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13jun13


Les derniers "oubliés" de Bagram, le Guantanamo afghan


Officiellement, les Américains ne contrôlent plus la prison de Bagram. Mais ils y détiennent en réalité toujours 60 étrangers, dont Yunus et Amanatullah, deux Pakistanais arrêtés en Irak en 2004 sans motif clair et qui ne savent pas quand ils sortiront du "Guantanamo afghan".

Les Etats-Unis ont remis en mars au gouvernement afghan les clés de cette prison sise au pied des montagnes, au nord-est de la capitale Kaboul, et avec elle le contrôle de ses plus de 3.000 détenus.

Mais pas une soixantaine de non-Afghans, en majorité des Pakistanais, mais aussi des Saoudiens, des Koweïtiens... Otages d'un "trou noir" juridique, ces hommes qui n'ont jamais pu rencontrer d'avocat ni être accusés d'un quelconque crime sont les détenus oubliés de cette "prison dans la prison" américaine.

Comme Amanatullah Ali et Yunus Rahmatullah, deux chiites Pakistanais qui, selon leurs proches, s'étaient rendus en pèlerinage religieux dans le sud de l'Irak en 2004.

Arrêtés par les forces britanniques, qui les soupçonnent d'être liés à Al-Qaïda, les deux hommes ont été rapidement transférés en douce par les Américains.... en Afghanistan, dans leur prison de Bagram.

Près de dix ans plus tard, c'est dans un hameau perdu au bout du chapelet d'usines de textile en brique rouge cuivrée qui s'égrène à la sortie de Faisalabad, la "Manchester du Pakistan", que l'on retrouve Abdul Razzaq, le frère d'Amanatullah.

Sur des photos qu'il a précieusement conservées, on voit, en sépia, un Amanatullah dans la vingtaine à la fière moustache illuminant son visage ceint d'un collier de barbe. Puis en couleur, plus âgé avec une barbe noire et touffue.

"Mon frère était un marchand de riz. Il s'était rendu en Iran et a vu la lune de Moharram - premier mois du calendrier chiite - et a décidé de se rendre en Irak" pour faire le pèlerinage, souffle Abdul Razzaq, entre deux traits de thé au lait très sucré et assailli par les mouches.

Privés de pèlerinage dans leurs lieux saints du sud de l'Irak par Saddam Hussein, les chiites y ont afflué après sa chute, comme Amanatullah et Yunus, arrêtés ensemble. Les forces britanniques n'ont pas cru leurs explications.

Les deux hommes parlant ourdou, et non l'arabe, ils ne sont pas transférés à Guantanamo mais en Afghanistan, où les services américains disposaient de traducteurs pour les interroger.

Sans nouvelle de lui depuis l'Irak, la famille d'Amanatullah reçoit une lettre en 2005. "Nous pensions qu'il était mort ou kidnappé", se souvient son frère.

Quatre ans plus tard, Amanatullah a parlé une première fois à ses proches au téléphone. "Je me souviens de lui avoir demandé: as-tu des problèmes en prison? Et il m'a répondu : +la prison est en soi un problème".

Depuis, Abdul Razzaq prend plusieurs fois par an le bus pour aller à la capitale Islamabad, à 450 kilomètres de son village, où il peut voir et parler à son frère grâce à une connexion de type "Skype" établie entre Bagram et l'antenne locale de la Croix-Rouge (CICR). Les conversations sont cryptées et coupées par les Américains lorsque les sujets sont jugés trop sensibles.

"Ennemis combattants"

Aujourd'hui, les Etats-Unis se préparent à évacuer l'essentiel de leurs 65.000 soldats en Afghanistan d'ici la fin 2014. "Ils doivent donc libérer mon frère", espère Abdul Razzaq. Mais rien n'est si simple...

Interrogé par l'AFP, un responsable américain a expliqué sous couvert d'anonymat que Washington considérait ces détenus comme des "ennemis combattants" qui ne disposent donc pas des mêmes droits que les accusés des tribunaux civils américains. Il a également estimé qu'ils resteraient sous les verrous tant que les Américains n'auront pas quitté l'Afghanistan. Et comme ces derniers ont prévu de laisser au moins une partie de leurs troupes après 2014...

Saisie du cas de Yunus car ce dernier a été arrêté au départ par les forces britanniques, la Cour suprême du Royaume-Uni a déjà jugé "illégal" son transfert et sa détention à Bagram. Mais il n'a pas pour autant été libéré.

"Avec le retrait d'Afghanistan, la question devient encore plus pressante: +qu'est-ce que vous (Américains) allez faire de ces hommes toujours écroués+", demande l'avocate Sarah Belal, qui défend ces détenus qu'elle n'a jamais vus.

A Bagram comme à Guantanamo, les Etats-Unis doivent décider du sort de prisonniers qu'ils considèrent comme dangereux et détiennent parfois depuis de nombreuses années sans procès, des situations qui nourrissent le sentiment anti-américain dans le monde musulman.

Au fil des années, Washington en a libéré certains. Mais chaque rapatriement est un casse-tête, car il suppose de passer par des procédures en Afghanistan puis aux Etats-Unis qui peuvent s'étaler sur des années. Yunus a ainsi reçu un feu vert du conseil militaire américain de Bagram il y a trois ans, mais reste sous les verrous.

Un retour difficile

Petit montagnard à la voix grave et rauque, Kamil Shah est passé à travers cet enfer administratif et tente aujourd'hui de refaire sa vie au milieu des montagnes de son Kohistan natal, dans le nord-est du Pakistan, avec le sentiment d'avoir perdu à Bagram les meilleures années de sa vie.

Kamil affirme être venu à Kandahar pour soigner un ami malade, lorsqu'il a été arrêté et écroué par les Américains en 2004, à 17 ans à peine. "Ils me disaient: +Tu es membre d'Al-Qaïda, tu es un taliban+", se souvient-il.

Un an plus tard, il est transféré à Bagram, où rencontre d'ailleurs Amanatullah. "Il nous (les prisonniers) arrivait de penser que nous ne sortirions jamais de cette prison. Je me disais que je n'existais pas, que j'étais déjà mort", souffle-t-il aujourd'hui.

Quatre ans après sa libération, Kamil doit encore prévenir la police lorsqu'il quitte son village. Sans diplôme, sans emploi, il vivote. Il aimerait bien voir son nom officiellement blanchi par les Américains, comme d'autres ex-détenus de Bagram, qui attendent toujours cet aveu qui ne viendra sans doute jamais.

[Source: El Watan, Afp, Alger, 13jun13]

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