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16oct12


Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Otamendi Egiguren c. Espagne


EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

TROISIEME SECTION

AFFAIRE OTAMENDI EGIGUREN c. ESPAGNE
(Requête nº 47303/08)

ARRET

STRASBOURG
16 octobre 2012

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Otamendi Egiguren c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Jân Sikuta,
Nona Tsotsoria, juges,
Luis Aguiar de Luque, juge ad hoc,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2012,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (nº 47303/08) dirigée contre le Royaume d' Espagne et dont un ressortissant de cet État, M. Martxelo Otamendi Egiguren (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 septembre 2008 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes D. Rouget et I. Iruin Sanz, avocats à Saint-Jean-de-Luz et Saint-Sébastien, respectivement. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») était représenté par son agent, M. F. Irurzun Montoro, avocat de l'État.

3. Invoquant l'article 3 de la Convention, le requérant se plaint en particulier de l'absence d'enquête effective au sujet des mauvais traitements qu'il allègue avoir subis au cours de sa garde à vue au secret (incomunicado). Il estime que les mauvais traitements qu'il a dénoncés atteignent le minimum de gravité nécessaire pour tomber sous le coup de l'article 3.

4. Le 5 septembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l' affaire.

5. M. L. Lôpez Guerra, juge élu au titre de l'Espagne, s'étant déporté pour l'examen de cette affaire (article 28 du règlement de la Cour), le président de la chambre a décidé le 24 février 2012 de désigner M. L. Aguiar de Luque pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 b) du règlement).

EN FAIT

6. Le requérant est né en 1957 et réside à Tolosa.

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE

7. Le requérant, journaliste de profession, était au moment des faits le directeur du quotidien en langue basque Euskaldunon Egunkaria.

8. Le 20 février 2003, à 1 heure et 34 minutes, le requérant fut arrêté à son domicile par des agents de la garde civile dans le cadre d'une enquête judiciaire portant sur les délits présumés d'appartenance à et de collaboration avec l'organisation terroriste ETA. Il fut informé de son placement en garde à vue au secret et de son droit d'être assisté par un avocat commis d'office. Il fut informé également qu'il ne pourrait pas s'entretenir avec cet avocat en vertu de l'article 527 du code de procédure pénale, applicable à ce type de garde à vue. Le même jour, le juge central d'instruction nº 6 auprès de l'Audiencia Nacional rendit une décision confirmant le placement du requérant en garde à vue au secret. Le 21 février 2003, le même juge prolongea de quarante-huit heures la garde à vue au secret.

9. Pendant sa garde à vue, le requérant fut examiné par un médecin légiste à quatre reprises, les 20, 21, 22 et 23 février 2003.

Dans son rapport consécutif à sa visite du 20 février 2003, le médecin légiste ne décelait aucune trace de violence sur le corps du requérant, précisant que celui-ci avait déclaré avoir été arrêté ce jour, vers 1 heure 30, et « n'a[voir] pas subi de mauvais traitements physiques ni psychiques ». Le rapport mentionnait également que l'intéressé avait une entorse chronique de la cheville droite, qu'il présentait des marques érythémateuses sur les poignets causées par des menottes portées entre l'arrestation et la garde à vue, qu'il était « conscient, orienté dans le temps et dans l'espace » et qu'il avait « un langage et un discours cohérents, collaborant à l'entretien ».

Dans son rapport daté du 21 février 2003, le médecin légiste mentionnait que le requérant se plaignait de ne pas pouvoir dormir car il aurait partagé sa cellule avec un autre détenu, aurait dû rester debout la plupart du temps, aurait été obligé de faire des flexions des genoux pendant trois séances d' interrogatoire et aurait été menacé de subir la torture dite de la bolsa, consistant à asphyxier un sujet en lui couvrant la tête avec un sac en matière plastique. Par ailleurs, le médecin légiste signalait que le requérant insistait sur les interrogatoires auxquels il aurait été soumis, disant qu'il « [était] fatigué et qu' il n' [avait] pas de traces de coups, et que, pour cette raison, il ne voulait pas être examiné ».

A l'issue de sa visite du 22 février 2003, le médecin légiste notait dans son rapport que le requérant avait à nouveau refusé d'être examiné au motif qu' il ne présentait pas de traces de violence. Il consignait que l' intéressé avait affirmé avoir été dévêtu et forcé à faire des centaines de flexions pendant les interrogatoires, avoir reçu des coups d'intimidation sur les organes génitaux et avoir senti le placement d'un objet métallique sur sa tempe suivi d'un coup de feu simulé. Il mentionnait enfin que l'intéressé « [était] conscient, orienté dans le temps et dans l'espace, qu'il [avait un] langage fluide (...) » et qu'il menaçait de s'infliger des blessures volontaires s' il n' était pas transféré à l'Audiencia Nacional.

Dans son rapport consécutif à son examen du 23 février 2003, le médecin légiste notait que le requérant, refusant d' être examiné, avait déclaré ne pas avoir subi de mauvais traitements depuis la dernière visite et avoir dormi.

10. Le 24 février 2003, le requérant fut conduit à l'Audiencia Nacional. Le lendemain il fut traduit, toujours en situation de garde à vue au secret, devant le juge central d'instruction nº 6 auprès de l'Audiencia Nacional, auquel il déclara, en présence d'un avocat - commis d'office en raison du régime de garde à vue au secret -, avoir fait l'objet de mauvais traitements au cours de sa garde à vue. Il exposa qu'on l'avait empêché de dormir, que, pendant les deux premiers jours, il avait dû rester debout, qu'il avait été obligé de faire des flexions puis de se tenir immobile pendant deux heures, debout, le torse courbé et la tête en bas, qu'il avait subi des insultes homophobes, qu'il avait été dévêtu et obligé d'adopter une position sexuelle, qu'on lui avait placé un objet métallique sur la tempe qui aurait fait un bruit semblable à une détonation de pistolet, qu'on lui avait à deux reprises couvert la tête avec un sac en matière plastique, qu'on l'avait menacé de mort après la visite du 22 février 2003 du médecin légiste. Le 25 février 2003, le juge central d'instruction nº 6 rendit une décision ordonnant la détention provisoire du requérant avec possibilité de remise en liberté contre le versement d'une caution de 30 000 euros. Par une ordonnance du même jour, il constata que la caution avait été versée et il remit le requérant en liberté provisoire.

11. Une fois remis en liberté, le requérant demanda le 27 février 2003 au juge central d'instruction nº 6 d'envoyer au juge de garde de Madrid une copie de sa déclaration du 24 février 2003 dénonçant les mauvais traitements qui lui auraient été infligés. Par une décision du 5 mars 2003, le juge en question rejeta la demande du requérant en raison du caractère secret de l'instruction.

12. Le requérant présenta un recours de reforma contre cette décision, auquel le ministère public se rallia. Par une décision du 24 mars 2003, le juge central d'instruction nº 6 rejeta ce recours. Il rappela que le secret de l'instruction devait être respecté et constata que l'enregistrement de la déclaration du requérant n'avait pas encore été transcrit, si bien qu'il était difficile de déterminer sur quelle partie de la déclaration le secret pouvait être éventuellement levé.

13. Le 25 mars 2003, le requérant porta plainte devant le doyen des juges d'instruction de Madrid, alléguant avoir subi des mauvais traitements pendant sa garde à vue au secret. La juge d'instruction nº 5 de Madrid, à laquelle l'affaire fut attribuée, ordonna l'ouverture d une enquête.

14. Dans le cadre de cette enquête, le 7 avril 2003 le commandement de la garde civile informa la juge d'instruction nº 5 que leur registre ne faisait pas apparaître que le requérant eût été détenu dans leurs locaux entre le 20 et le 24 février 2003.

15. Le 23 avril 2003, le requérant pria la juge d instruction nº 5 de demander les copies de sa déclaration devant le juge central d'instruction nº 6 et des décisions dudit juge dans son affaire, ainsi que la copie vidéo de ses déclarations faites à la chaîne de télévision basque EITB le jour de sa remise en liberté, le 25 février 2003.

16. Le 28 octobre 2003, sur demande de la juge d'instruction nº 5, le requérant fut entendu par le juge d'instruction nº 3 de Tolosa. Il déclara que, dans les locaux de la garde civile, lors de son transfert à Madrid, on l'avait menotté et qu'on lui avait couvert la tête avec un bas, et relata avec de nombreux détails les conditions de sa garde à vue au secret. Il décrivit également en détail les mauvais traitements qu'il aurait subis lors des interrogatoires et l'attitude des agents qui les auraient infligés. Il précisa ne pas être en mesure de reconnaître les auteurs des agressions alléguées au motif qu il ne les aurait jamais vus. Il affirma toutefois être capable de reconnaître la voix de l'un d'entre eux.

17. Le 11 novembre 2003, le requérant demanda à la juge d'instruction nº 5 de citer à comparaître le détenu qui partageait sa cellule pendant sa garde à vue au secret et réitéra sa demande tendant à l'obtention d'une copie vidéo de ses déclarations à l EITB.

18. Le 22 décembre 2003, la juge d'instruction nº 5 ordonna l'audition du médecin légiste. Celui-ci fut entendu le 27 janvier 2004, en présence de l'avocat de l Etat et de l'un des avocats qui représentent le requérant devant la Cour, Me I. Iruin Sanz. Le procès-verbal de la déclaration du médecin légiste se lit comme suit :

    « (...) le premier jour où [le médecin légiste] a vu [le requérant] était le 20 [février 2003] (...) il l'a trouvé normal, ni fatigué ni spécialement épuisé.

    Concernant le rapport du 21, il a trouvé [l'intéressé] normal, avec une coloration rosée normale, non fatigué. [Le requérant] n'a pas voulu être examiné, il ne bâillait pas, il est entré dans le cabinet normalement, il s'est assis normalement.

    Lorsque [le requérant] lui a raconté qu'il était resté debout toute la nuit [le médecin légiste] lui a dit qu'il allait l examiner, mais le [requérant] a refusé.

    Lorsqu'il a vu [l'intéressé] le 22, il l'a trouvé normal, non épuisé, et, à moins que [le requérant] n'ait été très entraîné, [le médecin légiste] a eu des doutes quant à ses allégations selon lesquelles il avait dû effectuer des centaines de flexions. [Le requérant] a refusé à nouveau de se faire examiner, bien que [le médecin légiste] ait pu constater une possible contracture ou manifestation musculaire. [Le requérant] est entré en marchant et s'est assis normalement.

    Le 23 [le requérant] a moins parlé, il a répondu par des phrases courtes et des monosyllabes, et [, à par cela, le médecin légiste] n'a pas vu de grande différence [dans son état] par rapport aux autres jours (...)

    En réponse aux questions de Me Iruin, [le médecin légiste] a indiqué :

    A partir du 21, pour ne pas être examiné, [le requérant] a dit qu'il n avait pas de traces de coups, sous-entendant que, puisqu'il n'y avait pas de traces, il ne pouvait montrer aucune lésion.

    [Le médecin légiste] fait toujours les examens dans la même pièce. Il n'oblige jamais les détenus à se faire examiner s'ils ne le veulent pas, sauf si un tribunal l'ordonne.

    Le détenu n'a rien dit [au médecin légiste] à propos d'un bas couvrant sa tête qu'on lui aurait retiré. Pour qu'un bas laisse une trace, il faut qu'il soit fait d'une certaine matière et qu'il ait exercé une certaine compression.

    [Le requérant] lui a dit qu'il avait été interrogé à plusieurs reprises et que, lors des interrogatoires, il avait été obligé de faire des flexions.

    Il lui a dit que c'est la garde civile qui l'avait obligé à rester debout.

    [Le requérant] lui a dit qu'il s'infligerait des blessures volontaires, sans toutefois lui dire comment, mais il est vrai qu'il y a une colonne métallique à côté de l'endroit où il est assis.

    Lorsque [le requérant] lui a dit qu'on lui avait donné des coups d'intimidation aux testicules, il ne lui a pas indiqué de quelle manière et il lui a dit que ce n était pas grave.

    [Le médecin légiste] a informé le juge de garde de ce que le détenu lui avait dit concernant les blessures qu il s infligerait lui-même, d abord oralement, ensuite par écrit ; [il a dit que] cela le préoccupait plus que ce que [le requérant] avait dit au sujet des flexions (...)

    En réponse aux questions de l'avocat de l'Etat, [le médecin légiste] a indiqué :

    (...) qu'il informera la garde civile, sans lui indiquer une heure exacte, s'il rend visite au détenu le matin ou l'après-midi (...)

    Ce que [le médecin légiste] a noté dans son rapport du 20 février reprenait textuellement les dires du détenu. (...)

    En réponse aux questions du juge, [le médecin légiste] expose que l'existence d'une entorse chronique à la cheville implique un risque plus grand pour de nouvelles entorses ou distensions, et, après des exercices répétés ou des longues stations debout, la cheville serait plus gonflée (...) N'ayant pas examiné [le détenu], il ne peut se prononcer.

    En réponse aux questions de l'avocat de l'Etat, [le médecin légiste] indique ce qui suit :

    Le [requérant] a une apparence grande et forte, [le médecin légiste] ne peut pas préciser son niveau de musculature parce qu'il n'a pas examiné [l'intéressé].

    [Le médecin légiste] considère que, bien que cela puisse changer pour chaque personne selon sa résistance, si le [requérant] n'avait pas pu dormir, avait fait des flexions ou était resté debout de manière prolongée, des symptômes d'épuisement tels que des cernes, [des changements dans la posture physique], une accélération de la respiration, auraient probablement été visibles.

    L'impression [du médecin légiste] est que les allégations [du requérant] du 21 février ne sont pas compatibles avec ce qu'il a vu, et dans son rapport il note que [le requérant] était conscient, orienté, etc. [Il a ajouté que les médecins légistes] ne tirent pas de conclusions dans leurs rapports sauf pour ce qui est des déclarations du détenu, qu'ils se bornent à faire constater ce qu'ils ont observé lors de leur examen lorsque celui-ci a eu lieu.

    En ce qui concerne le sachet dont on aurait couvert sa tête, [le requérant] lui a dit qu on l'avait menacé de le faire, mais non qu'on le lui avait fait.

    Les examens des détenus se font la porte fermée, en présence du seul [médecin légiste], sans aucune autre personne dans la pièce (...)

    Le 23 février [le requérant) a moins collaboré pendant l'entretien, mais [le médecin légiste] ne l'a pas trouvé apeuré. La visite a été plus courte que les précédentes. »

19. Par une ordonnance du 16 février 2004, la juge d'instruction nº 5 de Madrid rendit un non-lieu provisoire et classa l'affaire. Elle considéra, au vu des rapports du médecin légiste effectués lors de la garde à vue du requérant et de la déclaration dudit médecin devant elle, qu'il n y avait pas d'indices démontrant que les mauvais traitements dénoncés par le requérant eussent réellement été infligés. Par ailleurs, elle estima qu'il n était pas nécessaire de donner suite à la demande du requérant sollicitant l'examen d'éléments de preuve supplémentaires au motif qu'ils n'apporteraient pas d'indices différents de ceux contenus dans la déposition de l'intéressé.

20. Le requérant présenta un recours de reforma, qui fut rejeté par une décision du 14 avril 2004 rendue par la même juge d'instruction.

21. Le requérant fit appel. Par une décision du 20 juillet 2005, l'Audiencia Provincial de Madrid confirma l'ordonnance de non-lieu. Le tribunal considéra que la déclaration du détenu ayant partagé la cellule du requérant n apporterait pas d'éclairage nouveau quant aux faits dénoncés par ce dernier. Par ailleurs, il estima que le visionnage de la vidéo de la déclaration télévisée faite par le requérant le 25 février 2003 ne pouvait pas fournir d'informations différentes de celles contenues dans sa plainte et dans sa déclaration devant le juge central d instruction nº 6. Enfin, le tribunal souligna que le juge a quo avait eu la possibilité d'entendre la déclaration du médecin légiste conformément aux principes d'immédiateté et de contradiction.

22. Le requérant forma un recours d'amparo devant le Tribunal constitutionnel sur le fondement des articles 24 (droit à l'équité de la procédure et à l'utilisation de moyens de preuve pertinents) et 15 (droit à l'intégrité physique et morale) de la Constitution. Par une décision du 10 mars 2008, la haute juridiction déclara le recours irrecevable comme étant manifestement dépourvu de contenu justifiant un arrêt sur le fond.

23. Ultérieurement, par un arrêt du 12 avril 2010, rendu après la tenue d'une audience publique sur le bien-fondé de l'affaire, la première section de la chambre pénale de l'Audiencia Nacional acquitta le requérant et quatre autres personnes du délit d'appartenance à un groupe terroriste dont ils avaient été accusés et conclut que « les parties accusatrices n'avaient pas démontré que les inculpés eussent le moindre lien avec l'ETA ». S agissant des mauvais traitements dénoncés par le requérant et les autres accusés, l'Audiencia Nacional se prononça comme suit :

    « Enfin, l'analyse des déclarations des accusés permet de relever, tout particulièrement s'agissant de leurs plaintes relatives aux mauvais traitements et tortures subis pendant leur garde à vue au secret - qui ont été exposés en détail lors de l'audience et antérieurement devant la juge d'instruction et qui ont également fait l'objet de plaintes auprès des tribunaux -, que [ces déclarations] sont compatibles avec les conclusions exposées dans les rapports médico-légaux établis après l'examen des accusés dans le centre de détention. Ce tribunal ne peut toutefois pas parvenir à des conclusions juridiques pénalement significatives sur le sujet ; il ne peut que constater qu'il n y a pas eu de contrôle juridictionnel suffisant et efficace des conditions de la garde à vue au secret. »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

24. Les dispositions pertinentes en l'espèce de la Constitution espagnole sont libellées comme suit :

    Article 15

    « Toute personne a droit à la vie et à l'intégrité physique et morale. Nul ne peut être soumis, dans quelques circonstances que ce soit, à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (...) »

    Article 24

    « 1. Toute personne a droit à la protection effective des juges et tribunaux dans l'exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu'en aucun cas elle puisse être mise dans l'impossibilité de se défendre.

    2. De même, chacun a droit à être traduit devant le juge ordinaire déterminé par la loi, à être défendu et assisté par un avocat, à être informé de l'accusation portée contre lui, à bénéficier d'un procès public sans délais indus et avec toutes les garanties, à utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, à ne pas s'incriminer lui-même, à ne pas faire des aveux et à être présumé innocent.

    (...) »

25. Les parties pertinentes en l'espèce de l'ordre du ministère de la Justice du 16 septembre 1997 approuvant le Protocole relatif aux méthodes à suivre par les médecins légistes lors de l'examen des détenus se lisent comme suit :

    Article 2

    « Le Protocole médico-légal à suivre lors de l'examen des détenus sera complété, dans ses quatre sections, conformément aux instructions suivantes :

    1. Données d'identification : elles servent à déterminer clairement l'identité de la personne détenue faisant l'objet de l'examen médico-légal, l'endroit, la date et l'heure auxquels est effectué l'examen, ainsi que le juge et la procédure diligentée contre la personne privée de liberté, et le nom du médecin légiste.

    2. Histoire clinique : [cette section] est destinée à recueillir les informations relatives aux antécédents médicaux familiaux et personnels, aux habitudes nuisibles pour la santé et aux traitements médicaux spéciaux suivis par la personne détenue au moment de la garde à vue.

    3. Résultats de l'examen : dans cette rubrique devront figurer le résultat de l'examen médico-légal et, le cas échéant, le traitement prescrit ou la demande d expertises médicales supplémentaires considérées comme nécessaires par le médecin légiste, y compris l'ordre d'admission dans un service hospitalier.

    4. Feuille d'évolution : elle devra être utilisée à chaque examen médico-légal du détenu. Ainsi, lors du premier examen du détenu sera utilisé le protocole général et lors de chaque nouvel examen seront remplies les feuilles d'évolution (une feuille par examen). »

III. LES RAPPORTS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS DU CONSEIL DE L EUROPE (CPT)

26. Le rapport du 13 mars 2003 adressé au gouvernement espagnol par le CPT après la visite effectuée par celui-ci en juillet 2001 se lit comme suit |1| :

    « 9. Le CPT considère que les personnes détenues au secret doivent également avoir le droit d'être examinées par un médecin de leur choix, qui pourra effectuer son examen en présence du médecin officiel nommé par l'État. Cependant, dans leur réponse du 11 juillet 2001, les autorités espagnoles ont clairement déclaré qu'elles ne voyaient pas la nécessité de mettre en œuvre cette recommandation.

    A la demande des autorités espagnoles, le CPT a également proposé des modifications dans la rédaction des formulaires utilisés par les médecins légistes. Cependant, lors de la visite de 2001, ces recommandations n'avaient pas été incorporées et la délégation constata que, dans la plupart des cas, les médecins légistes n'utilisaient même pas la version en vigueur du formulaire [relatif au protocole à suivre]. (...) Le CPT encourage les autorités à adopter des mesures concrètes pour que ces formulaires soient utilisés. »

27. Le rapport du 10 juillet 2007 adressé au gouvernement espagnol par le CPT après la visite effectuée par celui-ci en décembre 2005 mentionne ce qui suit |2|:

    « 45. La Cour européenne des droits de l'homme utilise deux critères pour déterminer si une enquête a été effective :

    - l'enquête doit permettre de déterminer si le recours à la force était justifié ou non dans les circonstances (...),

    - des mesures raisonnables doivent avoir été prises pour assurer l'obtention des preuves relatives à l'incident en question, y compris, (...) le cas échéant, une autopsie propre à fournir un compte rendu complet et précis des blessures ainsi qu'une analyse objective des constatations cliniques, notamment de la cause du décès.

    L'arrêt Martinez Sala et autres c. Espagne du 2 novembre 2004 (§§ 156 à 160) constitue un exemple d'application de ces critères. »

28. Le rapport du 25 mars 2011 concernant la visite en Espagne effectuée par le CPT du 19 septembre au 1er octobre 2007 indique, concernant les personnes placées en garde à vue soumise à l'interdiction de communiquer, dont la durée maximale est de cinq jours (pouvant être prorogée jusqu'à un maximum de treize jours dans certains cas), que, pendant ce laps de temps, le détenu ne peut pas informer une personne de son choix de sa détention ni lui en communiquer le lieu, ne peut pas se faire assister par un avocat librement choisi ni s'entretenir en privé avec l'avocat désigné d'office. Le paragraphe 48 du rapport expose ce qui suit |3| :

    « 48. Concernant des personnes suspectées de délits prévus par l'article 384 bis du code pénal |4|, le contrôle juridictionnel de la détention relève exclusivement de l'Audiencia Nacional. Les personnes ainsi détenues doivent être « mises à la disposition » du juge compétent de l'Audiencia Nacional dans les 72 heures à compter de leur mise en détention. Par ailleurs, selon l'article 520 bis § 3 du code de procédure pénale, le juge compétent peut « à tout moment demander des informations sur la situation du détenu et vérifier celle-ci ».

    Toutefois, les informations recueillies lors de la visite [du CPT] de 2007 confirment qu'en, pratique, les personnes dont la détention est prolongée au-delà de 72 heures ne sont pas vues par le juge avant l'adoption de la décision de prolongation. L'autorisation de prolonger la détention (toujours au secret) jusqu'à 5 jours est donnée par un juge suivant une procédure écrite. En outre, lors des discussions avec l'Audiencia Nacional, la délégation a été informée que cette juridiction ne se prévaut pas en pratique de la possibilité que lui offre l'article 520 bis § 3 de procéder à une surveillance directe ou par personne interposée. A cet égard, le rôle du médecin légiste, qui rend visite au détenu une fois par jour, voire plus, est considéré comme suffisant. Pour sa part, le CPT estime que les visites d'un médecin légiste ne remplacent pas une surveillance juridictionnelle appropriée.

    Par ailleurs, l'examen par la délégation des documents relatifs aux personnes détenues en mars-avril 2007 montre que, au moins pour les cas passés en revue, le juge compétent de l'Audiencia Nacional n'a entrepris aucune action en réponse aux allégations de mauvais traitements. Il faut rappeler qu'en pareil cas la loi espagnole oblige le juge soit à ouvrir une enquête préliminaire sur les allégations formulées soit à déférer l'affaire à un autre tribunal compétent. »

Le CPT formule les recommandations suivantes à l intention des autorités espagnoles :

    « - (...) veiller à ce que la personne détenue au secret ait le droit d'informer une personne de son choix de sa détention et de lui en communiquer le lieu dès que possible et au plus tard 48 heures après sa privation initiale de liberté ;

    - prendre les mesures nécessaires pour que les personnes détenues au secret puissent s'entretenir avec un avocat en privé dès leur placement en détention ;

    - les médecins doivent établir des rapports médicaux et les remettre au juge ;

    - veiller à ce que les personnes détenues au secret aient le droit d'être examinées par un médecin de leur choix ;

    - établir des règles claires sur la procédure à suivre par les représentants de la loi pour mener les interrogatoires ;

    - ces règles doivent expressément interdire de bander les yeux des personnes en garde à vue ou de leur mettre une cagoule ;

    - interdire d'obliger les détenus à faire des exercices physiques ou à rester debout de manière prolongée ;

    - prendre des mesures pour améliorer sensiblement la tenue des registres par les représentants de la loi dans le cadre des détentions au secret (...) ;

    - les personnes détenues au secret doivent être correctement informées de leur situation juridique et de leurs droits ;

    - la législation (et les règlements) en vigueur doivent être modifiés sans délai afin d'interdire l'application aux mineurs du régime de détention au secret ;

    - les personnes assujetties à l'article 520 bis du code de procédure pénale doivent être systématiquement traduites physiquement devant le juge compétent avant qu'il statue sur la question de la prolongation de la détention au-delà de 72 heures ; s'il y a lieu, modifier la législation pertinente ;

    - le Conseil de la magistrature doit inciter les juges à adopter une approche plus proactive concernant les pouvoirs de surveillance dont ils disposent en vertu du paragraphe 3 de l'article 520 bis du code de procédure pénale ;

    - prendre des mesures appropriées (...) concernant l'enregistrement vidéo de détentions au secret. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

29. Bien que le requérant se référât, dans sa requête initiale, aux mauvais traitements qu'il allèguait avoir subi au cours de sa garde à vue au secret, il précisa dans ses observations du 13 mars 2012 sur la recevabilité et le fond de l'affaire que sa requête « est fondée, uniquement et exclusivement sur la violation des aspects procéduraux de l'article 3 de la Convention, à savoir le manque d'une enquête effective par les autorités nationales après le dépôt d'une plainte pour tortures et autres mauvais traitements ». Il invoque l'article 3 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes en l'espèce, est ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Au vu de ce qui précède, la Cour n'estime pas nécessaire de se pencher sur le volet matériel du grief relatif à l'article 3 de la Convention et décide de ne pas l'examiner plus en avant.

A. Sur la recevabilité

30. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les thèses des parties

31. Le Gouvernement se réfère à l'arrêt de la Cour Egmez c. Chypre, dans lequel il est dit que l'obligation de fournir un recours effectif pour faire valoir des griefs défendables fondés sur l'article 3 ne signifie pas nécessairement sanctionner les fonctionnaires impliqués (Egmez c. Chypre, nº 30873/96, § 70, CEDH 2000-XII). En ce qui concerne l'étendue d'une enquête approfondie et effective, il se réfère aux arrêts Assenov et autres c. Bulgarie (28 octobre 1998, §§ 103 et suivants, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII) et Archip c. Roumanie (nº 49608/08, §§ 61-62, 27 septembre 2011). Il indique qu'en l'espèce le requérant n'a suggéré que deux éléments de preuve, qui seraient la déclaration du détenu ayant partagé sa cellule et le visionnage de la vidéo de ses déclarations faites à la chaîne de télévision basque EITB le jour de sa remise en liberté, et il estime, comme l'aurait fait l'Audiencia Provincial dans sa décision, que ces éléments ne pouvaient pas fournir un éclairage nouveau sur les mauvais traitements allégués.

32. Le Gouvernement est par conséquent d'avis que, en raison de l'inexistence d'indices corroborant la plainte du requérant, le non-lieu rendu par la juge d'instruction nº 5 de Madrid et confirmé ultérieurement par l'Audiencia Provincial de Madrid doit être considéré comme étant suffisamment motivé et conforme à la jurisprudence de la Cour relative à l'article 3 de la Convention.

33. Le requérant allègue que l'enquête menée par les autorités ne peut être considérée comme suffisante au regard des exigences de l'article 3 de la Convention. Il soutient qu'à lui seul le traitement ayant consisté à lui couvrir la tête d'un sac en matière plastique constitue un traitement inhumain qui atteint, selon lui, le niveau de gravité nécessaire pour être qualifié de torture au sens de l'article 3 de la Convention.

34. Il fait ensuite référence à la déclaration du médecin légiste du 27 janvier 2004 devant la juge d'instruction nº 5 (paragraphe 18 ci-dessus) et soutient que les rapports médico-légaux des 21 et 22 février 2003 indiquaient qu'il avait répété avec insistance avoir été interrogé par des fonctionnaires de police illégalement et sans la présence d'un avocat. Selon le requérant, il était également noté qu'il aurait été maltraité durant trois séances d'interrogatoire. Enfin, le médecin légiste aurait confirmé dans sa déclaration judiciaire précitée que le requérant se serait montré « obsédé » par les interrogatoires.

35. Toujours aux dires du requérant, le juge central d'instruction est resté passif face à ses allégations quant aux sévices qui lui auraient été infligés pendant sa garde à vue au secret, et il n'a remis la plainte en question au juge de garde de Madrid qu'au bout de trois mois.

36. Le requérant reproche ensuite à la juge d'instruction nº 5 d avoir décidé le non-lieu sur la seule base des rapports du médecin légiste et en l'absence de tout indice physique. Elle ne l'aurait pas entendu personnellement, et aurait refusé de visionner la vidéo contenant l'enregistrement de ses déclarations faites à l'issue de sa détention et de citer à comparaître son codétenu, le seul témoin des faits d'après le requérant. La juge n'aurait pas non plus entamé d'investigations permettant d'identifier les personnes chargées de sa garde à vue et de sa surveillance dans les locaux de police et d'examiner les lieux. Il se réfère à cet égard aux paragraphes 23 à 26 de l'arrêt Beristain Ukar c. Espagne (nº 40351/05, 8 mars 2011) et aux paragraphes 36, 37, 40 et 44 de l'arrêt San Argimiro Isasa c. Espagne (nº 2507/07, 28 septembre 2010).

37. Dès lors, le requérant soutient que l'absence d'une enquête effective au sujet des allégations de mauvais traitements qu'il a formulées a emporté violation de l'article 3 de la Convention.

2. L'appréciation de la Cour

38. La Cour rappelle que, lorsqu'un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d'autres services comparables de l'Etat, des sévices contraires à l'article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l'Etat par l'article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu'il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l'instar de celle résultant de l article 2, doit pouvoir mener à l'identification et à la punition des responsables (voir, en ce qui concerne l'article 2 de la Convention, les arrêts McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 161, série A nº 324, Dikme c. Turquie, nº 20869/92, § 101, CEDH 2000-VIII, et Beristain Ukar, précité, § 28). S'il n'en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l'interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique et il serait possible dans certains cas à des agents de l'Etat de fouler aux pieds, en jouissant d une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil 1998-VIII).

39. En l'espèce, la Cour note que le requérant a été placé en garde à vue au secret pendant cinq jours, durant lesquels il n'a pas pu informer de sa détention une personne de son choix ni lui communiquer le lieu de sa détention et n'a pas pu se faire assister par un avocat librement choisi ni s'entretenir en privé avec l'avocat qui avait été désigné d'office. L'intéressé s'est plaint à deux reprises de manière précise et circonstanciée d'avoir fait l'objet de mauvais traitements au cours de sa garde à vue : la première fois, le 25 février 2003, lorsqu'il a été traduit devant le juge central d'instruction nº 6 de l'Audiencia Nacional ; la deuxième fois, le 25 mars 2003, lorsqu'il a porté plainte, sur la base des mêmes faits, devant le doyen des juges d'instruction de Madrid, plainte qui a été attribuée à la juge d instruction nº 5 de Madrid. La Cour estime dès lors que le requérant a un grief défendable sous l'angle de l'article 3 de la Convention. Elle rappelle que, dans ce cas, la notion de recours effectif implique, de la part de l'Etat, des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l'identification et à la punition des responsables (Selmouni c. France [GC], nº 25803/94, § 79, CEDH 1999-V).

40. S'agissant des investigations menées par les autorités nationales au sujet des allégations de mauvais traitements, la Cour observe que, d'après les informations fournies, le juge central d'instruction nº 6 auprès de l'Audiencia Nacional est resté passif face aux sévices dénoncés par le requérant lors de sa comparution. Quant à la juge d'instruction nº 5, qui avait connaissance de la plainte pénale déposée par le requérant, elle s'est bornée à examiner les rapports du médecin légiste et à entendre ce dernier en ses déclarations. Le requérant a demandé, dans ses recours de reforma et d'appel, à être entendu en personne et à faire entendre les agents impliqués ainsi que la personne qui était détenue avec lui dans la même cellule. Or ses demandes n'ont pas été prises en considération par la juge d'instruction nº 5, qui a demandé que le requérant fût entendu par le juge d'instruction nº 3 de Tolosa.

41. A la lumière des éléments qui précèdent, la Cour estime que les investigations menées dans la présente affaire n'ont pas été suffisamment approfondies et effectives pour remplir les exigences précitées de l'article 3 de la Convention. A cet égard, elle note que, malgré l'insistance du requérant pour dénoncer les sévices en cause, il ressort du dossier que la juge d'instruction nº 5 de Madrid a prononcé un non-lieu en se fondant uniquement sur les rapports médico-légaux et les déclarations du médecin légiste, sans avoir entendu personnellement le requérant. En appel, l'Audiencia Provincial de Madrid a confirmé le non-lieu, considérant qu'aucune démarche d'enquête supplémentaire ne se révélait nécessaire. Or, de l'avis de la Cour, les moyens de preuve supplémentaires sollicités par le requérant et, tout particulièrement, celui consistant à interroger les agents chargés de sa surveillance lors de la garde à vue en cause, auraient pu contribuer à l éclaircissement des faits, comme l'exige la jurisprudence de la Cour (paragraphe 38 ci-dessus).

La Cour insiste par ailleurs sur l'importance d'adopter les mesures recommandées par le CPT pour améliorer la qualité de l'examen médico-légal des personnes soumises à la détention au secret (paragraphes 26-28 ci-dessus). Elle estime que la situation de vulnérabilité particulière des personnes détenues au secret justifie la prise de mesures de surveillance juridictionnelle appropriées, prévues par le code de procédure pénale pour des cas de détention au secret, afin que les abus soient évités et que l'intégrité physique des détenus soit protégée (paragraphe 28 ci-dessus).

42. En conclusion, eu égard à l'absence d'enquête approfondie et effective au sujet des allégations défendables du requérant (Martinez Sala et autres c. Espagne, nº 58438/00, § 156-160, 2 novembre 2004), selon lesquelles il avait subi des mauvais traitements au cours de sa garde à vue, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention sous son volet procédural.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

43. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

44. A titre de réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi, le requérant sollicite une indemnité de 20 000 euros (EUR).

45. Le Gouvernement ne présente pas d'observations à cet égard.

46. La Cour considère que, compte tenu de la violation constatée en l'espèce, une indemnité pour tort moral doit être accordée au requérant. Statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, elle décide d'allouer au requérant 20 000 EUR.

B. Frais et dépens

47. Le requérant réclame une somme globale de 7 000 EUR pour les frais et dépens engagés au cours de la procédure devant la Cour et devant le Tribunal constitutionnel (recours d'amparo). Il présente une note de provisions de fonds à l'appui de ses prétentions.

48. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour, tenant compte des documents en sa possession et de sa jurisprudence, estime raisonnable la somme de 4 000 EUR et l'accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

49. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention sous son volet procédural ;

3. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 20 000 EUR (vingt mille euros) pour dommage moral,

ii. 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 octobre 2012, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago Quesada
Greffier

Josep Casadevall
Président


Notes

1. Note : traduction du Greffe. [Retour]

2. Note : traduction du Greffe. [Retour]

3. Note : traduction du Greffe. [Retour]

4. Délits commis par une personne appartenant à ou en rapport avec des bandes armées ou des individus terroristes. [Retour]


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