Informations
Equipo Nizkor
        Bookshop | Donate
Derechos | Equipo Nizkor       

02mar17

English | Español | Русский


Lettre du Président du TPIY informant que la Serbie ignore ses obligations que lui impose le Statut du Tribunal


Nations Unies
Conseil de sécurité

S/2017/180

Distr. générale
2 mars 2017
Français
Original : anglais

Lettre datée du 1er mars 2017, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Président du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie

En ma qualité de Président du Tribunal international chargé de juger les personnes accusées de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991, j'ai l'honneur de vous informer, par la présente, que la Serbie persiste à ignorer les obligations que lui impose l'article 29 du Statut du Tribunal, concernant la procédure en instance engagée contre Petar Jojic, Jovo Ostojic et Vjerica Radeta pour outrage au Tribunal.

Vous vous souviendrez que les mandats d'arrêt portant ordre de transfèrement, délivrés le 19 janvier 2015 à l'encontre des accusés, n'ont toujours pas été exécutés et que mon prédécesseur, Theodor Meron, a signalé la première fois ce manquement dans sa lettre datée du 13 octobre 2015 adressée au Président du Conseil de sécurité. Que plus de deux années plus tard la Serbie n'ait toujours pas exécuté ces mandats d'arrêt est extrêmement préoccupant.

Par conséquent, comme suite à une décision rendue le 14 septembre 2016 par la Chambre de première instance I, qui m'informait ainsi formellement du refus persistent de la Serbie de s'acquitter des obligations que lui impose l'article 29 du Statut, et en application de l'alinéa a) de l'article 7 bis du règlement de procédure et de preuves du Tribunal, je fais officiellement part des préoccupations du Tribunal par la présente et demande au Conseil de sécurité de se prononcer sur cette question extrêmement grave.

Je tiens à rappeler d'emblée que la Serbie est tenue de coopérer avec le Tribunal, conformément à l'article 29 du Statut, et que cette obligation s'applique incontestablement aux affaires d'outrage. À cet égard, j'appelle votre attention sur la décision rendue le 2 août 2016 par la Chambre de première instance concernant la coopération des autorités serbes avec le Tribunal, dans laquelle la Chambre a affirmé que l'article 29 faisait obligation aux États de coopérer avec le Tribunal sur les affaires d'outrage et appelé l'attention sur les points suivants :

    a) Le texte de l'article 29 du Statut du Tribunal n'est pas dépourvu d'ambiguïtés, car il dit que les États doivent coopérer avec le Tribunal concernant « toute demande d'assistance »;

    b) Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie établit clairement dans sa jurisprudence qu'il a compétence sur les affaires d'outrage, sachant qu'il est essentiel qu'il puisse poursuivre les personnes qui se seraient rendues coupables d'outrage pour pouvoir juger efficacement celles qui seraient responsables de violations graves du droit international humanitaire;

    c) Le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux comprend clairement l'outrage parmi les crimes relevant de sa compétence, ce qui montre l'intention du Conseil de sécurité de veiller à ce que l'obligation de coopération des États s'exerce aussi en cas d'outrage;

    d) La Serbie ne peut pas se prévaloir de ses lois nationales pour justifier un manquement à ses obligations internationales;

    e) La Serbie a coopéré par le passé à l'arrestation et au transfèrement de personnes accusées d'outrage.

Comme je l'ai fait remarquer à plusieurs reprises, toute entrave à l'administration de la justice compromet l'intégrité des procédures du Tribunal et a un effet dissuasif sur les témoins et les témoins potentiels. Il est par conséquent essentiel que le Tribunal puisse juger le plus tôt possible cette affaire d'outrage et, surtout, avant la fin de son mandat, qui est imminente. En outre, j'estime qu'à ce stade, toutes les voies diplomatiques sont épuisées et que la Serbie a eu suffisamment de temps pour honorer ses obligations en l'espèce.

De fait, j'ai soulevé à de nombreuses reprises le problème du refus de coopérer de la Serbie lorsque j'ai pris la parole devant l'Organisation des Nations Unies en ma qualité de Président du Tribunal, y compris lors de l'exposé que j'ai fait au Conseil de sécurité le 8 juin 2016 et de la présentation à l'Assemblée générale du rapport annuel du Tribunal, le 9 novembre 2016. Cette question a été également évoquée dans les évaluations et rapports sur le Tribunal en date des 1 7 mai 2016 (S/2016/454) et 17 novembre 2016 (S/2016/976), ainsi que dans les observations que j'ai faites devant le Groupe de travail informel sur les tribunaux internationaux, le 7 décembre 2016. J'ai encore soulevé le problème dans l'exposé que j'ai présenté au Conseil de sécurité, le 8 décembre 2016, et demandé instamment aux membres du Conseil de faire en sorte que la Serbie donne suite aux ordonnances du Tribunal et s'acquitte des obligations que lui impose l'article 29 du Statut du Tribunal.

À ce propos, j'ai regretté qu'à la réunion tenue par le Conseil de sécurité, le 8 décembre 2016, le représentant de la Serbie ait nié l'obligation qu'avaient les autorités de son pays de coopérer avec le Tribunal sur les affaires d'outrage. J'ai l'ai écouté attentivement justifier cette position par la décision rendue par la Haute Cour de Belgrade, le 18 mai 2016. Il a déclaré que le Statut du Tribunal ne prévoyait tout simplement pas la remise des personnes accusées d'outrage, que cette disposition n'était pas inscrite dans le Statut. Il a ajouté que si le Conseil avait voulu que des crimes autres que des crimes graves emportent l'extradition, il l'aurait inscrit dans le Statut.

Je note que cette déclaration contredit clairement la position juridique adoptée auparavant par la Serbie devant la Chambre de première instance et sa coopération par le passé avec le Tribunal sur les affaires d'outrage en général. La Serbie a déjà transféré plusieurs personnes accusées d'outrage, reconnaissant ainsi la compétence du Tribunal en la matière. Par ailleurs, en janvier et février 2016, la Chambre de première instance a ordonné à la Serbie de rendre compte des mesures prises pour exécuter les mandats d'arrêt délivrés contre les accusés, et la Serbie a présenté des rapports périodiques de février à mai 2016. Depuis, elle a cessé de s'acquitter de cette obligation, mais elle n'a à aucun moment remis en question devant la Chambre de première instance la compétence du Tribunal de juger les affaires d'outrage, même après que la Chambre a rendu ses décisions des 2 août 2016 et 14 septembre 2016.

Il n'est pas anodin que la Serbie ait choisi de faire connaître sa nouvelle position devant le Conseil de sécurité, et j'estime qu'il serait hautement regrettable qu'elle rompe ainsi sa coopération passée avec le Tribunal. Je rappelle que le Conseil de sécurité a joué, jusqu'à présent, un rôle stratégique en soutenant le Tribunal sur les questions de coopération, notamment l'arrestation de fugitifs. Récemment, lors du débat du 8 décembre 2016, la plupart des membres du Conseil ont mentionné l'affaire d'outrage en instance ou y ont fait allusion, et ont demandé que la coopération soit renforcée, notant que le Tribunal avait besoin de la pleine coopération des États Membres pour s'acquitter efficacement de son mandat. Le Tribunal estime qu'il faut à présent prendre des mesures concrètes.

Je demande donc respectueusement au Conseil de sécurité de veiller au respect du principe de responsabilité, prévenir l'impunité et prendre les mesures qui s'imposent pour amener la Serbie à donner suite à toutes les ordonnances du Tribunal, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 29 du Statut du Tribunal. En outre, j'exhorte tous les États Membres à exécuter les mandats d'arrêt internationaux portant ordre de transfèrement, qui ont été délivrés en toute confidentialité le 5 octobre 2016 et publiquement ou sous forme expurgée le 29 novembre 2016, et à garantir l'arrestation et le transfèrement de tous les accusés.

Pour conclure, je tiens à rappeler qu'il est impératif de transférer et de juger les accusés. Le Tribunal terminera ses travaux en 2017, les mandats des juges venant à expiration le 30 novembre 2017. Le legs du Tribunal serait entaché et la justice pénale internationale fâcheusement compromise si l'affaire en instance n'était pas jugée et classée avant que le Tribunal ferme ses portes. Je répète ce que j'ai dit précédemment devant le Conseil de sécurité, à savoir que le Tribunal n'utilisera pas cette affaire pour prolonger son mandat et qu'il est prêt à assurer un procès rapide et équitable.

Je vous serais vivement reconnaissant de bien vouloir porter le texte de la présente lettre à l'attention des membres du Conseil de sécurité et de le faire distribuer comme document du Conseil.

Le Président
(Signé) Carmel Agius


Bookshop Donate Radio Nizkor

Corte Penal Intl
small logoThis document has been published on 06Apr17 by the Equipo Nizkor and Derechos Human Rights. In accordance with Title 17 U.S.C. Section 107, this material is distributed without profit to those who have expressed a prior interest in receiving the included information for research and educational purposes.