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.

II. La procédure devant la Cour

Le conseiller Jean de Codt a fait rapport. Le procureur général Jean du Jardin a conclu.

Les avocats Luc Walleyn, Michaël Verhaeghe, Chibli Mallat et Raf Verstraeten ont déposé au nom des demandeurs sub I une note en réponse aux conclusions du ministère public ainsi qu'une pièce.

III. Les moyens de cassation

Les demandeurs sub I présentent trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.

La demanderesse sub II invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.

IV. La décision de la Cour

A. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision relative à l'action publique exercée à charge du défendeur A Y. et d'inconnus :

Sur le premier moyen et sur la troisième branche du deuxième moyen invoqués par les demandeurs sub I et sur le moyen similaire invoqué par la demanderesse sub II :

Attendu que la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, modifiée par celle du 10 février 1999, qualifie de crimes de droit international et sanctionne comme tels les actes de génocide définis par référence à la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à Paris le 9 décembre 1948 et approuvée par la loi du 26 juin 1951, les crimes contre l'humanité définis par référence au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, fait à Rome le 17 juillet 1998 et approuvé par la loi du 25 mai 2000, et les crimes de guerre définis par référence aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, approuvées par la loi du 3 septembre 1952, ainsi qu'aux protocoles I et II additionnels à ces conventions, adoptés à Genève le 8 juin 1977 et approuvés par la loi du 16 avril 1986 ;

Attendu que l'article 7, alinéa 1er, de ladite loi du 16 juin 1993 porte que les juridictions belges sont compétentes pour connaître de ces crimes, indépendamment du lieu où ils auront été commis ;

Attendu que l'arrêt attaqué décide que la condition de recevabilité de l'action publique visée à l'article 12 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale s'applique à la poursuite en Belgique des crimes de droit international commis en dehors du territoire ;

Mais attendu que l'article 12, alinéa 1er, précité, n'exige la présence de l'inculpé sur le territoire belge que pour les infractions dont il s'agit aux articles 6, 3°, 7, §§ 1er et 2, 9, 10, 3° à 5°, 10 ter, 10 quater, 11 et 12bis de la loi du 17 avril 1878 ;

Attendu que les actes de génocide, les crimes contre l'humanité et les infractions graves commises contre les personnes ou les biens protégés par les Conventions de Genève du 12 août 1949 ne s'identifient ni aux infractions qui, prévues par le Code pénal ou par certaines lois particulières, sont énumérées par les dispositions précitées du chapitre II du titre préliminaire du Code de procédure pénale, ni aux infractions pour la poursuite desquelles ce chapitre requiert que le fait soit également puni par la législation du pays où il a été commis, ni aux crimes et délits pour lesquels la loi subordonne la recevabilité de l'action publique à l'existence d'une plainte, d'une dénonciation ou d'une condition de nationalité ;

Attendu que, certes, en vertu de l'article 12bis de la loi du 17 avril 1878, modifié par la loi du 18 juillet 2001, disposition qui doit être lue en combinaison avec celle qui la précède, les juridictions belges sont également compétentes pour connaître des infractions commises hors du territoire du Royaume et visées par une convention internationale liant la Belgique, lorsque cette convention lui impose, de quelque manière que ce soit, de soumettre l'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice des poursuites ;

Attendu qu'il suit du texte même de l'article 12bis précité que la compétence ainsi conférée aux juridictions belges concerne les infractions prévues dans tout traité ratifié par la Belgique et contenant une règle obligatoire d'extension de compétence dérogeant à la territorialité du droit pénal;

Attendu que ni les articles V et VI de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, ni le Statut de Rome, ni les articles 4950-129-146 des quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, ne comportent une telle règle ;

Qu'étrangers au contenu du chapitre II du titre préliminaire du Code de procédure pénale, les crimes de droit international visés par la loi du 16 juin 1993, modifiée par celle du10 février 1999, ne constituent pas des infractions pour la poursuite desquelles la loi requiert, lorsqu'elles ont été commises en dehors du territoire, que l'inculpé ait été trouvé en Belgique ;

Que, décidant le contraire, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié ;

Qu'à cet égard, le premier moyen et la troisième branche du deuxième moyen invoqués par les demandeurs sub I et le moyen similaire invoqué par la demanderesse sub II sont fondés ;

B. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision relative à l'action publique exercée à charge du défendeur A. S. :

Sur l'ensemble des moyens invoqués par chacun des demandeurs :

Attendu que, pour les raisons indiquées ci-dessus, la chambre des mises en accusation n'a pas légalement justifié sa décision ;

Attendu que, toutefois, la Cour peut substituer au motif critiqué par les différents moyens, et sur lequel la décision attaquée prend appui, un fondement juridique justifiant le dispositif ;

Attendu qu'il ressort des constatations de l'arrêt que les demandeurs se sont constitués parties civiles notamment contre le défendeur du chef de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, alors qu'au moment où ils ont entendu mettre ainsi l'action publique en mouvement, le défendeur avait la qualité de premier ministre d'un Etat étranger, fonction qui était toujours la sienne au moment où l'arrêt attaqué fut rendu ;

Attendu que la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'Etat et de gouvernement en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux Etats concernés, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un Etat étranger ;

Attendu que, certes, l'article IV de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dispose que les personnes ayant commis un des actes qu'elle incrimine seront punies sans avoir égard à leur qualité officielle ;

Que, toutefois, l'article VI de la même convention ne prévoit la poursuite de ces personnes que devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis ou devant la Cour criminelle internationale ;

Qu'il ressort de la combinaison de ces deux dispositions que l'immunité de juridiction est exclue en cas de poursuite devant les juridictions identifiées à l'article VI précité mais ne l'est pas lorsque la personne accusée est traduite devant les tribunaux d'un Etat tiers s'attribuant une compétence que le droit international conventionnel ne prévoit pas ;

Attendu que, par ailleurs, l'article 27.2 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale dispose que les immunités qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas ladite Cour d'exercer sa compétence à l'égard
de cette personne ;

Que cette disposition ne porte dès lors pas davantage atteinte au principe de droit pénal coutumier international relatif à l'immunité de juridiction lorsque la personne protégée est poursuivie, comme en l'espèce, devant les juridictions nationales d'un Etat s'attribuant une compétence universelle par défaut ;

Attendu qu'enfin, les Conventions de Genève du 12 août 1949 ainsi que les Protocoles I et II additionnels à ces conventions ne contiennent aucune disposition faisant obstacle à l'immunité de juridiction dont le défendeur peut se prévaloir devant les juridictions belges ;

Attendu que, sans doute, aux termes de l'article 5, § 3, de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, l'immunité attachée à la qualité officielle d'une personne n'empêche pas l'application de ladite loi ;

Attendu que, toutefois, cette règle de droit interne contreviendrait au principe de droit pénal coutumier international précité si elle était interprétée comme ayant pour objet d'écarter l'immunité que ce principe consacre ; que ladite règle ne peut donc avoir cet objet mais doit être comprise comme excluant seulement que la qualité officielle d'une personne puisse entraîner son irresponsabilité pénale à raison des crimes de droit international énumérés par la loi ;

Attendu que l'arrêt décide que les poursuites ne sont pas recevables ;

Que, pour le motif substitué par la Cour à celui que les demandeurs critiquent, l'action publique est en effet irrecevable en tant qu'elle est exercée à charge du défendeur du chef d'actes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre ;

Que partant, même fondés, les moyens ne pourraient entraîner la cassation et sont dès lors irrecevables à défaut d'intérêt ;

PAR CES MOTIFS,
LA COUR

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il dit irrecevable l'action publique exercée à charge d'A. Y. et d'inconnus ;

Rejette les pourvois pour le surplus ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;

Condamne le défendeur A. Y. à la moitié des frais des pourvois ;

Condamne chacun des demandeurs à un quarante-huitième desdits frais ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, autrement composée.

Lesdits frais taxés en totalité à a somme de sept cent vingt-neuf euros quatre-vingt-trois centimes dont I) sur le pourvoi de S. A. H. et consorts : cent nonante euros soixante-quatre centimes dus et deux cent trente-deux euros cinquante-trois centimes payés par ces demandeurs et II) sur e pourvoi de S. S. E.-M. : cent quatre-vingt-sept euros cinquante et un centimes dus et cent dix-neuf euros quinze centimes payés par cette demanderesse.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Marc Lahousse, président de section, Francis Fischer, Jean de Codt, Frédéric Close et Paul Mathieu, conseillers, et prononcé en audience publique du douze février deux mille trois par Marc Lahousse, président de section, en présence de Jean du Jardin, procureur général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier adjoint principal.


[Source: Arrêt N° P.02.1139.F, Cour de cassation de Belgique, Bruxelles, 12 février 2003]

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