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13fév15

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Héritage de Nuremberg et crime d'agression : promesse non tenue ou simplement retardée ?


De Don Ferencz |*|

Cette année marquera le 70e anniversaire de l'instauration du Tribunal militaire international de Nuremberg, dont le jugement a à jamais qualifié la guerre d'agression de "crime international suprême". Là-bas, pour la première fois de l'Histoire, les responsables de "crimes contre la paix", c'est-à-dire "la planification, la préparation, le déclenchement ou la conduite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux", ont été tenus personnellement pour responsables de leurs crimes.

Parmi les interrogations soulevées à Nuremberg, la question s'est posée de savoir s'il était juste de poursuivre des individus pour avoir planifié et mené une guerre d'agression alors que de tels actes n'avaient encore jamais été soumis à une poursuite pénale. Les signataires du pacte Briand-Kellogg de 1928, parmi eux les grandes Puissances de l'époque, s'étaient engagés à renoncer à la guerre comme instrument de politique nationale, mais le pacte ne prévoyait aucune sanction pénale en cas de violation. En revanche, le jugement rendu à Nuremberg établissait clairement qu'à l'avenir, les dirigeants qui prendraient l'initiative de l'usage illégal de la force armée pouvaient s'attendre à devoir répondre de leurs crimes devant un tribunal.

Écrivant au président américan Harry Truman peu après le rendu du jugement en octobre 1946, Robert Jackson, procureur général pour les États-Unis, disait : "Personne ne peut désormais nier ou ignorer que les principes selon lesquels les dirigeants nazis ont été condamnés sont devenus loi, et qu'il s'agit d'une loi qui pénalise [...] Les normes selon lesquelles les Allemands ont été condamnés deviendront la condamnation de toute nation qui ne leur sera pas fidèle [...] Avec l'Accord et ce procès, nous avons résolument mis le droit international du côté de la paix par opposition à la guerre d'agression, et du côté de l'humanité par opposition à la persécution."

Deux semaines plus tard, Truman lui-même, s'adressant à l'Assemblée générale des Nations Unies, martelait : "Je vous rappelle que vingt-trois membres des Nations Unies se sont soumis par la Charte du Tribunal de Nuremberg au principe selon lequel la planification, le déclenchement ou la conduite d'une guerre d'agression est un crime contre l'humanité pour lequel des individus ainsi que des États seront jugés à la barre de la justice internationale." En décembre de la même année, l'Assemblée générale proclamait à l'unanimité les principes de droit international reconnus par la Charte et le jugement de Nuremberg et ordonnait qu'un travail soit entamé afin que ces principes soient formulés dans un code pénal international. Alors que le terrain semblait prêt pour que les principes de Nuremberg deviennent opérationnels, la Guerre froide a retardé le processus pendant plus d'un demi-siècle.

Pendant cette période, la Commission du droit international a élaboré des ébauches de codes, aboutissant en 1998 à l'adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Pourtant, le crime d'agression allait rester dans un flou juridique : la Cour n'aurait qu'une compétence nominale sur ce crime. Il a été décidé à Rome que la compétence de la Cour concernant le crime d'agression ne pourrait pas être exercée à moins qu'une définition et que des mécanismes de déclenchement juridictionnels puissent être développés et adoptés au cours d'une conférence de révision, qui aurait lieu à une date indéterminée.

Lorsque la conférence de révision eut finalement lieu à 2010 à Kampala, en Ouganda, une définition fut adoptée et il fut décidé à l'unanimité d'"activer la compétence de la Cour à l'égard du crime d'agression aussitôt que possible." Mais ce n'était un secret pour personne que les membres permanents du Conseil de sécurité s'opposaient à l'instauration d'une cour possédant une compétence indépendante sur le crime d'agression. C'est la raison pour laquelle les amendements de Kampala contiennent des obstacles intrinsèques, visant spécifiquement à retarder ou même à saborder l'activation de la compétence de la Cour concernant ce crime. Les amendements prévoient que la Cour ne peut exercer sa compétence avant que ceux-ci ne soient ratifiés par au moins trente États Parties et qu'ils ne soient réapprouvés par l'Assemblée des États Parties, et ce pas avant le 1er janvier 2017 au plus tôt. La promesse de Nuremberg, selon laquelle la guerre illégale serait interdite par l'application efficace du droit international, fut mise en veilleuse pour encore au moins sept années par les mêmes nations qui avaient fait de l'agression un crime punissable à Nuremberg.

Parmi les objections soulevées par ceux travaillant à saper l'activation de la compétence de la Cour sur le crime d'agression se trouve l'argument selon lequel elle diminuera la capacité de la Cour à traiter les atrocités. Cependant, comme ce fut souligné à Nuremberg, la guerre illégale est la plus grande atrocité qui existe. Certains disent que la criminalisation des actes d'agression pourrait mettre en danger les tentatives légitimes d'intervention humanitaire, mais ce n'est probablement qu'un leurre. Le principe de défense nécessaire existant dans de nombreux systèmes juridiques pénaux est en réalité intégré dans la définition même du crime d'agression, excluant les actes qui, par leur nature, leur gravité et leur ampleur, ne peuvent être assimilés à des violations "manifestes" de la Charte des Nations Unies.

À la date de cet article, vingt-deux États Parties sur les trente requis ont ratifié les amendements de Kampala sur le crime d'agression, et d'autres ratifications sont attendues d'ici peu. L'héritage de Nuremberg portant sur la criminalisation de l'usage illégal de la force sera-t-il le plus fort ? La question reste en suspens. Je suis moi-même né à Nuremberg, mon père étant l'un des procureurs pour les États-Unis. Je suis peut-être sentimental, mais j'aimerais voir le véritable héritage de Nuremberg se réaliser. Pour ma part, je ne vois aucun problème à accabler les dirigeants qui violent l'interdiction d'utiliser la force armée prévue dans la Charte des Nations Unies et les obliger à justifier de la légalité de leurs actions devant une cour compétente.

|*| De Don Ferencz, Planethood Foundation et chercheur associé au Centre de criminologie de l'Université d'Oxford.

[Source: Donald Ferencz, Blog du Centre de criminologie de l'Université d'Oxford, 13fév15. Traduction vers le français du texte original en anglais effectuée par l'Equipo Nizkor.]

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Crime of Aggression
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