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2010

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Observations de la Belgique sur la portée et l'application du principe de compétence universelle


1. La Belgique a l'honneur de communiquer ci-après, en application du paragraphe 1 de la résolution 64/117 de l'Assemblée générale, ses observations sur le principe de la compétence universelle (2 - 7) et son application en droit international (8 - 12) ainsi que des informations sur ses règles de droit interne (13 - 17) et la pratique de ses juridictions (18 - 19).

2. La compétence universelle en matière pénale est l'aptitude d'un Etat à poursuivre l'auteur d'un crime commis à l'étranger, par un étranger contre un étranger, sans que ce fait ne menace directement les intérêts vitaux de l'Etat poursuivant. Cette compétence ne découle donc pas des éléments de rattachement classiques à l'Etat que sont le lieu du crime, la nationalité de l'auteur ou celle de la victime.

3. Les autorités judiciaires de l'Etat sur le territoire duquel un crime a été commis sont en général les premières compétentes pour rechercher et juger les auteurs de ce crime.

4. Cependant, certains crimes concernent l'ensemble de la communauté internationale en raison de leur gravité exceptionnelle. Universellement réprouvés, ces crimes ne peuvent rester impunis et doivent donc être universellement réprimés. Tout Etat qui exerce sa compétence à l'égard de ces crimes agit dans l'intérêt de la communauté internationale, non pas uniquement dans son intérêt propre.

5. C'est pourquoi tous les Etats doivent établir leur compétence à l'égard de ces crimes pour être en mesure d'en traduire les auteurs en justice. Ainsi, la raison d'être de la compétence universelle est d'assurer que les auteurs des crimes les plus graves puissent être poursuivis quand aucune autre juridiction normalement compétente ne peut ou ne veut engager de poursuites. La compétence universelle est en quelque sorte subsidiaire de celle de l'Etat sur le territoire duquel un crime a été commis. Elle s'inscrit dans le cadre de la coopération entre les Etats, élément indispensable pour la lutte contre l'impunité des crimes les plus graves.

6. La Belgique souligne l'importance de distinguer la compétence universelle, exercée par un Etat dans l'intérêt de la communauté internationale, des autres types de compétence extraterritoriale, comme celles découlant du principe de protection ou de la nationalité de l'auteur ou de celle de la victime. La Belgique estime que l'idée de subsidiarité évoquée au paragraphe précédent n'est pas le fondement des compétences extraterritoriales classiques, qui seront étudiées par ailleurs. La Commission du droit international a, en effet, inscrit à son programme de travail à long terme l'examen de la compétence extraterritoriale.

7. La Belgique n'abordera pas ici les questions liées à l'immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l'Etat qui font actuellement l'objet des travaux de la Commission du droit international.

8. Loin d'interdire aux Etats d'exercer la compétence universelle, le droit international impose l'exercice de cette compétence à l'égard de certains crimes.

9. La multiplication des traités multilatéraux incluant une clause aut dedere aut judicare indique clairement l'existence d'un consensus au sein de la communauté internationale pour que les auteurs des crimes visés par ces traités ne restent pas impunis, où qu'ils se trouvent. L'obligation alternative d'extrader ou de poursuivre oblige les Etats à établir leur compétence à l'égard des personnes suspectées de crimes internationaux qui se trouveraient sur leur territoire, quelle que soit leur nationalité, la nationalité des victimes ou le lieu de perpétration du crime. Les Etats parties à un traité comprenant une obligation aut dedere aut judicare doivent donc inscrire la compétence universelle dans leur législation sans préjudice de la possibilité pour les cours et tribunaux des Etats monistes de l'exercer en se fondant directement sur le droit international. Toutefois, selon la plupart des traités, l'obligation d'exercer la compétence universelle est subordonnée au refus préalable de l'Etat d'extrader le suspect vers un Etat qui en aurait fait la demande |1|.

10. Certains traités obligent parfois les Etats parties à établir leur compétence, même universelle, et à poursuivre les auteurs des crimes visés par ces traités qu'ils aient, ou non, fait l'objet d'une demande d'extradition par un autre Etat. Les Etats restent cependant libres d'extrader les suspects s'ils ne souhaitent pas les poursuivre. Cette obligation de type judicare vel dedere se retrouve notamment dans les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 |2|, dans la Convention contre la torture du 10 décembre 1984 |3| ou encore dans la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 20 décembre 2006 |4|.

11. La Belgique est d'avis qu'il existe également des obligations de nature coutumière imposant aux Etats d'adopter dans leur droit interne des règles de compétence universelle pour juger les personnes suspectées de crimes d'une gravité telle qu'ils portent atteinte à la communauté internationale dans son ensemble, tels les crimes graves de droit international humanitaire. Cette obligation coutumière de poursuivre les auteurs des crimes graves de droit international humanitaire n'existe, de l'avis de la Belgique, que lorsque ceux-ci sont présents sur son territoire. Les paragraphes préambulaires 4, 6 et 10, combinés aux articles 1er et 5 du Statut de Rome sont - par exemple - une preuve de l'existence de cette obligation coutumière, notamment en ce qui concerne la répression des crimes contre l'humanité.

12. La Belgique considère enfin que le droit coutumier permet aux Etats non-parties à la Convention contre la torture de 1984 de poursuivre, sur la base de la compétence universelle, les personnes soupçonnées de torture qui seraient présentes sur leur territoire, en raison du caractère de norme impérative de droit international de l'interdiction de la torture. De la même manière, le droit coutumier autorise les Etats à exercer la compétence universelle à l'égard des personnes suspectées de faits de piraterie, d'esclavage ou de traite des êtres humains.

13. La Belgique a été une des pionnières dans l'établissement de la compétence universelle en matière de crimes graves de droit international humanitaire. La loi du 16 juin 1993 qui transposait en droit belge le système de répression instauré par les quatre Conventions de Genève de 1949 et leurs deux protocoles de 1977 sur la protection des victimes de la guerre, a été étendue au crime de génocide et aux crimes contre l'humanité par la loi du 10 février 1999. Ainsi, les victimes de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crimes de génocide, pouvaient porter plainte devant les tribunaux belges, et ce, quels que fussent le lieu du crime, la nationalité de l'auteur ou celle de la victime. Les juridictions belges se voyaient par cette loi reconnaître une compétence universelle absolue pour réprimer les crimes les plus graves touchant la communauté internationale.

14. L'application de cette loi à portée très large a cependant posé un certain nombre de problèmes dans la pratique, découlant de l'application conjointe de plusieurs dispositions : la possibilité d'engager des poursuites in absentia, de mettre l'action publique en mouvement par constitution de partie civile auprès d'un juge d'instruction, et l'exclusion des immunités comme obstacle aux poursuites. Comme mentionné dans l'exposé présentant au parlement le texte de la loi du 5 août 2003 abrogeant la loi du 16 juin 1993, ce large champ d'application a entraîné une instrumentalisation politique de la loi qui a été jugée abusive. En outre, l'entrée en vigueur du Statut de Rome nécessitait la réduction du champ de compétence extraterritoriale des juridictions belges afin que celles-ci n'entrent pas systématiquement en concurrence potentielle avec la Cour pénale internationale, en application du principe de complémentarité.

15. La loi du 5 août 2003 relative aux violations graves de droit international humanitaire conserve intact le droit matériel des lois de 1993 et 1999 en insérant dans le code pénal un nouveau titre Ibis : « Des violations graves du droit international humanitaire ». De plus, les règles de compétences des juridictions belges restent larges, grâce à une adaptation du droit commun de la compétence extraterritoriale aux réalités de la criminalité internationale moderne. En revanche, la loi de 2003 modifie le mode de saisine des juridictions belges en prévoyant que les poursuites, en ce compris l'instruction, ne peuvent être engagées qu'à la requête du procureur fédéral qui apprécie les plaintes éventuelles. Le mode de saisine par constitution de partie civile est donc abandonné, à l'exception de l'hypothèse où l'infraction est perpétrée en tout ou en partie en Belgique ou lorsque l'auteur présumé de l'infraction est belge ou réside à titre principal en Belgique. En outre, afin de tenir compte de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice |5|, la loi de 2003 a inscrit dans le titre préliminaire du code de procédure pénale le principe du respect des règles de droit international conventionnel et coutumier en matière d'immunités de juridiction et d'exécution. |6|

16. Outre les compétences extraterritoriales basées sur les principes de protection et de nationalité de l'auteur ou de la victime, la loi de 2003 n'a pas affecté la compétence universelle lorsqu'elle était déjà prévue en droit interne pour une série d'infractions ou lorsque le droit international conventionnel ou coutumier l'impose :

    a) les infractions sexuelles perpétrées contre des mineurs, faits de proxénétisme, traite des êtres humains |7| ;

    b) les mutilations sexuelles des personnes de sexe féminin |8| ;

    c) le non-respect de certaines règles applicables aux activités des entreprises de courtage matrimonial |9| ;

    d) les faits de corruption |10| ;

    e) les faits de terrorisme |11| ;

    f) toute infraction pour laquelle le droit international conventionnel ou coutumier exige qu'elle soit réprimée quel que soit le pays où elle a été commise et quelle que soit la nationalité de son(ses) auteur(s) |12|.

17. Comme évoqué plus haut, la saisine d'un juge d'instruction par constitution de partie civile n'est plus possible à l'exception de l'hypothèse où l'infraction est perpétrée en tout ou en partie en Belgique ou lorsque l'auteur présumé de l'infraction est belge ou réside à titre principal en Belgique. Lorsqu'il est saisi d'une plainte, le procureur fédéral requiert le juge d'instruction d'instruire celle-ci. Cela étant, la loi prévoit plusieurs motifs qui peuvent justifier une décision de non exercice des poursuites ou une décision d'irrecevabilité prise soit, sur réquisitions du procureur fédéral, par la chambre des mises en accusation (a, b et c), soit directement par le procureur fédéral (d) |13|. Il en est ainsi lorsqu'on se trouve dans l'un des cas suivants :

    a) la plainte est manifestement non fondée ;

    b) les faits relevés dans la plainte ne correspondent pas à une qualification des infractions visées au Livre II, titre Ibis, du Code pénal relatif aux violations graves du droit international humanitaire ;

    c) une action publique recevable ne peut résulter de cette plainte ;

    d) des circonstances concrètes de l'affaire, il ressort que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et dans le respect des obligations internationales de la Belgique, cette affaire devrait être portée soit devant les juridictions internationales, soit devant la juridiction du lieu où les faits ont été commis, soit devant la juridiction de l'Etat dont l'auteur est ressortissant ou celle du lieu où il peut être trouvé, et pour autant que cette juridiction présente les qualités d'indépendance, d'impartialité et d'équité, tel que cela peut notamment ressortir des engagements internationaux relevants liant la Belgique et cet Etat.

Si la décision de non exercice des poursuites ou la décision d'irrecevabilité intervient sur base d'un des deux derniers motifs énumérés ci-dessus (c ou d), la décision est notifiée au ministre de la Justice, qui en informe la Cour pénale internationale si les faits visés ont été commis après le 30 juin 2002, début de la compétence temporelle de cette juridiction. Enfin, le titre préliminaire du code de procédure pénale contient une disposition rappelant que le principe ne bis in idem reste d'application dans le cadre des poursuites engagées sur la base de la compétence universelle : sauf en ce qui concerne les crimes et délits commis en temps de guerre, les juridictions belges ne seront pas compétentes lorsque l'inculpé, jugé en pays étranger du chef de la même infraction aura été acquitté ou lorsqu'après avoir été condamné il aura subi ou prescrit sa peine ou aura été gracié ou amnistié. |14|

18. A ce jour, quatre procès relatifs à des faits commis pendant le génocide de 1994 au Rwanda ont été organisés devant la Cour d'assises de Bruxelles, en 2001, 2005, 2007 et 2009. Ces dossiers ont été ouverts en tout ou en partie sur la base de la compétence universelle des juridictions belges et leur instruction a pu être menée à bien grâce à la très bonne coopération entre les autorités judiciaires belges et rwandaises.

19. En outre, plusieurs dizaines de dossiers qui concernent des faits de violations graves du droit international humanitaire sont encore à l'information ou à l'instruction et pourraient, dans les années qui viennent, déboucher sur de nouveaux procès. Toutefois, seulement certains d'entre eux se fondent sur la compétence universelle des juridictions belges, la personne suspectée étant présente sur le territoire belge.

20. En guise de conclusion, la Belgique propose l'une ou l'autre piste à explorer lors des travaux futurs de la Sixième Commission sur la compétence universelle :

    - Ces dernières années, cette question a été examinée de manière approfondie par de nombreux spécialistes du droit international public et du droit pénal international. En 2000, l'International Law Association réunie à Londres a adopté une résolution |15| accueillant les conclusions de ses groupes de travail à propos de « l'exercice de la compétence universelle concernant les violations graves des droits de l'homme » |16|. En 2005, l'Institut du droit international a quant à lui adopté lors de sa session de Cracovie une résolution sur « la compétence universelle en matière pénale à l'égard du crime de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerres » |17|. Enfin, c'est en 2009 que l'Association internationale de droit pénal a adopté à Istanbul, lors de son XVIIIème congrès, une « résolution sur la compétence universelle » |18|. Ces textes, qui sont l'aboutissement d'une réflexion menée pendant plusieurs années par des experts juridiques venant d'horizons très différents, pourraient constituer une base utile pour les travaux de la Sixième Commission.

    - Lors des débats d'octobre 2009 en Sixième Commission, de nombreux intervenants ont évoqué le caractère subsidiaire de la compétence universelle. Il pourrait être intéressant d'examiner ceci plus avant, notamment en comparant la subsidiarité au principe de complémentarité qui fonde l'intervention de la Cour pénale internationale.


Notes:

1. Voir l'annexe du document préparé par le Secrétariat pour la 62ème session de la Commission du droit international : « Survey of multilateral conventions which may be of relevance for the Commission's work on the topic 'The obligation to extradite or prosecute (aut dedere aut judicare)' » ; http://untreaty.un.org/ilc/documentation/english/a_cn4_630.pdf [Retour]

2. Article 49/50/129/146 commun aux quatre conventions [Retour]

3. Article 5(2) tel qu'interprété par le Comité contre la torture dans sa décision au titre de l'article 22 de la Convention, prise le 17 mai 2006 dans le cadre de la communication 181/2001 : « l'obligation de poursuivre l'auteur présumé d'actes de torture ne dépend pas de l'existence préalable d'une demande d'extradition à son encontre. » ; CAT/C/36/D/181/2001, § 9.7 [Retour]

4. Article 9(2) [Retour]

5. Arrêt du 14 février 2002 rendu dans l'affaire relative au « mandat d'arrêt du 11 avril 2000 » [Retour]

6. Loi du 18 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale, article 1bis [Retour]

7. Titre préliminaire du Code de procédure pénale, art. 10ter, 1, renvoyant aux articles 379 à 381 et 381bis, par. 1 et 3 du Code pénal [Retour]

8. Titre préliminaire du Code de procédure pénale, art. l0ter, 2, renvoyant à l'article 409 du Code pénal [Retour]

9. Titre préliminaire du Code de procédure pénale, art. l0ter, 3, renvoyant aux articles 10 et 13 de la loi du 9 mars 1993 [Retour]

10. Titre préliminaire du Code de procédure pénale, art. l0quater, 1, renvoyant aux articles 246 à 249 du Code pénal [Retour]

11. Titre préliminaire du Code de procédure pénale, art. 10, 6 [Retour]

12. Titre préliminaire du Code de procédure pénale, art. 12bis [Retour]

13. Titre préliminaire du Code de procédure pénale, art. 10, 1bis et art. 12bis [Retour]

14. Titre préliminaire du Code de procédure pénale, art. 13 [Retour]

15. http://www.ila-hq.org/download.cfm/docid/4084F742-03C7-49A3-90A1C4934E109B46 [Retour]

16. http://www.ila-hq.org/download.cfm/docid/43F56C67-C59D-496E-A7C9FF418D88FCF4 [Retour]

17. http://www.idi-iil.org/idiE/resolutionsE/2005_kra_03_en.pdf [Retour]

18. http://www.penal.org/IMG/ReAIDP%20Istanbul%20FR.pdf, pages 13 à 15 [Retour]


[Source: The scope and application of the principle of universal jurisdiction (Agenda item 86), General Assembly of the United Nations, Sixth Committee (Legal), sixty-fifth session (4 October to 11 November 2010)]

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This document has been published on 18Sep15 by the Equipo Nizkor and Derechos Human Rights. In accordance with Title 17 U.S.C. Section 107, this material is distributed without profit to those who have expressed a prior interest in receiving the included information for research and educational purposes.