EQUIPO NIZKOR

Documento de la ONU

DERECHOS




Nations Unies
Conseil Economique et Social

Distr.
GENERAL

E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1

2 octobre 1997
FRANCAIS

Original: FRANCAIS


COMMISION DES DROITS DE L'HOMME
Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités.
Quarante-neuvième session
Point 9 de l'ordre du jour.



L' ADMNISTRATION DE LA JUSTICE ET LES
DROITS DE L'HOMME DES DETENUS

Question de l'impunité des auteurs
des violations des droits de l'homme (civile et politiques)

Rapport final révisé établi par M.L. Joinet, en application de la décision 1996/119 de la Sous-Commission.




TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

A. Genèse de la lutte contre l'impunité
B. Historique de l'étude

I. ECONOMIE GENERALE DE L'ENSEMBLE DE PRINCIPES

A. Le droit de savoir

1. Les commissions non judiciarires d'enquête
2. Préservation des archives liées aux violations des droits de l'homme

B. Le droit à la justice
1. Le droit à un recours équitable et efficace
2. Mesures restrictives justifiées para la lutte contre l'impunité

C. Le droit à réparation

D. Garanties de non-renouvellement des violations

II. PROPOSITIONS ET RECOMMANDATIONS

CONCLUSION

POSTFACE

Annexes

I. Présentation synoptique de l'Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité

II. Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme para la lutte contre l'impunité


Introduction.

A. Genèse de la lutte contre l'impunité

1. A sa quarante-troisième session (août 1991), la Sous-Commission a demandé à l'auteur du présent rapport d'entreprendre une étude sur la question de l'impunité des auteurs de violations des droits de l'homme. Au fil des ans, l'étude a permis de constater que l'on peut ramener à quatre les étapes qui ont jalonné l'évolution de la prise de conscience, par la communauté internationale, des impératifs de la lutte contre l'impunité.

Première étape

2. Au cours des années 70, les organisations non gouvernementales, les défenseurs des droits de l'homme et les juristes ainsi que, dans certains pays, l'opposition démocratique -lorsqu'elle peut s'exprimer- se mobilisent en faveur de l'amnistie pour des prisonniers politiques. Cette évolution est caractéristique des pays d'Amérique latine alors soumis à des régimes dictatoriaux. Parmi les pionniers, on citera les Comités pour l'amnistie nés au Brésil, le Secrétariat international de juristes pour l'amnistie en Uruguay (SIJAU) et le Secrétariat pour l'amnistie et la démocratie au Paraguay (SIJADEP). L'amnistie, en tant que symbole de liberté, se révélera être un thème mobilisateur de larges secteurs de l'opinion, ce qui facilitera progressivement l'unification des multiples initiatives de résistance pacifique ou de lutte contre les régimes dictatoriaux de l'époque.

Deuxième étape

3. Ce fut celle des années 80. L'amnistie, symbole de liberté, apparaît de plus en plus comme une sorte de "prime à l'impunité" avec l'émergence, puis la prolifération de lois d'auto-amnistie, autoproclamées par des dictatures militaires en déclin, soucieuses d'organiser leur impunité, pendant qu'il est encore temps. Ces dérives provoquent de vives réactions de la part des victimes qui renforcent leur capacité à s'organiser pour que "passe la justice" ainsi qu'en atteste, en Amérique latine, l'essor pris par le mouvement des Mères de la place de Mai, puis par la Fédération latino-américaine des associations de familles de détenus-disparus (FEDEFAM) dont le rayonnement devait s'étendre par la suite aux autres continents.

Troisième étape

4. Avec la fin de la guerre froide que symbolise la chute du mur de Berlin, s'amorcent, jalonnant cette période, de nombreux processus de démocratisation ou de retour a la démocratie, ou encore des accords de paix venant mettre un terme à des conflits armés internes. Qu'il s'agisse de dialogue national ou de négociations de paix, la question de l'impunité est au centre du débat entre deux parties à la recherche d'un introuvable équilibre entre la logique de l'oubli qui anime l'ancien oppresseur et la logique de justice à laquelle en appelle la victime.

Quatrième étape.

5. Elle marque la prise de conscience par la communauté lnternationale de l'importance que revêt la lutte contre l'impunité. La Cour interaméricaine des droits de l'homme, par exemple, considère par une jurisprudence novatrice que l'amnistie des auteurs de violations graves des droits de l'homme est incompatible avec le droit qu'a toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial et indépendant. La Conférence mondiale des droits de l'homme (juin 1993) est venùe encourager cette évolution dans son document final intitulé "Déclaration et Programme d'action de Vienne" (A/CONF.157/23, par. 9l de la Partie II).

6. Le présent rapport s'inscrit donc dans la mise en oeuvre du Programme d'action de Vienne et recommande, dans ce but, l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies d'un ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité".


B. Historique de l'étude.

7. Pour une meilleure compréhension de la phase finale de l'étude, il convient de resituer le présent rapport dans le cadre des travaux de la Sous-Commission.

8. Trente-huitième session (août 1985). Présentation par M. Louis Joinet, en qualité de Rapporteur spécial sur l'amnistie, d'un rapport final intitulé "Etude sur la legislation d'amnistie et sur son rôle dans la protectlon et la promotion des droits de l'homme" (E/CN.4/Sub.2/1985/16/Rev.1). Le chapitre III de cette étude a en partie inspiré le présent rapport.

9. Quarante-troisième session (août 1991). Par sa décision 1991/110, la Sous-Commission demande à deux de ses membres, M. El Hadji Guissé et M. Louis Joinet, d'élaborer un document de travail sur les orientations qui pourraient être données à une étude sur l'impunité.

10. Quarante-quatrième session (août 1992). Après présentation du document de travail (E/CN.4/Sub.2/1992/18), la Sous-Commission décide, par sa résolution 1992/23, de confier aux coauteurs la rédaction d'un rapport intitulé "Etude sur l'impunité des auteurs de violations des droits de l'homme". La Commission des droits de l'homme (résolution 1993/43), puis le Conseil économique et social (décision 1993/266) approuvent cette initiative.

11. Quarante-cinquième session (août 1993). Après présentation du rapport préliminaire - et non "intérimaire" comme il avait été indiqué par erreur -(E/CN.4/Sub.2/1993/6), la Sous-Commission demande aux corapporteurs d'étendre l'étude aux violations graves des droits économiques, sociaux et culturels.

12. Quarante-sixième session (août 1994). Après avoir accueilli avec satisfaction le rapport préliminaire succinct sur l'impunité des auteurs des violations des droits économiques, sociaux et culturels (E/CN.4/Sub.2/1994/11 et Corr.l), la Sous-Commission décide (résolution 1994/34) de scinder en deux l'étude, en confiant à M. Louis Joinet le volet consacré aux violations des droits civils et politiques et à M. El Hadji Guissé celui qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels.

13. Quarante-sentième session (août 1995). Par sa résolution 1995/35, la Sous-Commission examine avec appréciation le rapport intérimaire de M. Louis Joinet (E/CN.4/Sub.2/1995/18) qui présente la synthèse des observations recueillies sur certaines questions de principe; elle demande au Rapporteur spécial de lui présenter son rapport final à sa quarante-huitième session, en août 1996.

14. Quarante-huitième session (août 96). Faute de temps pour procéder à l'examen du rapport; la Sous-Commission a demandé au Rapporteur (décision 1996/119) de poursuivre ses consultations en vue de lui présenter, à sa quarante-neuvième session, une version finale revue et augmentée comportant une version révisée de l'ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité.

15. Quarante-neuvième session (août 1997). C'est en application de cette décision que le présent rapport final est soumis à la Sous-Commission à la présente session et, compte tenu des observations et commentaires, pourra être transmis à la Commission des droits de l'homme pour considération dans sa version révisée.


I. ECONOMIE GENERALE DE L'ENSEMBLE DE PRINCIPES.

16. Les trois sections qui suivent résument l'économie générale du projet d'ensemble de principes précités et son fondement par référence aux droits des victimes considérées comme sujets de droit :

A ces droits s'ajoutent, à titre préventif, une série de mesures destinées à garantir le non-renouvellement des violations.


A. Le droit de savoir

17. Il ne s'agit pas seulement du droit individuel qu'a toute victime, ou ses proches, de savoir ce qui s'est passé en tant que droit à la vérité. Le droit de savoir est aussi un droit collectif qui trouve son origine dans l'histoire pour éviter qu'à l'avenir les violations ne se reproduisent. I1 a pour contrepartie, à la charge de l'Etat, le "devoir de mémoire" afin de se prémunir contre ces détournements de l'histoire qui ont pour nom révisionnisme et négationnisme; en effet, la connaissance, par un peuple, de l'histoire de son oppression appartient à son patrimoine et comme telle doit être préservée. Telles sont les finalités principales du droit de savoir en tant que droit collectif.

18. Deux séries de mesures sont proposées à cet effet. La première concerne la mise en place, en principe à bref délai, de commissions non judiciaires d'enquete car - sauf à rendre une justice sommaire, et ce fut trop souvent le cas dans l'histoire - les tribunaux ne peuvent sanctionner rapidement les bourreaux et leurs commanditaires. La deuxième série de mesures vise à préserver les archives liées aux violations des droits de l'homme.


1. Les commissions non iudiciaire d'enquête.

19. Le but recherché en priorité est double : d'une part, démonter les mécanismés qui ont abouti à la pratique quasi administrative de actes aberrants, pour en éviter le retour; d'autre part, préserver les preuves pour la justice, mais aussi pour établir que ce qui était dénoncé comme mensonger; par les oppresseurs afin de discréditer les défenseurs des droits de l'homme était bien souvent en deçà de la vérité; on pourra ainsi rétablir ces défenseurs dans leur dignité.

20. L'expérience enseigne qu'il convient de veiller à ce que ces commissions ne soient pas détournées de leur finalité pour devenir prétexte à ne pas saisir les tribunaux. D'où l'idée de proposer des principes de base, inspirés de l'analyse comparée de l'expérience des commissions existantes ou ayant existé, principes en deçà desquels la crédibilité de telles commissions serait atteinte. Ces principes concernent quatre grands aspects analysés ci-dessous.

a) Garantie d'indépendance et d'impartialité.

21. Les commissions non judiciaires d'enquete doivent être créées par la loi. Elles peuvent l'être par un acte réglementaire ou par un acte conventionnel dans le contexte d'un processus de rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou de transition vers celles-ci. Leurs membres doivent être inamovibles pendant la durée de leur mandat et être protégés par une immunité. Si nécessaire, une commission doit avoir la possibilité de requérir l'assistance de la police, de faire procéder à des comparutions, et de visiter les lieux concernés par les investigations. Le pluralisme d'opinion des membres d'une commission est également un important facteur d'indépendance. Il doit être enfin clairement précisé dans les statuts que les commissions n'ont pas vocation à se substituer à la justice, mais tout au plus à contribuer à la sauvegarde de la mémoire et des preuves. Leur crédibilité doit étre également assurée par des moyens financiers et en personnel suffisants.

b) Garantie en faveur des témoins et victimes.

22. Le témoignage des victimes et des témoins déposant en leur faveur ne peut être sollicité que sur la base du volontariat. A des fins de protection, l'anonymat peut étre admis sous les réserves suivantes: étre exceptionnel (sauf en cas d'abus sexuels); le Président et un membre de la commission doivent étre habilités à s'assurer du bien-fondé de la demande d'anonymat et, confidentiellement, de l'identité du témoin; enfin, il doit étre fait mention du contenu du témoignage dans le rapport. Témoins et victimes doivent pouvoir bénéficier, dans le cadre de leur déposition, d'une assistance psychologique et sociale, spécialement lorsqu'ils ont été victimes de tortures et d'abus sexuels. Ils doivent enfin étre remboursés des dépenses liées à leur témoignage.

c) Garanties concernant les sersonnes mises en cause.

23. Si la commission est habilitée à divulguer leur nom, les personnes mises en cause doivent, soit avoir été entendues ou, à tout le moins, convoquées à cet effet, soit être en mesure d'exercer, par écrit, un droit de réponse, la réponse étant ensuite versée au dossier.

d) Publicité à donner au rapport.

24. Si la confidentialité des travaux peut être-justifiée, pour-éviter notamment les pressions sur les témoins ou pour assurer leur sécurité, le rapport doit en revanche être publié et faire l'objet de la plus grande diffusion possible. Les membres de la commission doivent bénéficier d'une immunité à ltégard de poursuites en diffamation.


2. Préservation des archives liées aux violations des droits de l'homme.

25. Spécialement, lors d'un processus de transition, le droit de savoir implique que soient préservées les archives. Les mesures prises à cet effet porteront sur les points suivants :


B. Le droit à la justice.

l. Le droit à un recours équitable et efficace

26. Il implique que toute victime ait la possibilité de faire valoir ses droits en bénéficiant d'un recours équitable et efficace, notamment pour obtenir que soit jugé son oppresseur et obtenir réparation. Ainsi que le souligne le préambule de l'Ensemble de principes, il n'est pas de réconciliation juste et durable sans que soit apportée une réponse effective au besoin de justice; le pardon, acte privé, suppose en tant que facteur de réconciliation que soit connu de la victime l'auteur des violations et que ce dernier ait été en mesure de manifester son repentir en effet, pour que le pardon puisse être accordé, il faut qu'il ait été demandé.

27. Le droit à la justice confère à l'Etat des obligations : celle d'enquêter sur les violations, d'en poursuivre les auteurs et, si leur culpabilité est établie, de les faire sanctionner. Si l'initiative des poursuites relève en premier lieu de l'Etat, des règles complémentaires de procédure doivent prévoir que toute victime peut être partie civile aux poursuites et, en cas de carence des pouvoirs publics, d'en prendre elle-même l'initiative.

28. La compétence des tribunaux nationaux devrait - pour des raisons de principe - demeurer la règle, car toute solution durable implique qu'elle vienne de la nation elle-méme. Mais il arrive trop souvent, hélas, que les tribunaux nationaux ne soient pas encore en mesure de rendre une justice impartiale ou soient dans l'impossibilité matérielle de fonctionner. Se pose alors la difficile quèstion de la compétence d'un tribunal international : doit-il s'agir d'un tribunal ad hoc; du type de ceux qui ont été créés pour les violations commises en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, ou bien d'un tribunal international permanent comme celui qui est actuellement en projet devant l'Assemblée générale des Nations Unies? Quelle que soit finalement la solution adoptée, les règles de procédure doivent répondre aux critéres du droit à un procès équitable. On ne peut juger celui qui a commis des violations en ne respectant pas soi-méme les droits de l'homme.

29. Enfin, les traités internationaux de droits de l'homme devraient comporter une clause de "compétence universelle", obligeant chaque Etat partie, soit à juger soit à extrader l'auteur de violations. Encore faut-il qu'il y ait la volonté politique d'appliquer de telles clauses. On constate, par exemple, que celles qui existent dans les Conventions de Genève de 1949 relatives au droit humanitaire ou dans la Convention des Nations Unies contre la torture n'ont quasiment jamais été appliquées.


2. Mesures restrictives justifiées par la lutte contre l'impunité.

30. Des mesures restrictives peuvent être apportées à certaines règles de droit afin d'améliorer la lutte contre l'impunité. Le but est d'éviter que ces règles ne soient utilisées de telle manière qu'elles ne deviennent une prime à l'impunité, entravant ainsi le cours de la justice.

a) La prescription

31. La prescription ne peut être opposée aux crimes graves selon le droit international tels que les crimes contre l'humanité. A l'égard de toutes violations, elle ne peut courir pendant la période où il n'existe pas de recours efficace. De même, la prescription n'est pas opposable aux actions civiles, administratives ou disciplinaires exercées par les victimes.

b) L'amnistie

32. L'amnistie ne peut être accordée aux auteurs de violations tant que les victimes n'ont pas obtenu justice par une voie de recours efficace. Elle est juridiquement sans effet sur les actions des victimes liées au droit à réparation.

c) Le droit d'asile

33. Pas plus que le statut de réfugié politique, l'asile territorial ou diplomatique ne peut être accordé.

d) L'extradition

34. Le caractère politique de l'infraction n'est pas opposable pour éviter l'extradition, non plus que le principe de non-extradition des nationaux.

e) La procédure in abstentia

A l'inverse de la plupart des pays de droit romain, les pays de droit anglo-saxon ne reconnaissent pas, dans leur système juridique, la procédure in abstentia. Cette lacune constitue une importante prime à l'impunité, spécialement lorsque les pays concernés refusent de coopérer avec la justice {exemple du Tribunal pénal international de La Haye). A titre de compromis, ne pourrait-on admettre la procédure in abstentia qu'après avoir juridiquement constaté un tel refus de coopération? Sinon, sa non-reconnaissance devrait être limitée à la seule phase du jugement.

f) L'obéissance due

36. L'obéissance due ne peut exonérer l'exécutant de sa responsabilité pénale; tout au plus peut-elle être prise en considération comme circonstance atténuante. De même, le fait que les violations aient été commises par un subordonné ne peut exonérer ses supérieurs s'ils se sont abstenus de faire usage des pouvoirs dont ils étaient investis pour empêcher la violation ou la faire cesser dès lors qu'ils savaient -ou étaient en position de savoir- que la violation était en train de se commettre ou allait étre commise.

g) Les lois sur le repentir

37. Lorsque, dans le cadre d'un processus de rétablissement de la démocratie ou de transition vers celle-ci, des lois sur le repentir sont adoptées, elles peuvent être une cause d'atténuation de la preuve, mais ne doivent pas exonérer totalement les auteurs; une distinction doit être faite, en raison des risques encourus ou non par l'auteur, selon qu'il fait des révélations pendant la période où se commettaient les violations graves ou après cette période.

h) Les tribunaux militaires

38. En raison de l'insuffisante indépendance statutaire des tribunaux militaires, leur compétence doit être limitée aux seules infractions spécifiquement militaires commises par des militaires, à l'exclusion des violations des droits de l'homme qui doivent relever de la compétence des tribunaux ordinaires.

i) Principes de l'inamovibilité des juges

39. Essentielle en tant que garantie de l'indépendance des Juges, l'inamovibilité ne doit pas devenir, là encore, une prime à l'impunité. Les magistrats qui ont été nommés en conformité avec l'état de droit antérieur peuvent être confirmés dans leurs fonctions. En revanche, ceux qui ont été nommés de manière illégitime peuvent être destitués en application du principe du parallélisme des formes à condition de bénéficier de garanties appropriées.


C. Le droit à réparation.

40. Le droit à réparation comporte tant des mesures individuelles que des mesures de portée générale et collective.

41. Au plan individuel, les victimes, qu'il s'agisse de victimes directes ou de parents ou personnes à charge, doivent bénéficier d'un recours efficace. Les procédures applicables doivent faire l'objet de la publicité la plus large possible. Le droit à réparation doit couvrir l'intégralité des préjudices subis par la victime. Conformément à l'Ensemble de principes et directives fondamentaux concernant le droit à réparation des victimes des violations flagrantes des droits de l'homme et du droit humanitaire établi par M. Theo van Boven, Rapporteur spécial de la Sous-Commission (E/CN.4/Sub.2/1996/17), ce droit comporte les trois types de mesures suivantes:

42. Au plan collectif, des mesures de portée symbolique, à titre de réparation morale, telles que la reconnaissance publique et solennelle par l'Etat de sa responsabilité, les déclarations officielles rétablissant les victimes dans leur dignité, les cérémonies commémoratives, les dénominatlons de voies publiques, les érections de monuments, permettent de mieux assumer le devoir de mémoire. En France, par exemple, il aura fallu attendre plus de 50 ans pour que le chef de l'Etat reconnaisse solennellement, en 1996, la responsabilité de l'Etat français dans les crimes contre les droits de l'homme commis par le régime de Vichy entre 1940 et 1944. On citera également les déclarations de même nature faites par le Président Cardoso en ce qui concerne les violations commises au Brésil sous la dictature militaire. On soulignera surrout l'initiative du Gouvernement espagnol qui vient de reconnaître la qualité d'anciens combattants aux antifascistes et brigadistes qui, durant la guerre civile, se sont battus dans le camp républicain.


D. Garanties de non-renouvellement des violations.

43. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, trois mesures s'imposent pour éviter que les victimes ne soient à nouveau confrontées à des violations portant atteinte à leur dignité :


II. PROPOSITIONS ET RECOMMANDATIONS.

44. Avant; même que les Nations Unies ne prennent des initiatives dans le domaine de la lutte contre l'impunité, les organisations non gouvernementales, nous l'avons vu, ont joué un rôle de pionnier et ont commencé à tracer les axes d'une stratégie pour l'action. Parmi ces nombreuses initiatives, on citera celles qui ont tout particulièrement contribué à la réflexion du Rapporteur:

45. Ces travaux ont montré que les organisations non gouvernementales ressentent de plus en plus le besoin d'appuyer leur combat sur des normes de référence, inspirées de l'expérience et reconnues par la communauté internationale. C'est une des raisons qui amènent le Rapporteur à proposer l'adoption de laensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité. Mais cet ensemble de principes est aussi destiné, d'une part aux Etats -trop peu nombreux- qui manifestent la volonté politique de réduire l'impunité, d'autre part aux partenaires des "dialogues" nationaux ou des "négociations d'accords de paix" qui, tous, sont confrontés à ce problème.

46. Tel est le contexte et l'esprit dans lesquels le Rapporteur spécial fait les deux propositions suivantes:

47. Ainsi que cela avait été demandé par la Sous-Commission dans sa décision 1996/119, on trouvera en annexe au présent rapport final le texte du projet d'ensemble de principes qui a été révisé en tenant compte des commentaires recueillis. L'annexe I est une présentation synoptique qui est en fait le sommaire de l'ensemble de principes dont le texte complet figure à l'annexe II.


CONCLUSION.

48. En terminant, le Rapporteur spécial aimerait appeler l'attention sur certaines situations particulièrement préoccupantes et pour lesquelles il doit avouer son impuissance à proposer des solutions, alors que de telles situations contribuent -bien que pour des raisons en grande partie techniques- à la persistance de l'impunité. Comment, en effet, lutter contre l'impunité, et donc assurer le droit à la.justice de la victime, lorsque le nombre des personnesa emprisonnées pour suspicion de violations graves des droits de l'homme ést tel qu'il est techniquement impossible de les juger selon un procès équitable et dans un délai raisonnable. Faut-il citer le cas du Rwanda ou, selon le Rapporteur spécial, M. René Degni-Segui (rapport E/CN.4/1997/61, par. 69), plus de 90.000 personnes sur lesquelles pèsent, pour la plupart, des charges de génocide sont emprisonnées alors que la justice, en grande partie déstabilisée par les événements, n'est pas encore en mesure de faire face avec une suffisante efficacité à cette situation ? Il est par ailleurs vain d'imaginer que la solution puisse passer par la voie d'un tribunal pénal international. Ces juridictions, par leur nature même, ne peuvent juger annuellement qu'un nombre réduit de personnes, d'où l'importance, dans les poursuites, de fixer des priorités et de juger tout d'abord, à chaque fois que cela est possible, les responsables des crimes, selon le droit international, qui étaient en fonctions au sommet de la hiérarchie.


POSTFACE

49. A ceux qui seraient tentés de considérer que l'ensemble de principes ici proposé pourrait constituer une entrave à la réconciliation nationale, je répondrai ceci : ces principes ne constituent pas des normes juridiques stricto sensu mais des principes directeurs destinés non à tenir en échec la réconciliation, mais à endiguer les dérives de certaines politiques de réconciliation afin que, passée la première étape, faite de "conciliations" plutôt que de "réconciliation", l'on puisse construire le socle d'une "réconciliation juste et durable".

50. Pour pouvoir tourner la page, encore faut-il l'avoir lue! Mais la lutte contre l'impunité n'est pas qu'une question juridique et politique; sa dimension éthique n'est-elle pas trop souvent oubliée?

51. "Des origines de l'humanité à l'époque contemporaine, l'histoire de l'impunité est celle d'un perpétuel conflit et d'un étrange paradoxe: conflit opposant l'opprimé à son oppresseur, la société civile à l'Etat, la conscience humaine à la barbarie - paradoxe de l'opprimé qui, libéré de ses chaînes, assume à son tour la responsabilité de l'Etat et se trouve pris dans l'engrenage de la réconciliation nationale venant relativiser son engagement initial contre l'impunité." Ce propos, qui introduisait le rapport préliminaire présenté à la Sous-Commission en 1993 (E/CN.4tSub.2/l993/6), est toujours d'actualité et peut être opportunément cité en guise de postface.


Annexe I

Présentation synoptique de l'Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité.

PREAMBULE

DEFINITIONS

"Impunité"; "Crimes graves selon le droit international"


I. LE DROIT DE SAVOIR

A. Principes généraux

Principe 1: Le droit inaliénable à la vérité

Principe 2: Le devoir de mémoire

Principe 3: Le droit de savoir des victimes

Principe 4: Garanties destinées à rendre effectif le droit de savoir

B. Les commissions non judiciaires d'enquête

Principe 5: Rôle des commissions non judiciaires d'enquete

Principe 6: Garanties d'indépendance et d'impartialité

Principe 7: Délimitation du mandat des commissions

Principe 8: Garanties concernant les personnes mises en cause

Principe 9: Garanties concernant les victimes et les témoins déposant en leur faveur

Principe 10: Fonctionnement des commissions

Principe 11: Missions de conseil des commissions

Principe 12: Publicité du rapport des commissions

C. La préservation et l'accès aux archives permettant d'établir les violations

Principe 13: Mesures de préservation des archives

Principe 14: Mesures facilitant l'accès aux archives

Principe 15: Coopération des services d'archives avec les tribunaux et les commissions non judiciaires d'enquête

Principe 16: Mesures spécifiques concernant les archives à caractère nominatif

Principe 17: Mesures spécifiques relatives aux processus de rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou de la transition vers celles-ci


II. LE DROIT A LA JUSTICE

A. Principes généraux .

Principe 18 : Devoirs des Etats dans le domaine de l'administration de la justice

B. Répartition des compétences entre les juridictions nationales étrangères et internationales

Principe 19: Compétence des tribunaux pénaux internationaux

Principe 20: Compétence des tribunaux étrangers

Principe 21: Mesures destinées à renforcer l'efficacité des clauses conventionnelles de compétence universelle

Principé 22: Mesures destinées à établir la compétence extratérritoriale en droit interne

C. Mesures restrictives apportées à certaines règles de droit et qui sont justifiées par la lutte contre l'impunité.

Principe 23: Nature des mesures à prendre

Principe 24: Restrictions à la prescription

Principe 25: Restrictions et autres mesures relatives à l'amnistie

Principe 26: Restrictions au droit d'asile

Principe 27: Restrictions à l'extradition

Principe 28: Restrictions à l'exclusion de la procédure in abstentia

Principe 29: Restrictions aux justifications pouvant être liées à l'obéissance due

Principe 30: Restrictions aux effets des lois sur le repentir liées aux processus de rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou de transition vers celles-ci

Principe 31: Restrictions à la compétence des tribunaux militaires

Principe 32: Restrictions au principe de l'inamovibilité des juges


III. LE DROIT A REPARATION

A. Principes généraux

Principe 33: Droits et devoirs nés de l'obligation de réparer

Principe 34: Procédures de recours en réparation

Principe 35: Publicité des procédures de réparation

Principe 36: Champ d'application du droit à réparation

B. Garanties de non-renouvellement des violations

Principe 37: Domaines concernés par les garanties de non-renouvellement

Principe 38: Dissolution des groupements armés non officiels directement ou indirectement liés à l'Etat ainsi que des groupements privés bénéficiant de sa passivité

Principe 39: Abrogation des législations et juridictions d'exception

Principe 40: Mesures administratives ou autres concernant les agents de l'Etat impliqués dans les processus de violations graves des droits de l'homme

Principe 41: Modalités de mise en oeuvre des mesures administratives

Principe 42: Nature des mesures pouvant être prises à l'égard des agents de l'Etat


Annexe II

Ensemble de principes pour la protection et la promotion Des droits de l'homme par la lutte contra l'impunité.

PREAMBULE

Rappelant le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme, selon lequel la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité,

Consciente de ce que de tel actes risquent toujours de se produire,

Réaffirmant l'engagement pris par les Etats Membres à l'Article 56 de la Charte des Nations Unies d'agir, tant conjointement que séparément, en accordant toute son importance au développement d'une coopération internationale efficace pour atteindre les buts énoncés à l'Article 55 de la Charte relatif au respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous,

Considérant que le devoir qu'a tout Etat de respecter et de faire respecter les droits de l'homme exige que soient prises des mesures efficaces pour lutter contre l'impunité,

Consciente de ce qu'il n'est pas de réconciliation juste et durable sans que soit apportée une réponse effective au besoin de justice,

Consciente éqalement de ce que le pardon, qui peut étre un facteur important de réconciliation, suppose, en tant qu'acte privé, que soit connu de la victime ou de ses ayants droit l'auteur des violations et que ce dernier ait reconnu les faits et manifesté son repentir,

Rappelant la recommandation qui figure au paragraphe 91 de la Partie II de la Déclaration et Programme d'action de Vienne (A/CONF.157/23), par laquelle la Conférence mondiale sur les droits de l'homme (juin 1993) s'est inquiétée de l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme et a encouragé les efforts que déploient la Commission des droits de l'homme et la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités pour examiner tous les aspects de ce problème,

Convaincue, en conséquence, de la nécessité d'adopter à cette fin des mesures d'ordre national et international pour que soit conjointement assuré, dans l'intérêt des victimes de violations des droits de l'homme, le respect effectif du droit de savoir qui implique le droit à la vérité, du droit à la justice et du droit a réparation sans lesquels il n'est pas de remède efficace contre les effets néfastes de l'impunité,

L'Assemblée générale

Décide, en s'appuyant sur la Déclaration et le Programme d'action de Vienne, de proclamer solennellement les principes suivants à l'intention des Etats lorsqu'ils sont confrontés à la lutte contre ltimpunité.

DEFINITIONS

A. "Impunité"

L'impunité se définit par l'absence, en droit ou en fait, de la misè en cause de la responsabilité pénale des auteurs de violations des droits de l'homme, ainsi que de leur responsabilité civile, administrative ou disciplinaire-, en ce qu'ils échappent à toute enquête tendant à permettre leur mise en accusation, leur arrestation, leur jugement et, s'ils sont reconnus coupables, leur condamnation à des peines appropriées, y compris à réparer le préjudice subi par leurs victimes.

B. "Crimes graves selon le droit international"

Au sens des présents principes, cette qualification s'entend des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, y compris le génocide, et des infractions graves au droit international humanitaire.

C. "Processus en vue du rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou de la transition vers celles-cit'

Au sens des présents principes, cette expression vise les situations au terme desquelles, dans le cadre d'un processus donnant lieu à un dialogue national en faveur de la démocratie ou à des négociations de paix pour mettre un terme à un conflit armé, un accord, quelle qu'en soit la forme, intervient par lequel les acteurs ou parties concernés s'entendent pour prendre, à cette occasion, des mesures contre l'impunité et le renouvellement des violations des droits de l'homme.


I. LE DROIT DE SAVOIR

A. Principes généraux

PRINCIPE 1 - LE DROIT INALIENABLE A LA VERITE

Chaque peuple a le droit inaliénable de connaitre la vérité sur les événements passés, ainsi que sur les circonstances et les raisons qui ont conduit, par la violation massive ou systématique des droits de l'homme, à la perpétration de crimes aberrants. L'exercice plein et effectif du droit à la vérité est essentiel pour éviter qu'à l'avenir les violations ne se reproduisent.

PRINCIPE 2 - LE DEVOIR DE MEMOIRE

La connaissance par un peuple de l'histoire de son oppression appartient à son patrimoine et, comme telle, doit être préservée par des mesures appropriées au nom du devoir de mémoire qui incombe à l'Etat. Ces mesures ont pour but de préserver de l'oubli la mémoire collective, notamment pour se prémunir contre le développement de thèses révisionnistes et négationnistes.

PRINCIPE 3 - LE DROIT DE SAVOIR DES VICTIMES

Indépendamment de toute action en justice, les victimes, ainsi que leurs familles et leurs proches, ont le droit imprescriptible de connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles ont été commises les violations et, en cas de décès ou de disparition, sur le sort qui a été réservé à la victime.

PRINCIPE 4 - GARANTIES DESTINEES A RENDRE EFFECTIF LE DROIT DE SAVOIR

Il appartient aux Etats de prendre les mesures appropriéès pour rendre effectif le droit de savoir. Lorsque les institutions judiciaires sont defaillantes, priorité doit être donnée, dans un premier temps, aux-mesures tendant d'une part à la création de commissions non judiciaires d'enquête, d'autre part à la préservation et à l'accès aux archives concernées.


B. Les commissions non iudiciaires d'enquête

PRINCIPE 5 - ROLE DES COMMISSIONS NON JUDICIAIRES D'ENQUETE

Les commissions non judiciaires d'enquête ont pour mission d'établir les faits dans l'intérêt de la recherche de la vérité, notamment pour éviter la disparition des preuves.

Afin que soient rétablis dans leur dignité les victimes, leur famille et les défenseurs des droits de l'homme, ces investigations doivent être menées dans le souci de faire reconnaître la part de vérité qui auparavant était constamment niée.

PRINCIPE 6 - GARANTIES D'INDEPENDANCE ET D'IMPARTIALITE

Afin de fonder leur légitimité sur des garanties incontestables d'indépendance et d'impartialité, les commissions, y compris lorsqu'elles ont un caractère international, doivent tenir compte, dans leur statut, des principes suivants:

PRINCIPE 7 - DELIMITATION DU MANDAT DES COMMISSIONS

Pour éviter les conflits de compétence, le mandat des commissions doit être clairement défini. A cet effet, il comporte au minimum les précisions et limitations suivantes:

i) A analyser et décrire les mécanismes étatiques du système violateur, et à identifier, d'une part, les groupes victimes et, d'autre part, les administrations, agences et entités privées impliquées en reconstituant leur rôle;
ii) A sauvegarder les preuves dans l'intérêt ultérieur de la justice.

PRINCIPE 8 - GARANTIES CONCERNANT LES PERSONNES MISES EN CAUSE

Lorsque des personnes sont mises en cause à l'occasion de l'établissement des faits, spécialement s'il est prévu dans le mandat de la commission qu'elle est habilitée à divulguer leur nom, les garanties suivantes, fondées sur le principe de contradiction, doivent être assurées:

PRINCIPE 9 - GARANTIES CONCERNANT LES VICTIMES ET LES TEMOINS DEPOSANT EN LEUR FAVEUR

Des mésures doivent être prises pour assurer la sécurité et la protection des victimes et des témoins déposant en leur faveur :
i) d'être exceptionnelle, à moins qu'il ne s'agisse de victimes d'agressions ou de violences sexuelles;

ii) que le président et un membre de la commission soient habilités à s'assurer du bien-fondé de la demande d'anonymat et, confidentiellement, de l'identité du témoin afin d'être en mesure de s'en porter garants auprès des autres membres de la commission;
iii) qu'il soit en principe fait mention, dans le rapport, de la teneur du témoignage s'il est retenu par la commission;

PRINCIPE 10 - FONCTIONNEMENT DES COMMISSIONS

Les commissions disposent :

PRINCI PE 11 - MISSIONS DE CONSEIL DES COMMISSIONS

Le mandat des commissions comporte des dispositions les invitant à faire des recommandations dans leur rapport final pour lutter contre l'impunité.

Ces recommandations contiennent notamment des propositions ayant pour but:

PRINCIPE 12 - PUBLICITE DU RAPPORT DES COMMISSIONS

Pour des raisons de sécurité ou pour éviter les pressions sur les témoins et les membres des commissions, les mandats de ces dernières peuvent prévoir que la conduite de l'enquête sera soumise à la confidentialité. En revanche, le rapport final doit être intégralement rendu public et faire l'objet de la diffusion la plus large.


C. La préservation et l'accès aux archives permettant d'établir les violations.

PRINCIPE 13 - MESURES DE PRESERVATION DES ARCHIVES

Le droit de savoir implique que soient préservées les archives. Des mesures techniques et des sanctions pénales doivent être prises pour s'opposer à la soustraction, la destruction, la dissimulation ou la falsification des archives, notamment dans le but d'assurer l'impunité d'auteurs de violations des droits de l'homme.

PRINCIPE 14 - MESURES FACILITANT L'ACCES AUX ARCHIVES

L'accès aux archives doit être facilité dans l'intérét des victimes et de leurs proches pour faire valoir leurs droits.

Il en est de même, en tant que de besoin, pour les personnes mises en cause qui le demandent en vue d'assurer leur défense.

Lorsque l'accés est prévu dans l'intérêt de la recherche historique, les formalités d'autorisation ont en principe pour seule finalité le contrôle de l'accés et ne- peuvent être détournées à des fins de censure.

PRINCIPE 15 - COOPERATION DES SERVICES D'ARCHIVES AVEC LES TRIBUNAUX ET LES COMMISSIONS NON JUDICIAIRES D'ENQUETE

Les tribunaux et les commissions non judiciaires d'enquête, ainsi que les enquêteurs travaillant sous leur responsabilité, doivent avoir librement accès aux archives. Le secret-défense ne peut leur être opposé. Toutefois, en vertu de leur pouvoir souverain d'appréciation, les tribunaux et commissions non judiciaires d'enquête peuvent décider, à titre exceptionnel, de ne pas rendre publiques certaines informations pouvant compromettre le processus de préservation ou de rétablissement de l'état-de droit auquel elles contribuent.

PRINCIPE 16 - MESURES SPECIFIQUES CONCERNANT LES ARCHIVES A CARACTERE NOMINATIF

PRINCIPE 17 - MESURES SPECIFIQUES RELATIVES AUX PROCESSUS DE RETABLISSEMENT DE LA DEMOCRATIE ET/OU DE LA PAIX OU DE TRANSITION VERS CELLES-CI


II. LE DROIT A LA JUSTICE

A. Principes généraux

PRINCIPE 18 - DEVOIRS DES ETATS DANS LE DOMAINE DE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE

L'impunité constitue un manquement aux obligations qu'ont les Etats d'enquêter sur les violations, de prendre des mesures adéquates à l'égard de leurs auteurs, notamment dans le domaine de la justice, pour qu'ils soient poursuivis, jugés et condamnés à des peines appropriées, d'assurer aux victimes des voies de recours efficaces et la réparation du préjudice subi, et de prendre toutes mesures destinées à éviter le renouvellement de telles violations.

Si l'initiative des poursuites relève en premier lieu des missions de l'Etat, des règles complémentaires de procédure doivent être prises pour permettre à toute victime d'en prendre elle-même l'initiative, individuellement ou collectivement, en cas de carence des pouvoirs publics, notamment en se constituant partie civile. Cette faculté devrait être étendue aux organisations non gouvernementales justifiant d'une action reconnue en faveur de la défense des victimes concernées.


B. Répartition des compétences entre les juridictions nationales. étrangères et internationales.

PRINCIPE 19 - COMPETENCE DES TRIBUNAUX PENAUX INTERNATIONAUX

La compétence territoriale des tribunaux nationaux demeure en principe la règle. La compétence concurrente d'un tribunal pénal international peut être retenue lorsque les tribunaux nationaux ne présentent pas encore de garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité ou sont dans l'impossibilité matérielle de fonctionner.

A cet effet, le tribunal pénal international peut, à tout moment de la procédure, demander à la juridiction nationale, qui doit obtempérer, de se dessaisir à son profit.

PRINCIPE 20 - COMPETENCE DES TRIBUNAUX ETRANGERS

La compétence des tribunaux étrangers s'exerce dans le cadre soit d'une clause de compétence universelle prévue dans un traité en vigueur, soit d'une disposition de la loi interne établissant une règle de compétence extraterritoriale pour les crimes graves selon le droit international.

PRINCIPE 21 - MESURES DESTINEES A RENFORCER L'EFFICACITE DES CLAUSES CONVENTIONNELLES DE COMPETENCE UNIVERSELLE

PRINCIPE 22 - MESURES DESTINEES A ETABLIR LA COMPETENCE EXTRATERRITORIALE EN DROIT INTERNE

En l'absence d'une ratification permettant d'opposer une telle clause de compétence universelle au pays où la violation a été commise, les Etats peuvent prendre, dans un souci d'efficacité, des mesures dans leur législation interne, pour établir leur compétence extraterritoriale sur les crimes graves selon le droit international commis en dehors de leur territoire et qui, en raison de leur nature, ne relèvent pas seulement du droit pénal interne, mais aussi d'un ordre répressif international auquel la notion de frontières est étrangère.


C. Mesures restrictives apportées à certaines règles de droit et qui sont justifiées car la lutte contre l'impunité.

PRINCIPE 23 - NATURE DES MESURES A PRENDRE

Des garanties doivent être apportées contre les déviations résultant de l'utilisation à des fins d'impunité de la prescription, de l'amnistie, du droit d'asile, du refus d'extradition, de l'absence de procédure in abstentia, de l'obéissance due, des législations sur les "repentis", de la compétence des tribunaux militaires, ainsi que du principe d'inamovibilité des juges.

PRINCIPE 24 - RESTRICTIONS A LA PRESCRIPTION

La prescription pénale, tant en ce qui concerne les poursuites que la peine, ne peut courir pendant la période où il n'existe pas de recours efficaçe .

Elle n'est pas applicable aux crimes graves selon le droit international qui sont par nature imprescriptibles.

Lorsqu'elle s'applique, la prescription n'est pas opposable aux actions civiles ou administratives exercées par les victimes en réparation de leur préjudice.

PRINCIPE 25 - RESTRICTIONS ET AUTRES MESURES RELATIVES A L'AMNISTIE

Y compris lorsqu'elles sont destinées à créer des conditions propices à un accord de paix ou à favoriser la réconciliation nationale, l'amnistie et les autres mesures de clémence doivent être contenues dans les limites suivantes:

PRINCIPE 26 - RESTRICTIONS AU DROIT D'ASILE

En application de l'article 1, paragraphe 2, de la Déclaration sur l'asile territorial adoptée par l'Assemblée générale le 14 décembre 1967 et de l'article 1 F de la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, les Etats ne peuvent faire benéficier de ces statuts protecteurs, y compris de l'asile diplomatique, les personnes dont on a des motifs sérieux de croire qu'elles sont les auteurs de crimes graves selon le droit international.

PRINCIPE 27 - RESTRICTIONS A L'EXTRADITION

Les auteurs de crimes graves selon le droit international ne peuvent, dans le but d'éviter leur extradition, se prévaloir des dispositions favorables généralement attachées aux infractions à caractère politique, ni au principe de non-extradition des nationaux. Toutefois, l'extradition devrait toujours être refusée, spécialement par les pays abolitionnistes, lorsque la personne concernée encourt effectivement la peine de mort dans le pays requérant.

PRINCIPE 28 - RESTRICTIONS A L'EXCLUSION DE LA PROCEDURE IN ABSTENTIA

Sauf à constituer une garantie d'impunité, la non-reconnaissance par un système juridique de la procédure in abstentia devrait être limitée à la seule phase du jugement afin que puissent être menées les investigations nécessaires, y compris l'audition des témoins et victimes, permettant de délivrer un acte d'accusation suivi d'un mandat de recherche et d'arrestation, le cas échéant international, exécuté selon les procédures prévues par le statut de l'Organisation internationale de police criminelle (OIPC-Interpol).

PRINCIPE 29 - RESTRICTIONS AUX JUSTIFICATIONS POUVANT ETRE LIEES A L'OBEISSANCE DUE



PRINCIPE 30 - RESTRICTIONS AUX EFFETS DES LOIS SUR LE REPENTIR LIEES AUX PROCESSUS DE RETABLISSEMENT DE LA DEMOCRATIE ET/OU DE LA PAIX OU DE TRANSITION VERS CELLES-CI

Le fait que l'auteur, postérieurement à la période des persécutions, révèle ses propres violations ou celles commises par d'autres, en vue de bénéficier des dispositions favorables des législations relatives au repentir, ne peut l'exonérer de sa responsabilité, notamment pénale. Cette révélation peut seulement être une cause de diminution de la peine afin de favoriser la manifestation de la vérité.

Lorsque les révélations ont été faites pendant la période des persécutions, cette atténuation peut aller jusqu'à une mesure de dispense de peine en raison des risques encourus à l'époque par l'intéressé. Dans cette hypothèse et par dérogation au principe 26, l'asile - et non le statut de réfugié - peut être accordé à l'auteur des révélations, afin de faciliter la manifestation de la vérité.

PRINCIPE 31 - RESTRICTIONS A LA COMPETENCE DES TRIBUNAUX MILITAIRES

Afin d'éviter que, dans les pays où ils n'ont pas encore été abrogés, les tribunaux militaires ne contribuent à la pérennisation de l'impunité en raison d'une insuffisante indépendance due au lien de subordination hiérarchique auquel sont soumis tous ou partie de leurs membres, leur compétence doit être limitée aux seules infractions spécifiquement militaires commises par des militaires, à l'exclusion des violations des droits de l'homme qui relèvent de la compétence des juridictions ordinaires internes ou, le cas échéant, s'agissant de crimes graves selon le droit international, d'une juridiction pénale internationale.

PRINCIPE 32 - RESTRICTIONS AU PRINCIPE DE L'INAMOVIBILITE DES JUGES

Le principe d'inamovibilité, garantie essentielle de l'indépendance des juges, doit être respecté à l'égard des magistrats qui ont été nommés.selon une procédure conforme à un état de droit. En revanche, ceux qui ont été désignés illégitimement ou qui ont tiré leur pouvoir juridictionnel d'un acte d'allégeance, peuvent être démis de leurs fonctions par la loi en application du principe du parallelisme des formes. Ils peùvènt démander à bénéficier des garanties fixées par les principes 41et 42, notamment en vue de solliciter, le cas échéant, leur réintégration.


III. LE DROIT A REPARATION

A. Principes généraux

PRINCIPE 33 - DROITS ET DEVOIRS NES DE L'OBLIGATION DE REPARER

Toute violation d'un droit de l'homme fait naitre un droit à réparation en faveur de la victime ou de ses ayants droit qui implique, à la charge de l'Etat, le devoir de réparer et la faculté de se retourner contre l'auteur.

PRINCIPE 34 - PROCEDURES DE RECOURS EN REPARATION

Que ce soit par la voie pénale, civile, administrative ou disciplinaire, toute victime doit avoir la possibilité d'exercer un recours aisément accessible, prompt et efficace, comportant les restrictions apportées à la prescription par le principe 24; elle doit bénéficier, dans l'exercice de ce recours, d'une protection contre les intimidations et représailles.

L'exercice du droit à réparation inclut l'accès aux procédures internationales applicables.

PRINCIPE 35 - PUBLICI'TE DES PROCEDURES DE REPARATION

Les procédures ad hoc permettant aux victimes d'exercer leur droit à réparation font l'objet de la publicité la plus large possible, y compris par des moyens de communication privés. Cette diffusion doit être assurée tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, y compris par la voie consulaire, spécialement dans les pays où ont dû s'exiler de nombreuses victimes.

PRINCIPE 36 - CHAMP D'APPLICATION DU DROIT A REPARATION

Le droit à réparation doit couvrir l'intégralité des préjudices subis par la victime; il comprend, d'une part, les mesures individuelles relatives au droit à restitution, à indemnisation et à réadaptation et, d'autre part, des mesures satisfactoires de portée générale telles que celles qui sont prévues par l'Ensemble de principes et directives fondamentaux concernant le droit à réparation (voir ci-dessus par. 41).

Dans les cas de disparitions forcées, lorsqu'est élucidé le sort de la personne disparue, sa famille a le droit imprescriptible d'en être informée et, en cas de décès, le corps doit lui être restitué dès son identification, que les auteurs aient ou non été identifiés, poursuivis ou jugés.


B. Garanties de non-renouvellement des violations

PRINCIPE 37 - DOMAINES CONCERNES PAR LES GARANTIES DE NON-RENOUVELLEMENT

L'Etat doit prendre des mesures appropriées afin que les victimes ne puissent être à nouveau confrontées à des violations portant atteinte a leur dignité. Sont à considérer avec priorité:

PRINCIPE 38 - DISSOLUTION DES GROUPEMENTS ARMES NON OFFICIELS DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT LIES A L'ETAT AINSI QUE DES GROUPEMENTS PRIVES BENEFICIANT DE SA PASSIVITE

En vue de prononcer efficacement la dissolution de ces groupements, spécialement lorsqu'est engagé un processus de rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou de transition vers celles-ci, les mesures à prendre doivent porter prioritairement sur les points suivants:

PRINCIPE 39 - ABROGATION DES LEGISLATIONS ET JURIDICTIONS D'EXCEPTION

Les législations et les juridictions d'exception, quelle que soit leur dénomination, doivent être abrogées dans leurs dispositions portant atteinte aux libertés et droits fondamentaux tels que garantis par la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

L'habeas corpus, quelle que soit sa dénomination, doit être considéré comme un droit fondamental de la personne et, comme tel, relever de la catégorie des droits indérogeables.

PRINCIPE 40 - MESURES ADMINISTRATIVES OU AUTRES CONCERNANT LES AGENTS DE L'ETAT IMPLIQUES DANS LES PROCESSUS DE VIOLATIONS GRAVES DES DROITS DE L'HOMME

Ces mesures ont un caractère préventif et non répressif; elles peuvent, en conséquence, être prises par la voie, de décisionsi administratives à la condition que les modalités de leur mise en oeuvre soient prévues par la loi. Lorsqu'un processus de rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou de transition vers celles-ci est engagé, ces mesures peuvent être prises par un acte réglementaire ou conventionnel; elles ont pour objectif d'éviter que ne soit entravé ou remis en cause au sein de l'administration le processus engage.

Elles sont en toutes circonstances distinctes de celles, de nature punitive et judiciaire, qui sont prévues aux principes 18 et suivants applicables par les tribunaux aux personnes poursuivies et jugées pour des violations des droits de l'homme.

PRINCIPE 41 - MODALITES DE MISE EN OEUVRE DES MESURES ADMINISTRATIVES

Lorsqu'un tel processus est engagé, la mise en oeuvre des mesures administratives est précédée du recensement des postes de responsabilité comportant un pouvoir décisionnel influent et donc un devoir de loyauté à l'égard du processus. Ce recensement considère en priorité les postes de responsabilité concernant l'armée, la police et la justice.

Pour apprécier la situation de chaque titulaire en fonction, on prendra en considération:

La décision est prise par le chef du gouvernement, ou sous sa responsabilité, par le ministre de tutelle, après que l'agent de l'Etat concerné, informé des griefs retenus à son encontre, a été dûment entendu ou convoqué à cet effet.

L'agent doit pouvoir bénéficier d'un recours devant la juridiction compétente en matière de contentieux des actes de l'administration.

Toutefois, compte tenu des circonstances particulières inhérentes à tout processus de transition, le recours peut être formé dans ce cas devant une commission ad hoc, à compétence exclusive, à la condition qu'elle réponde aux critères d'indépendance, d'impartialité et de fonctionnement prévus aux principes 6 a) et b), 7 a), 8 et 10.

PRINCIPE 42 - NATURE DES MESURES POUVANT ETRE PRISES A L'EGARD DES AGENTS

Saùf s'il est confirmé dans ses fonctions, l'agent concerné peut faire l'objet d'une mesure :

En ce qui concerne l'inamovibilité des magistrats, la décision est prise en tenant compte des garanties les concernant prévues au principe 32.


Editado electrónicamente en Madrid por el Equipo Nizkor del orginial del documento de la ONU E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1 el 3 de enero de 1998.

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