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26oct15

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Résumé de la cinquième réunion du Réseau mondial des coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger


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Nations Unies
Conseil de sécurité

S/2015/815

Distr. générale
26 octobre 2015
Français
Original : anglais

Lettre datée du 22 octobre 2015, adressée au Président du Conseil de sécurité par les Représentants permanents du Chili et de l'Espagne auprès de l'Organisation des Nations Unies

Nous avons l'honneur de vous faire savoir que les Gouvernements chilien et espagnol, en association avec le Centre mondial pour la responsabilité de protéger et la Stanley Foundation, ont organisé à Madrid les 23 et 24 juin 2015 la cinquième réunion du Réseau mondial des coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger.

Les Gouvernements chilien et espagnol ont l'honneur de vous faire tenir, ci-joint, en rapport avec la question des menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité internationales, le résumé et les conclusions de cette réunion (voir l'annexe).

Nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir faire distribuer le texte de la présente lettre et de son annexe comme document du Conseil de sécurité.

L'Ambassadeur,
Représentant permanent du Chili
(Signé) Cristián Barros Melet

L'Ambassadeur,
Représentant permanent de l'Espagne
(Signé) Román Oyarzún Marchesi


Annexe à la lettre datée du 22 octobre 2015 adressée au Président du Conseil de sécurité par les Représentants permanents du Chili et de l'Espagne auprès de l'Organisation des Nations Unies

Cinquième réunion du Réseau mondial des coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger (Madrid, juin 2015)

Introduction

Les 23 et 24 juin 2015 à Madrid, les Gouvernements chilien et espagnol, en association avec le Centre mondial pour la responsabilité de protéger et la Stanley Foundation, ont organisé la cinquième réunion du Réseau mondial des coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger. De hauts représentants des gouvernements de plus de 50 pays de toutes les régions du globe ainsi que la Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la responsabilité de protéger, Jennifer Welsh, ont participé à cette réunion. Le Secrétaire d'État espagnol aux affaires étrangères, Ignacio Ybânez Rubio, et l'Ambassadeur du Chili en Espagne, Francisco Marambio Vial, ont prononcé des discours d'ouverture.

La réunion avait pour thème : « Dix ans de responsabilité de protéger : faire face aux nouveaux défis qui menacent les communautés vulnérables ». Lors de la réunion, les coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger ont présenté un bilan des capacités que leur gouvernement a mis en place à l'échelle nationale et mis en œuvre à l'échelle internationale depuis l'adoption du principe de la responsabilité de protéger au Sommet mondial de 2005 pour prévenir les atrocités criminelles. Ils se sont également penchés sur les stratégies à adopter face aux nouvelles menaces qui pèsent sur les populations, notamment les crimes commis par des acteurs non étatiques. Les participants se sont particulièrement intéressés au phénomène des combattants étrangers, à l'assiègement des populations minoritaires et sur les attaques sexistes ciblées, y compris les enlèvements et les disparitions.

Les débats ont été animés par six experts - Alex Bellamy du Centre de la région Asie -Pacifique pour la responsabilité de protéger, Luis Peral du Club de Madrid, Rita Izsak, Rapporteuse spéciale sur les questions relatives aux minorités, Patrick Travers du Bureau de la prévention du génocide et de la responsabilité de protéger, Lauren Wolfe de Women Under Siege et Saudatu Mahdi, responsable de la campagne « Bring Back our Girls ». En conclusion, les participants ont engagé une réflexion sur les moyens qui permettraient d'approfondir la coopération actuelle entre les coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger dans la mesure où le Réseau regroupe désormais plus du quart des États Membres de l'ONU.

Le présent document offre une synthèse des principaux points abordés à Madrid et des recommandations quant au rôle que les coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger peuvent jouer pour faire face aux nouveaux défis qui concernent la protection des civils et prévenir les atrocités perpétrées contre des populations vulnérables.

Dix ans de responsabilité de protéger : bilan et perspectives

Lors de la séance d'ouverture, les coordonnateurs ont abordé la question des progrès réalisés par le Réseau mondial et par ses membres pour renforcer les capacités de prévention à l'échelle nationale et internationale; ont évoqué sans détour l'évolution de la prévention des atrocités criminelles depuis l'adoption du document final du Sommet mondial de 2005, qu'il s'agisse aussi bien des engagements pris par différents États et organisations, que des difficultés pratiques que la communauté internationale continue à rencontrer pour empêcher ces crimes et pour y mettre fin dans le monde entier.

Engagements nationaux

D'un point de vue historique, il est évident qu'aucun pays n'est à l'abri d'atrocités criminelles. À mesure que les membres du Réseau mondial ont décrit les efforts engagés dans leur pays, il est apparu clairement que la question n'était plus de savoir si certains États avaient besoin de mécanismes nationaux de prévention et, dans l'affirmative, quand ils en auraient besoin, mais comment chacun s'acquittait de ses responsabilités au titre des premier et deuxième piliers. Tous les coordonnateurs ont convenu de la nécessité d'organiser, à l'échelle nationale, un débat interministériel axé sur les mesures de protection des droits de l'homme et de prévention des atrocités criminelles.

Les participants ont évoqué diverses initiatives auxquelles ils contribuent en tant que coordonnateurs. Plusieurs ont mentionné les travaux interministériels visant à déterminer les possibilités d'intégrer la prévention des atrocités criminelles à l'ensemble des actions des pouvoirs publics. En écho, certains participants ont indiqué que la responsabilité de protéger influe sur la prise de décision politique dans divers domaines, notamment la sécurité et la justice, mais aussi le commerce et le développement. D'autres ont abordé les questions de la formation dans le secteur de la sécurité et de la sensibilisation des acteurs publics aux problèmes que posent la prévention des atrocités criminelles et la responsabilité lorsque de tels crimes perdurent. Les coordonnateurs de plusieurs États sortis d'un conflit au cours des 20 dernières années ont évoqué les difficultés de la prévention structurelle, en soulignant que, même si la prévention est sans doute plus facile à aborder que d'autres aspects de la responsabilité de protéger, le renforcement des institutions qui protègent les droits de l'homme prenait beaucoup de temps et nécessitait détermination et persévérance de la part des pouvoirs publics.

S'agissant des responsabilités nationales au titre des deuxième et troisième piliers, certains participants ont expliqué comment les efforts nationaux se concrétisaient à l'échelle régionale et internationale. Il est essentiel que les pays fournisseurs de contingents qui participent à des missions de maintien de la paix forment les personnels des forces de sécurité à déceler les facteurs de risque et à mieux protéger les populations exposées à des atrocités criminelles, quel que soit le niveau du risque d'atrocités auquel ils sont confrontés sur leur propre territoire. De même, certains participants ont évoqué la responsabilité qui incombe aux États de mieux comprendre les facteurs de risque d'atrocités et les moyens diplomatiques appropriés lorsqu'ils siègent au Conseil de sécurité, plusieurs d'entre eux invitant les cinq membres permanents à s'abstenir d'exercer leur droit de veto lorsque des atrocités criminelles sont perpétrées.

Certains participants ont également réfléchi aux mesures à prendre pour intégrer les efforts nationaux dans une perspective régionale et ont par exemple indiqué qu'il était nécessaire de veiller à ce que les facteurs pris en compte dans le Cadre d'analyse des atrocités criminelles établi par l'ONU soient repris dans le dispositif d'alerte rapide de l'Union européenne. Certains pays, en particulier d'Asie et du Moyen-Orient, se sont attachés à encourager les États voisins à se consacrer davantage à la responsabilité de protéger, à la protection de la population et, plus généralement, à la prévention des atrocités criminelles.

Engagements internationaux

S'agissant des engagements internationaux, les échanges ont essentiellement porté sur les progrès conceptuels et concrets enregistrés depuis 2005. Certains participants ont estimé que, au vu des conflits en cours en République arabe syrienne, en République centrafricaine, au Soudan du Sud et ailleurs, et des critiques persistantes concernant la réaction en Libye au titre du troisième pilier, il était facile de ne pas voir les points positifs. Ils étaient toutefois encouragés par la manière dont les mécanismes d'intervention en cas d'atrocités avaient évolué en 20 ans, depuis les événements survenus au Rwanda et à Srebrenica.

À l'heure actuelle, la protection des civils fait partie du mandat de 10 des 16 missions de maintien de la paix des Nations Unies et une grande partie de ces mandats comporte en outre un volet spécifique consacré à la responsabilité de protéger. De plus, des projets comme l'initiative Les droits de l'homme avant tout et son plan d'action montrent le rôle moteur du Secrétariat de l'ONU dans la prévention des atrocités criminelles.

Par ailleurs, de nombreux participants se sont félicités du fait que les rapports annuels du Secrétaire général sur la responsabilité de protéger précisent les règles applicables, attirent régulièrement l'attention sur cette question, assurent un dialogue permanent sur la responsabilité de protéger et encouragent les États et les organisations à continuer à concevoir des mécanismes de prévention des atrocités qui soient efficaces. L'un des participants a relevé que, alors qu'en septembre 2005, il était difficile de dire quelle suite serait donnée aux paragraphes 138 et 139 du document final du Sommet mondial et même s'il y en aurait, les participants devraient se sentir confortés par les évolutions concrètes qui avaient eu lieu depuis à l'échelle nationale et internationale en matière d'alerte rapide, de prévention et d'intervention.

Enfin, au vu de l'examen en profondeur actuel des activités de maintien de la paix et de consolidation de la paix de l'ONU et de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, ainsi que de l'élaboration du plan d'action de l'initiative Les droits de l'homme avant tout et des débats autour des nouveaux objectifs de développement durable, tous les participants ont reconnu que la responsabilité de protéger constituait une question transversale essentielle. L'année 2015 a donné maintes occasions aux États de procéder à une évaluation critique de leurs lacunes en matière de capacités de prévention des atrocités dans une série de domaines prioritaires pour les Nations Unies et l'ensemble de la communauté internationale. Compte tenu du nombre actuel de réfugiés, qui n'a jamais été aussi élevé depuis la Seconde Guerre mondiale, et des conflits marqués par des atrocités criminelles qui se déroulent actuellement, la responsabilité de protéger n'a sans doute jamais été si nécessaire.

Responsabilité de protéger et acteurs non étatiques

Dans diverses parties du monde, les atrocités criminelles sont de plus en plus souvent perpétrées par des groupes armés non étatiques. Or, comme la responsabilité de protéger est surtout un principe articulé autour des États, il reste des lacunes conceptuelles dans notre interprétation commune de la manière dont ce principe s'applique à ces groupes et de la façon de réagir efficacement face aux atrocités qu'ils commettent. Néanmoins, les États ont le devoir de protéger leur population contre les atrocités criminelles perpétrées par des extrémistes violents, d'aider les autres pays à assurer cette protection et de prendre les mesures nécessaires pour protéger les populations de tels actes.

Lors de la réunion, les coordonnateurs se sont penchés sur des sujets d'intérêt commun concernant la responsabilité de protéger, le terrorisme et la lutte contre l'extrémisme violent et sur la question de savoir quand et comment appliquer ces différentes démarches pour mettre fin aux atrocités criminelles commises par des groupes armés non étatiques. Comme certains de ces groupes ont renforcé leurs capacités et sont même devenus des quasi -États, à l'instar de l'État islamique d'Iraq et du Levant (EIIL) en Iraq et en République arabe syrienne, il est désormais encore plus pertinent et urgent de s'attaquer à ces problèmes.

La discussion a principalement porté sur deux objectifs : réduire les moyens dont disposent les extrémistes violents pour perpétrer des atrocités criminelles et empêcher la radicalisation des civils et leur recrutement par des groupes extrémistes violents. Il n'existe pas de méthode unique pour faire face à ces menaces, car chaque groupe et chaque situation nécessitent une approche spécifique, mais les différents cas présentent néanmoins certains points communs.

Réduire les moyens disponibles pour perpétrer des atrocités criminelles

Par définition, les groupes armés non étatiques exigent des mesures différentes de celles qui concernent les États qui commettent des crimes ou qui ne protègent pas leur population. La médiation et la diplomatie, les sanctions, la saisine de la Cour pénale internationale et les autres méthodes utilisées pour dissuader des acteurs étatiques de commettre des crimes ne peuvent pas être appliquées de la même manière aux groupes extrémistes violents et n'ont donc pas le même effet sur eux.

Cependant, même si les mécanismes de dissuasion et de sanction des atrocités criminelles sont difficiles à mettre en œuvre, les États peuvent agir. Ils peuvent se servir de mécanismes existants pour limiter l'accès des extrémistes violents aux armes et autres moyens qui leur permettent de commettre des crimes et, par exemple, mettre en place des procédures qui permettent de ralentir les mouvements d'armes à l'échelle mondiale en ratifiant le Traité sur le commerce des armes. Ils peuvent aussi renforcer les dispositions des accords sur les armes existants en imposant des embargos à certains pays et en veillant à ce que les facteurs de risque d'atrocités criminelles soient évalués avant que des armes ne soient vendues à des pays où elles pourraient être délibérément utilisées à mauvais escient, revendues illégalement à des acteurs non étatiques ou tomber d'une autre manière entre de mauvaises mains.

Il est également d'une importance cruciale de gêner le financement des groupes extrémistes violents afin de réduire leur capacité à perpétrer des atrocités criminelles. Dans ce cadre, il est indispensable de limiter la capacité des groupes non étatiques à exploiter les ressources naturelles et les objets patrimoniaux et à les vendre ou les acheter illicitement.

Dans nombre de pays en développement, les frontières sont mal protégées, de sorte qu'elles n'empêchent pas véritablement l'entrée d'armes, de ressources illicites et de membres de groupes non étatiques sur leur territoire. Souvent, les forces de sécurité ne sont pas suffisamment armées pour dissuader les extrémistes violents de lancer des attaques. Pour lutter contre l'extrémisme violent, il faut aussi affaiblir le soutien dont bénéficient les réseaux sur lesquels ils s'appuient. Il est possible d'atteindre partiellement cet objectif par un dialogue constructif avec les populations locales.

Enfin, certains ont proposé que le Conseil des droits de l'homme nomme un rapporteur spécial sur la lutte contre l'extrémisme violent. Ce rapporteur pourrait apporter son concours à la conception d'une approche globale des groupes armés non étatiques, qui comprendrait des stratégies non militaires axées sur les facteurs socioéconomiques qui permettent à ces groupes de naître et de proliférer. Il pourrait également contribuer à préciser la distinction entre des actes particuliers de terrorisme et les atrocités criminelles systématiques perpétrées par des groupes extrémistes violents.

Les crimes qui sont commis par des acteurs non étatiques représentent un enjeu mondial et exigent une stratégie internationale coordonnée pour s'attaquer aux problèmes qu'ils posent. La stratégie mise en œuvre ne doit pas être simplement militaire mais doit être multiforme et permettre de réduire les écarts socioéconomiques. Elle doit également se traduire par une gestion constructive de la diversité grâce à des réformes structurelles destinées à mettre fin à la discrimination, à réduire au maximum les disparités et à promouvoir l'égalité et l'intégration des différents groupes ethniques et religieux.

Prévention de la radicalisation

La prévention des atrocités perpétrées par des groupes armés non étatiques exige également d'empêcher ces groupes de recruter de nouveaux membres. Il s'agit de prévenir aussi bien la radicalisation de sympathisants potentiels qui en viennent à former un groupe armé non étatique que l'augmentation du nombre de combattants étrangers qui rejoignent ces groupes. Une éducation dont l'objectif est de promouvoir la cohésion sociale et de souligner l'importance de la diversité au sein d'une société est essentielle pour prévenir le développement de l'extrémisme violent.

Les États doivent s'attaquer aux revendications socioéconomiques qui peuvent parfois conduire des individus à se tourner vers des groupes armés. Pour qu'ils puissent concevoir des stratégies de lutte contre les actions des extrémistes violents, ils doivent comprendre les causes profondes d'un conflit à l'échelle nationale et internationale. L'un des moyens qui permettent de mieux cerner ces causes consiste à intensifier les contacts avec la société civile, ce qui contribue à séparer les groupes extrémistes violents des personnes dont ils prétendent avoir le soutien.

Sans une bonne compréhension les revendications sous-jacentes, les mesures de sécurité adoptées risquent d'exacerber les tensions existantes et peuvent contribuer à radicaliser davantage certaines franges de la population. De plus, la réaction doit être globale - et pas uniquement militaire - et les forces de sécurité devraient être entraînées à répondre de manière proportionnée à l'extrémisme violent, dans le strict respect du droit international.

La marginalisation et les inégalités perçues ou réelles constituent l'une des sources connues de radicalisation dans certains pays où pèse la menace grandissante des groupes extrémistes violents. Les États doivent mettre en place des politiques qui favorisent la cohésion sociale et permettent de construire une histoire nationale solidaire. Étant donné que les récits de marginalisation et de persécution jouent souvent un rôle central dans les stratégies de recrutement des groupes armés non étatiques, il est essentiel que les pouvoirs publics contribuent à élaborer des contre-discours grâce à des mécanismes comme le dialogue interreligieux ou les échanges interculturels.

Ce problème concerne également les discours généraux de lutte contre l'extrémisme violent. La marginalisation, notamment des minorités ethniques et religieuses, permet à des acteurs non étatiques comme l'EIIL d'étendre leur influence et d'attirer des combattants étrangers.

Communautés vulnérables

Dans de nombreux pays, certains groupes de population - notamment les minorités ethniques et religieuses - sont particulièrement exposés à des attaques ciblées ou touchés de façon disproportionnée par la violence et les conduites criminelles liées à un conflit. Même en l'absence de conflit, dans certains cas, l'État adopte envers ces communautés des politiques ou une attitude discriminatoires qui engendrent un climat de laxisme à l'égard des crimes perpétrés à leur encontre. C'est ainsi que la violence ciblée sur des communautés vulnérables a contribué à aggraver une crise internationale qui a porté le nombre de personnes déplacées et de réfugiés à son plus haut niveau depuis la Seconde Guerre mondiale, les musulmans Rohingya du Myanmar et les Syriens venant grossir les rangs d'autres populations fuyant persécutions, guerres et atrocités.

Au cours de la présente session, les coordonnateurs ont abordé la question des moyens de protéger ces groupes de population, et ont examiné des exemples récents de situations où des populations qui jusque-là avaient coexisté de manière relativement pacifique s'étaient mobilisées en fonction de leur appartenance ethnique ou religieuse après qu'un conflit ait éclaté. Ainsi, la nature du conflit en République centrafricaine avait changé, passant d'une crise politique à un déchaînement de violence à base religieuse entre groupes armés chrétiens et musulmans. Les participants ont noté que face à une telle évolution des conflits, le Cadre d'analyse des atrocités criminelles était un outil intéressant pour sensibiliser aux risques inhérents aux revendications identitaires et à leur dévoiement.

Les États et leurs partenaires devraient être davantage conscients de l'impact des politiques et des pratiques gouvernementales qui incitent directement à la discrimination ou contribuent indirectement à la marginalisation. Au Myanmar, par exemple, des politiques discriminatoires envers les Rohingya, notamment en les privant de la citoyenneté, ont contribué à créer un climat de laxisme à l'égard des violences collectives dirigées contre eux.

Les acteurs nationaux et internationaux, notamment les partenaires de développement, doivent être conscients des risques politiques du soutien qu'ils apportent à certains groupes vulnérables. Si elle n'est pas convenablement mise en œuvre, l'assistance fournie peut être perçue comme du parti pris et conduire au durcissement des clivages sociaux, contribuant ainsi à la perpétuation des problèmes de protection.

Les participants ont également débattu de la tendance croissante des auteurs de telles violences à assiéger les populations minoritaires qu'ils prennent pour cible (en particulier les Yézidis, dans la région de Sinjar, en Iraq) et de la question de savoir si la communauté internationale avait mis au point, depuis Srebrenica il y a vingt ans, des mécanismes de réaction plus puissants face à cette tactique d'encerclement. De l'avis général, la plupart du temps, les forces de maintien de la paix des Nations Unies n'avaient pas, aujourd'hui encore, la capacité de protéger ces communautés comme il le conviendrait. En réaction au recours fréquent à cette tactique d'encerclement dans les conflits, comme la guerre civile en République arabe syrienne, le Conseil de sécurité des Nations Unies avait néanmoins menacé d'imposer des sanctions et adopté des résolutions demandant avec insistance la levée des sièges et l'ouverture de couloirs humanitaires

Les États qui respectent les principes de bonne gouvernance et l'état de droit, et qui ont une démocratie qui fonctionne, sont structurellement mieux armés pour promouvoir et protéger les droits de l'homme, notamment ceux des minorités vulnérables. En outre, les mesures qui visent à réduire les inégalités entre les groupes peuvent aider à faire disparaître certains éléments déclencheurs de violences intercommunautaires. Les politiques d'intégration atténuent les facteurs de risque associés aux atrocités criminelles.

Enfin, le Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités a déclaré que les coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger devraient examiner la liste complète des recommandations issues de la septième session du Forum sur les questions relatives aux minorités qui s'est tenue en novembre 2014, et qui a consacré ses travaux à la prévention et au traitement de la violence et des atrocités criminelles ciblées sur les minorités.

Problèmes particuliers auxquels les femmes sont confrontées dans les situations d'atrocités criminelles

Les femmes et les filles sont beaucoup plus durement touchées par les déplacements de population et la violence sexiste qui surviennent dans les situations d'atrocités criminelles. Dans nombre de crises actuelles, les parties au conflit ont eu recours au viol en tant qu'arme de guerre, tandis que dans d'autres crises, les forces de sécurité envoyées pour protéger les populations se sont parfois également livrées à des actes de violence sexuelle et sexiste.

Les ciblages systématiques de femmes et de filles en période de conflit se sont multipliés parallèlement à la montée en puissance des acteurs non étatiques commettant des atrocités criminelles. La traite de femmes et les mariages forcés sont des traits caractéristiques de nombreux conflits, notoirement au Nigéria avec l'enlèvement et la traite de femmes et d'enfants perpétrés par Boko Haram. Par ailleurs, la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit observait récemment que, en Iraq et en République arabe syrienne, « l'EIIL a institutionnalisé la violence sexuelle et le traitement brutal des femmes dont il a fait un élément central de son idéologie et de ses opérations, l'utilisant comme une tactique de terrorisme pour atteindre ses objectifs stratégiques clefs ».

Réfléchissant sur ces menaces et sachant que l'application de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité était en cours d'examen, les coordonnateurs ont débattu des moyens de prévention et de protection permettant de répondre aux besoins spécifiques des femmes, tels que le renforcement de la protection contre la violence sexuelle et sexiste, l'amélioration des mécanismes de prévention, notamment l'obligation de rendre des comptes pour les crimes perpétrés à l'encontre des femmes, et l'amplification des mesures de rétablissement, en particulier dans les camps de réfugiés et de personnes déplacées où les femmes sont particulièrement vulnérables.

Les participants ont examiné trois mesures spécifiques visant à prévenir les crimes à l'encontre des femmes et à traiter leurs conséquences. Premièrement, un grand nombre de pays et de missions de maintien de la paix ne sont pas en mesure d'offrir les soins de santé et la prise en charge psychosociale nécessaires suite à des violences sexuelles ou à un enlèvement avec séquestration. L'amélioration des actions à mener après la commission des atrocités passe par le renforcement de ces mécanismes. Deuxièmement, les forces de sécurité ont besoin de recevoir une formation appropriée autant au sujet de la protection des femmes contre la violence sexiste que des conséquences pour elles si elles commettaient elles-mêmes de tels actes. Cette formation revêt une importance particulière en cas de conflits impliquant des militaires, comme en République démocratique du Congo, où dans le passé, les violences sexuelles ont très souvent été commises par des membres des forces de sécurité. Troisièmement enfin, la réaction aux atrocités et la mise en cause de leurs auteurs seraient meilleures si les commissions d'enquête tenaient compte de la dimension sexiste ou comprenaient un ou une spécialiste de ces questions.

L'un des axes principaux de la résolution 1325 (2000) était de demander aux institutions nationales, régionales et internationales de faire davantage participer les femmes à la prise de décisions et aux mécanismes de prévention et de règlement des conflits. Depuis son adoption, le nombre de femmes soldats de la paix a augmenté et plus de 40 États ont adopté des plans d'action nationaux sur les femmes, la paix et la sécurité.

Les participants ont également appris, à partir de l'exemple de la campagne « Rendez-nous nos filles » (Bring Back Our Girls) au Nigéria, que des initiatives de paix lancées par des femmes pouvaient inciter des gouvernements à plus d'action et de transparence, et appeler l'attention de la communauté internationale sur une situation où sont perpétrées des atrocités massives. Il n'en reste pas moins que dans certains États, on continue d'empêcher les femmes de jouer un rôle dans leur propre protection. Comme l'a noté un participant, dans bon nombre de pays sortant d'une crise, les processus de paix se sont déroulés sans la participation des femmes; moins de 20 % des accords de paix font référence aux problèmes des femmes et moins de 5 % de l'argent dépensé pour réformer le secteur de la sécurité est spécifiquement consacré aux problèmes des femmes.

La voie à suivre : principales recommandations

La cinquième réunion du Réseau mondial des coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger a donné lieu à des échanges de vues cruciaux sur la prévention des atrocités et les nouveaux défis en matière de protection des civils. Les recommandations ci-après ont été soumises à l'examen des États :

    a) Chaque État devrait reconnaître que la responsabilité de protéger est une question transversale. Les gouvernements devraient encourager le dialogue interministériel sur la prévention des atrocités criminelles;

    b) Chaque État devrait assurer une formation sur les droits des minorités et la protection des populations vulnérables, y compris les besoins de protection particuliers des femmes dans les situations de conflit. Une telle formation devrait être proposée aux personnels du secteur de la sécurité et de tous les ministères concernés;

    c) Dans les pays en développement et les pays « fragiles », l'autorité de l'État a souvent besoin d'être étendue aux régions périphériques du pays. Il est également important de mettre en place des mécanismes qui permettent aux acteurs de la société civile d'intervenir localement et de renforcer les mécanismes de prévention;

    d) Tous les États devraient signer et ratifier le Traité sur le commerce des armes pour aider à réduire le flux d'armes de petit calibre à destination d'acteurs non étatiques;

    e) Chaque État devrait encourager l'ONU et le Conseil des droits de l'homme à utiliser le Cadre d'analyse des atrocités criminelles lorsqu'ils font rapport sur des conflits, en particulier dans les rapports de commission d'enquête et les rapports périodiques du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur la situation dans les pays;

    f) Chaque État devrait appuyer la nomination éventuelle d'un rapporteur spécial sur la lutte contre l'extrémisme violent;

    g) Dans les débats portant sur les normes internationales et les politiques afférentes à ce domaine, chaque État devrait inciter à mettre l'accent sur les atrocités criminelles et veiller, en particulier, à ce que la responsabilité de protéger soit prise en compte dans les échanges de vues qui se tiennent au Conseil des droits de l'homme et au sein des organisations régionales;

    h) Chaque État devrait encourager les organisations régionales à étendre leurs dispositifs d'alerte rapide à la prévention des atrocités criminelles;

    i) Lorsqu'ils siègent au Conseil de sécurité, les États devraient se soucier de maintenir l'équilibre entre besoins de protection des civils et moyens opérationnels dans la définition des mandats des opérations de maintien de la paix, et veiller à ce que la responsabilité de protéger ne soit pas oubliée dans l'approche des conflits et des crises où des atrocités massives sont commises ou risquent de l'être.

Conclusions

La cinquième réunion du Réseau mondial des coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger s'est tenue à un moment critique qui justifiait une réflexion sur les enseignements tirés de l'expérience acquise au cours de la décennie écoulée depuis l'adoption du principe de la responsabilité de protéger. Le débat a été particulièrement important pour aider les coordonnateurs à se faire une opinion sur les progrès accomplis par leurs pays, mais aussi sur les difficultés auxquelles la communauté internationale est actuellement confrontée pour le mettre en œuvre.

L'échange de vues sur la problématique des acteurs non étatiques et des populations vulnérables a incité les coordonnateurs à réfléchir en termes pratiques aux moyens de prévention et de protection à mettre en œuvre face aux nouveaux défis et aux nouvelles menaces. Comme l'a noté un des participants, « si l'on veut être sûr que la norme ne réponde pas seulement aux urgences d'hier, il faut aussi marquer des points dans l'adaptation aux nouveaux défis, et les coordonnateurs bénéficient du fait que le Réseau mondial envisage les conséquences futures de besoins sans précédent ».


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