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06jan98


Arrêt de la Cour de cassation confirmant la condamnation de Wenceslas Munyeshyaka pour crimes contre l’humanité


Références

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du 6 janvier 1998
N° de pourvoi: 96-82491
Publié au bulletin

Irrecevabilité, rejet et cassation
Président : M. Milleville, conseiller doyen faisant fonction., président
Rapporteur : Mme Batut., conseiller apporteur
Avocat général : M. de Gouttes., avocat général
Avocats : la SCP Monod, la SCP Waquet, Farge et Hazan, la SCP Piwnica et Molinié., avocat(s)


Texte intégrale

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

IRRECEVABILITE, REJET et CASSATION sur les pourvois formés par : 

- le procureur général près la cour d'appel de Nîmes, MM. Y..., Z..., A..., B..., C..., D..., E..., F..., G..., H..., I..., J..., K..., L..., parties civiles,  

contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes, en date du 20 mars 1996, qui, dans l'information ouverte contre X... pour génocide et crimes contre l'humanité, a déclaré le juge d'instruction incompétent ; 

Et sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Nîmes, contre l'arrêt de la chambre d'accusation précitée, en date du 1er avril 1996, qui, dans la même procédure, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction, en ce qu'elle a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des époux D... et de C... 

LA COUR, 
Joignant les pourvois en raison de la connexité ; 

Attendu qu'il résulte des arrêts attaqués et des pièces de la procédure que, les 21 juin et 12 juillet 1995, plusieurs personnes, dont certaines de nationalité Rwandaise, ont dénoncé aux autorités judiciaires françaises les faits commis au Rwanda à leur encontre, ou contre des membres de leur famille, auxquels aurait participé X..., Rwandais résidant depuis le mois de septembre 1994 dans une commune de l'Ardèche, où il exerce ses fonctions de vicaire ; 

Que, selon les plaignants, X... aurait, courant avril et mai 1994 notamment, alors qu'il exerçait son activité à Kigali, collaboré à l'extermination de l'ethnie tutsie, entreprise par des miliciens hutus et certains éléments des forces militaires rwandaises ; 

Qu'ainsi armé et vêtu d'un gilet pare-balles, il aurait participé à la sélection des réfugiés tutsis destinés aux massacres, les aurait laissés mourir de faim et de soif, aurait livré aux autorités en place les personnes qui tentaient de leur porter secours et commis des viols sur plusieurs femmes en échange de leur vie sauve ; 

Attendu que, par réquisitoire du 25 juillet 1995, une information a été ouverte au cabinet du juge d'instruction de Privas contre X..., pour génocide, crimes contre l'humanité et participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de ces crimes, sur le fondement des articles 211-1, 212-1 et 212-3 du code pénal, 689, 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale et de l'article 1er de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; que quinze personnes se sont constituées parties civiles ; 

Attendu que, par ordonnance du 9 janvier 1996, le juge d'instruction a décliné sa compétence pour instruire sur le fondement des articles 211-1 et suivants du Code pénal, de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, des quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et de la Convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977 ; 

Qu'en revanche, le magistrat s'est déclaré compétent pour connaître des faits sur le fondement de l'article 1er de la Convention susvisée du 10 décembre 1984 ; 

Que, par décision distincte du même jour, il a déclaré irrecevables certaines constitutions de partie civile, comme ne répondant pas aux prescriptions de l'article 2 du Code de procédure pénale ; 

En cet état : 

I. Sur la recevabilité, contestée par la personne mise en examen, des pourvois formés par certaines parties civiles contre l'arrêt du 20 mars 1996 : 

Attendu que le juge d'instruction a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des époux M..., de Z..., des époux A..., de C... et des époux B... ; 

Que, seules les trois dernières parties civiles précitées ont interjeté appel de cette ordonnance, laquelle a acquis force de chose jugée à l'égard des cinq autres, dont les pourvois contre l'arrêt prononçant sur la compétence sont, dès lors, irrecevables ; 

II. Sur les pourvois formés contre l'arrêt du 20 mars 1996 par J..., H... et K... : 

Attendu qu'aucun moyen n'est produit par ces demandeurs ; 

III. Sur les autres pourvois : 

Vu les mémoires produits en demande et en défense ; 

Sur le moyen unique de cassation proposé par le mémoire du procureur général, pris de la violation des articles 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 211-1, 212-1 et 212-3 du Code pénal ; 

Sur le moyen unique de cassation proposé par le mémoire ampliatif, pris de la violation de la Convention de New York du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide approuvée par l'Assemblée des Nations Unies le 9 décembre 1948, des articles 211-1 et 212-1 du nouveau code pénal, 591, 593, 689, 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale : 

" en ce que l'arrêt attaqué a dit que les fait imputés à X... constituaient, à les supposer établis, les crimes de génocide et de complicité de génocide, et que le juge d'instruction de P... était incompétent pour en connaître ; 

" aux motifs que "l'ensemble des actes imputés au mis en examen constitue le crime de génocide et de complicité de génocide", définis à la fois par l'article 211-1 du Code pénal et par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide approuvée par l'Assemblée des Nations Unies le 9 décembre 1948 ; qu'en droit pénal interne le crime de génocide, défini par l'article 211-1 du Code pénal, n'est caractérisé que si les faits criminels ont été commis en exécution d'un plan concerté, condition qui ne se trouve pas pour les actes de torture, visés de façon beaucoup plus générique à l'article 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984 ; que la compétence du juge d'instruction doit s'apprécier uniquement au regard de la plus haute acceptation pénale, la plus spécifique, celle de génocide, infraction distincte des tortures et actes de barbarie prévue par la Convention de New York du 10 décembre 1984 et punie par les articles 222 du Code pénal ; que la Convention du 9 décembre 1948 sur le génocide ne prévoit aucune règle de compétence universelle, qu'elle donne compétence aux tribunaux de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis ou à une Cour criminelle internationale ; qu'un projet de loi a été déposé devant le Sénat le 14 décembre 1995 pour donner compétence à la justice française en cas d'arrestation en France d'un Rwandais accusé de génocide ; qu'en l'état actuel de notre législation cette compétence ne peut pas être retenue ; que, conformément aux dispositions des articles 689 et suivants du Code de procédure pénale, la présence du mis en examen dans le département de l'Ardèche n'entraîne pas la compétence du juge d'instruction de Privas pour connaître de crimes commis à l'étranger, par un étranger sur des étrangers ; 

" alors que la qualification des faits n'étant définitivement établie que par les juridictions de jugement, saisies in rem, la règle selon laquelle les faits sont punis sous la plus haute expression pénale ne peut, au stade de l'instruction, déterminer la compétence des juridictions françaises ; qu'il suffit que les faits puissent être appréhendés sous une qualification conférant compétence aux juridictions françaises pour que celles-ci puissent instruire, même si les faits peuvent également être appréhendés sous une qualification plus grave ou plus spécifique ; que la juridiction française est compétente pour connaître d'une infraction commise à l'étranger par un étranger, dès lors qu'elle recouvre les mêmes faits que ceux qui, sous une autre qualification, ressortissent de sa compétence ; qu'en décidant que le juge d'instruction de Privas était incompétent pour connaître des faits imputés à X..., à savoir à la fois les crimes de génocide et de complicité de génocide et les actes visés à l'article 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ; 

Les moyens étant réunis ; 

Vu lesdits articles, ensemble les articles 112-2, 1er du Code pénal, 1 et 2 de la loi n° 96-432 du 22 mai 1996, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du conseil de sécurité des Nations Unies, instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire, commis en 1994 sur le territoire du U... ; 

Attendu que, selon les articles 1er et 2 de la loi du 22 mai 1996 précitée, les auteurs ou complices des actes qui constituent, au sens des articles 2 à 4 du statut du tribunal international, des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, des violations des lois ou coutumes de guerre, un génocide ou des crimes contre l'humanité, peuvent, s'ils sont trouvés en France, être poursuivis et jugés par les juridictions françaises, en application de la loi française ; 

Attendu qu'il résulte de l'article 689-2 du code de procédure pénale que les juridictions françaises sont compétentes, dans les conditions prévues par l'article 689-1 du même code, pour juger les personnes qui se seraient rendues coupables, à l'étranger, de tortures, au sens de l'article 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984, dès lors que les faits délictueux sont susceptibles de revêtir, selon la loi française, une qualification entrant dans les prévisions de cet article ; 

Attendu que, pour déclarer le juge d'instruction incompétent, la chambre d'accusation, après avoir décidé que les faits poursuivis doivent être envisagés sous leur plus haute acception pénale, retient qu'ils constituent les crimes de génocide et de complicité de génocide, prévus par l'article 211-1 du code pénal, et que les éléments constitutifs de ces crimes ne sont pas compris dans la définition des actes de torture visés à l'article 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984 ; 

Mais attendu qu'en affirmant que seule la qualification de génocide était applicable en l'espèce, la chambre d'accusation a méconnu l'article 689-2 précité ; 

D'où il suit que la cassation est encourue, tant de ce chef qu'en vertu des dispositions susvisées de la loi du 22 mai 1996, applicable aux procédures en cours ; 

Et attendu que la cassation de l'arrêt du 20 mars 1996 entraîne celle de l'arrêt du 1er avril suivant ayant prononcé, par voie de conséquence de la décision d'incompétence, l'irrecevabilité des constitutions de partie civile de C... et des époux D... ; 

Par ces motifs : 

I. Sur les pourvois de M..., Y... Z... A... et B... contre l'arrêt du 20 mars 1996 : 

Les déclare irrecevables ; 

II. Sur les pourvois de J..., K..., et H... contre le même arrêt : 

Les REJETTE ; 

III. Sur les autres pourvois : 

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions : 1° l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes, en date du 20 mars 1996 ; 2° l'arrêt de la même chambre d'accusation, en date du 1er avril 1996, 

Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, 

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris. 


Analyse

Publication : Bulletin criminel 1998 N° 2 p. 3
Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes (chambre d'accusation) , du 20 mars 1996
Titrages et résumés : 1° CRIMES ET DELITS COMMIS A L'ETRANGER - Crimes - Poursuite en France - Crimes contre l'humanité, crimes de guerre, tortures - Faits commis sur le territoire du Rwanda - Présence en France des auteurs ou complices.
1° Selon les articles 1er et 2 de la loi du 22 mai 1996, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda en 1994, les auteurs ou complices des actes qui constituent, au sens des articles 2 à 4 du statut du tribunal international, des infractions graves à l'article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et au protocole additionnel II auxdites Conventions en date du 8 juin 1977, un génocide ou des crimes contre l'humanité, peuvent, s'ils sont trouvés en France, être poursuivis et jugés par les juridictions françaises en application de la loi française. Ces dispositions sont applicables aux procédures en cours, en vertu de l'article 112-2, 1° du Code pénal(1).
2° CRIMES ET DELITS COMMIS A L'ETRANGER - Poursuites en France - Tortures (article 1er de la convention de New York du 10 décembre 1984) - Compétence des juridictions françaises - Conditions.
2° Il résulte de l'article 689-2 du Code de procédure pénale que les juridictions françaises sont compétentes, dans les conditions prévues par l'article 689-1 du même Code, pour juger les personnes qui se seraient rendues coupables, à l'étranger, de tortures, au sens de l'article 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984, dès lors que les faits délictueux sont susceptibles de revêtir, selon la loi française, une qualification entrant dans les prévisions de cet article.

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) A comparer: Chambre criminelle, 1996-03-26, Bulletin criminel 1996, n° 132, p. 379 (rejet).

Textes appliqués :

  • 1° :
  • 1° :
  • 2° :
  • 2° :
  • Code de procédure pénale 689-1, 689-2
  • Code pénal 112-2, 1°
  • Convention de Genève 1949-08-12
  • Convention de New York 1984-12-10
  • Loi 96-432 1996-05-22 instituant un tribunal international, art. 1 à 4

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