2003 Report by the Special Rapporteur on Torture and Other Cruel, Inhuman, or Degrading Treatment or Punishment, Theo van Boven


Cameroon

244. Par une lettre datée du 2 septembre 2002, le Rapporteur spécial a informé le Gouvernement qu’il avait reçu des renseignements concernant le Commandement opérationnel de Douala, une unité composée de forces de l’armée de terre et de l’air, de la gendarmerie et de la police. Cette unité aurait été créée par le décret présidentiel 2000/227 le 20 février 2000 pour lutter contre le grand banditisme à Douala et dans la province du Littoral. Le Commandement opérationnel aurait arrêté sans mandat d’arrêt et soumis à des tortures et autres mauvais traitements des centaines de personnes, dont un grand nombre aurait été exécuté de nuit, en particulier dans les camps de la gendarmerie de Mboppi, surnommé «Kosovo», de la base navale et de la brigade antigang de Bonanjo et le camp Berthaux. Les personnes ainsi arrêtées auraient été détenues, souvent les mains attachées dans le dos, dans des cellules surpeuplées et auraient été privées de nourriture durant plusieurs jours consécutifs. Ceux ayant des blessures sérieuses, en particulier après des bastonnades collectives, auraient été laissés sans les moindres soins. Certains détenus seraient décédés des suites de leurs blessures et n’auraient été retirés de leur cellule que quelques jours après leur mort. Un état d’insalubrité et de puanteur aurait régné en permanence dans ces cellules. Les personnes arrêtées seraient arbitrairement accusées de «vol aggravé» ou de «détention illégale d’arme», ce qui permettrait leur détention préventive pour une plus longue période. Ces deux crimes seraient également passibles de la peine de mort.

245. Un état d’impunité totale règnerait sur les actions commises par le Commandement opérationnel, seule une dizaine d’officiers et de sous-officiers ayant fait l’objet de poursuites pour «assassinat, tortures, corruption et violation de consigne» devant le tribunal militaire de Yaoundé dans le cas de l’affaire dite des «neuf jeunes de Bépanda» arrêtés dans la nuit du 23 au 24 janvier 2001 et conduits à la brigade antigang de Bonanjo. Le 20 mars 2001, le Président Biya aurait en effet ordonné l’ouverture d’une enquête. Une commission d’enquête aurait été établie au mois d’avril et aurait abouti à l’arrestation d’une dizaine d’officiers. Les rapports de cette commission n’auraient toutefois pas été rendus publics. De même, les rapports de la Commission nationale des droits de l’homme sur la situation n’auraient jamais été rendus publics. Le général en charge du Commandement opérationnel aurait été muté à la tête de la sixième région militaire de Bamenda, le colonel commandant la légion de gendarmerie du Littoral aurait été démis de ses fonctions et le Ministre de la défense aurait été nommé ministre de la justice.

246. Le Commandement opérationnel de Douala aurait fini par être démantelé une année après sa création, mais le décret officiel de dissolution n’aurait toujours pas été publié et des craintes ont été exprimées quant au fait que cette unité spéciale serait toujours opérationnelle et aurait changé de nom pour s’appeler maintenant «Centre opérationnel de la gendarmerie». Les personnes arrêtées seraient emmenées à la base dite du «Kosovo» où elles seraient privées de nourriture et d’eau jusqu’à ce que mort s’ensuive. Les corps seraient ensuite emballés dans des sacs plastique bleus et emmenés au «cimetière de Bois des singes» ou dans une carrière proche de la voie ferrée à une trentaine de kilomètres sur la route entre Douala et Yaoundé.

247. Par la même lettre, le Rapporteur spécial a informé le Gouvernement qu’il avait reçu des renseignements sur les cas individuels suivants.

248. Olivier Ntanhkou Sandé aurait été recherché par des éléments du Commandement opérationnel en tenue militaire et en civil les 4 et 5 avril 2000. Ne l’ayant pas trouvé, ces derniers auraient arrêté et frappé ses amis de la concession, sise à l’Omnisports. Le 7 avril, Olivier Ntanhkou Sandé se serait rendu de son propre chef à la deuxième région militaire de manière à connaître les raisons pour lesquelles il était recherché. Avec d’autres personnes détenues à la deuxième région militaire, aussi connu sous le nom de camp militaire «Kosovo», il aurait été bastonné avec des bâtons, des machettes et des fils de fer électrique. Lors de cette bastonnade, le capitaine en question aurait ordonné à ses hommes de tirer dans les jambes de certains détenus: 14 personnes auraient ainsi été sérieusement blessées. Après six mois, il aurait finalement comparu devant un juge qui, après lui avoir demandé combien de temps il avait déjà passé en prison, l’aurait condamné à six mois de prison fermes lors d’un procès expéditif pour calomnie. Il aurait alors été immédiatement remis en

249. Roger Mbella Toto aurait été arrêté le 13 août 2000 par des éléments du Commandement opérationnel suite à un litige foncier avec sa sœur. Après avoir été emmené au poste de Mboppi, il aurait été transféré au camp dit «Kosovo» à Bonango où il aurait été immédiatement flagellé. Le 10 novembre 2000, un capuchon l’empêchant de voir quoi que ce soit aurait alors été mis sur sa tête et il aurait été emmené à la base navale, où le commandant de la marine aurait lu une liste de 25 personnes devant être exécutées. Comme cette liste était différente de celle du capitaine en question, tous les détenus auraient été ramenés à la base dite «Kosovo». Deux semaines plus tard, les 25 détenus auraient toutefois été exécutés. Le 13 novembre 2000, Roger Mbella Toto aurait été sorti de sa cellule et fouetté. Il aurait également été suspendu par le pied gauche et aurait reçu une balle dans la jambe. Début décembre, il aurait eu le pied droit brûlé au chalumeau par le même capitaine. Il aurait finalement été libéré le 23 février 2001. Il aurait subi une intervention chirurgicale à l’hôpital de Laquintinie. Il serait décédé quelques semaines après être sorti de l’hôpital.

250. Moully Sosso aurait été arrêté par des policiers du commissariat de la sécurité publique d’Edéa dans la nuit du 29 octobre 2001. Il aurait reçu deux balles dans les jambes et aurait ensuite été transféré à la prison d’Edéa.

251. Bernard Momo aurait été arrêté par des membres du Commandement opérationnel le 13 octobre 2000. Il aurait été emmené à la base dite «Kosovo» où il aurait été bastonné. Sa famille l’aurait vu cinq jours après son arrestation et aurait constaté que son corps était couvert de blessures. Il aurait été vu pour la dernière fois le 6 février 2001. Il aurait été exécuté en compagnie d’une cinquantaine d’autres détenus dans la nuit du 7 au 8 février à la carrière de Log Badjeck, vers Edéa. Son corps aurait été par la suite incinéré.

252. Jonas Loughe aurait été arrêté le 23 août 2000 et conduit à la base dite «Kosovo». Il serait décédé cette nuit- là des suites des tortures auxquelles il aurait été soumis.

253. Sidi Bakari aurait reçu trois balles (joue droite, bras gauche et mollet) lors d’une rafle menée par le Commandement opérationnel au port dans la nuit du 16 août 2000. Il serait décédé le 29 août 2000 au matin à l’hôpital de Laquintinie.

254. Nyack Jean Nkembe aurait été arrêté le 23 août 2000. Il aurait reçu un coup de machette sur la tête et plusieurs coups de matraque. Il aurait fait l’objet d’un traitement médical pendant 64 jours à l’hôpital de Laquintinie, ayant trois côtes cassées et une plaie importante au niveau du cuir chevelu.

255. Paul Mounah aurait été criblé de balles lors de son arrestation le 4 août 2000. Le Commandement opérationnel serait intervenu suite à un litige familial à la demande de ses sœurs. Il aurait eu la main gauche broyée, une blessure ouverte au flanc gauche et la jambe droite transpercée. Il aurait reçu plusieurs coups de machette alors qu’il était attaché. Il serait resté hospitalisé pendant deux mois à l’hôpital de la Laquintinie. Le 10 août 2000, il aurait déposé une plainte auprès du procureur de Douala.

256. Bias aurait reçu une balle dans la cuisse le 8 août 2000 au quartier de Bonamikengue à Edéa. Tombé à terre, il aurait ensuite été aspergé de gaz lacrymogène avant d’être traîné sur le sol sur une centaine de mètres. Il aurait été menotté et envoyé à la gendarmerie d’Edéa où il n’aurait reçu aucun traitement médical.

257. Rosine Kondo (f) aurait reçu une balle dans le pied le 8 mars 2000 alors qu’elle était à bord d’un car sur la route de Ndog-Passi. Elle aurait été par la suite hospitalisée à l’hôpital de Laquintinie.

258. Lare Haoua (f) aurait été frappée par des éléments de la brigade antigang avec un bout de bois, appelé communément «mangossi», lors de sa détention au commissariat central en mars 2000. Elle aurait été soupçonnée de trafic de drogue et aurait été placée sous mandat de dépôt le 23 mars 2000.

259. Jules (alias Junior) Potga Seh aurait été arrêté le 12 janvier 2001 avec sa sœur cadette. Cette dernière aurait reçu une balle dans le tibia droit au moment de son arrestation. Elle aurait été relâchée le lendemain sans avoir été entendue. Le 28 janvier, Jules Potga Seh aurait été vu pour la dernière fois par sa famille. Il aurait été exécuté le 31 janvier 2001 à Logbadjeck.

260. Ethe Jacques Mateke aurait été arrêté le 18 mars 2000 au domicile de son cousin et conduit au camp de Bonanjo par des éléments du Commandement opérationnel. Il y aurait reçu des coups de crosse, aurait été obligé de regarder le soleil pendant cinq heures, et sa fiancée, qui aurait été arrêtée en même temps que lui, aurait été déshabillée devant lui pour l’humilier. Il aurait eu plusieurs plaies aux jambes et aux bras et des troubles de la vision.

261. Sylvestre Likeng Oum aurait été arrêté le 28 octobre 2001 par des agents de police du commissariat de la sécurité publique qui l’accusaient d’être en fuite. Lors de sa détention, il aurait reçu des balles dans les jambes. Il aurait été vu par son père pour la dernière fois le 2 novembre. Le 5 novembre, sa famille aurait été informée de son décès. Son corps aurait été gardé à la morgue de l’hôpital de district d’Edéa. Selon un rapport du médecin légiste, son décès serait dû à des hémorragies consécutives à des blessures aux jambes.

262. Par cette même lettre, le Rapporteur spécial a également informé le Gouvernement qu’il avait reçu des renseignements sur les conditions de détention à la prison de New Bell, que son prédécesseur avait visitée en mai 1999 (voir, en particulier, E/CN.4/2000/9/Add. 2, par. 26 à 31). Lors d’un recensement en date du 17 octobre 2000, 2 255 personnes, dont 1 345 en détention préventive (dont certains depuis plus de cinq ans), étaient détenues dans cette structure officiellement prévue pour accueillir 800 personnes. Tous les matins à 6 heures et tous les soirs à 18 heures, les détenus devraient se présenter devant leur chef de cellule. Ceux ne répondant pas à l’appel seraient traduits devant les autorités pénitentiaires pour tentative d’évasion et envoyés en cellule disciplinaire pour quelques jours au gré de l’humeur des agents d’encadrement responsables. Ceux détenus dans la cellule disciplinaire, un lieu clos, seraient laissés en short et dormiraient à même le sol. Ils se serviraient d’un seau pour leurs besoins hygiéniques, seau qui ne serait vidé qu’une fois par jour. Seules deux cellules bénéficieraient de fosses sceptiques qui se vidangeraient tous les deux jours à l’aide de seaux attachés au bout d’une ficelle, les matières fécales étant ensuite rejetées dans des rigoles se trouvant derrière les bâtiments. Les toilettes des autres cellules se déverseraient directement dans ces rigoles. Lors d’inondations, les matières fécales stagneraient dans la grande cour de la prison. La ration journalière serait composée de maïs mélangé avec des haricots et de l’huile de palme. La valeur énergétique d’une telle ration ne suffirait pas aux besoins nutritionnels quotidiens. Les problèmes de malnutrition seraient chroniques parmi la population carcérale. Les détenus mineurs devraient en outre bénéficier de rations de riz, mais ces dernières seraient vendues par le cuisinier à l’extérieur de la prison.

263. La position de «chef de cellule» se négocierait avec les gardiens autour de 20 000 francs CFA. Une équipe de détenus aurait été chargée par les précédents régisseurs de New Bell de faire respecter l’ordre dans la prison. Ces détenus molesteraient leurs camarades en utilisant des gourdins et des ceintures qui leur seraient fournis par le personnel pénitentiaire et pourraient ordonner leur mise en cellule disciplinaire. Les actions de cette équipe de détenus seraient couvertes par le régisseur, qui refuserait d’écouter les plaintes des codétenus ayant été maltraités.

264. Le dispensaire de la prison n’aurait à sa disposition que du paracétamol. Aucun antibiotique ne serait administré. Seuls les détenus pouvant payer leurs médicaments ou les recevant de leurs familles seraient soignés.

265. Le Rapporteur spécial a transmis des renseignements sur les cas individuels suivants.

266. Charles Janvier Essimbi serait décédé le 8 octobre 2001 au dispensaire de la prison de New Bell où il avait été admis quatre jours auparavant. Il serait mort le jour même où le médecin du dispensaire aurait demandé à la sœur de Charles Janvier Essimbi 10 000 francs CFA pour son transfert dans un hôpital.

267. Yvette Mbanza, une condamnée à mort détenue à la prison de New Bell, aurait été molestée et piétinée par un gardien, alors qu’elle se trouvait au parloir avec sa fille qui lui rendait visite de manière officielle le 9 octobre 2001. Malgré les protestations de ses codétenus, aucune action n’aurait été prise à l’encontre de ce gardien.

268. Par une lettre datée du 17 octobre 2002, le Rapporteur spécial a rappelé au Gouvernement un certain nombre de cas qu’il avait envoyés en 1998 et 2001, au sujet desquels il n’avait pas encore reçu de réponse.

Appels urgents

269. Le 29 mai 2002, le Rapporteur spécial a envoyé un appel urgent conjointement avec le Président-Rapporteur du Groupe de travail sur la détention arbitraire en faveur de Nwanchang Thomas, un membre du Southern Cameroon National Council, qui aurait été arrêté le 18 mai 2002, alors qu’il distribuait des tracts demandant la libération de Camerounais originaires du sud détenus au commissariat de police de Bamenda, province du Nord-Ouest. Il aurait été transféré à la prison centrale de Bamenda où il n’aurait toujours pas été inculpé.

270. Le 14 juin 2002, le Rapporteur spécial a envoyé un appel urgent conjointement avec le Président-Rapporteur du Groupe de travail sur la détention arbitraire en faveur de Ahmadou Hassan, Asamu Isa et Yunusa Mbaghoji, qui auraient été arrêtés sans mandat par des gendarmes le 13 mai 2002 à Douala. Ils auraient été menottés et jetés, face contre terre, dans une jeep, et transportés jusqu’à la gendarmerie de Bamenda. Ousman Haman aurait été arrêté le 29 avril 2002. Lors de son arrestation, il aurait été emmené par des gendarmes dans le ranch d’Alhadji Baba Ahmadou Danpullo, un riche commerçant et membre du Rassemblement démocratique du peuple camerounais. Il y aurait été frappé sur la plante des pieds une cinquantaine de fois par un commandant de la gendarmerie, sur ordre d’Alhadji Baba. Ses pieds auraient ensuite été trempés dans de l’eau avant de recevoir l’ordre de sauter sur le sable, alors qu’il recevait des coups. Il aurait été ensuite détenu, nu, à la brigade Terre à Bamenda, où il aurait été frappé par d’autres détenus. Il aurait perdu conscience à plusieurs reprises. Il aurait été relâché sous caution par le tribunal supérieur de Bamenda le 17 mai. Il aurait été arrêté de nouveau le 23 mai alors qu’il était traité à l’hôpital militaire de Bamenda pour ses blessures. Tous les quatre auraient finalement été transférés le 23 mai à la prison centrale de Bafoussam où ils seraient détenus sans avoir été inculpés. Ils auraient été arrêtés sur ordre d’Alhadji Baba parce qu’ils seraient membres de la communauté des Mbororo et s’opposeraient à l’acquisition par ce dernier de leurs terres ancestrales.

271. Le 10 octobre 2002, le Rapporteur spécial a envoyé un appel urgent conjointement avec le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et le Président-Rapporteur du Groupe de travail sur la détention arbitraire au sujet de Nchendze Henry, Edwin Limfouyuy, Joseph Jumrau, Thomas Kombau et Tobias Kougnso, prétendument arrêtés sans mandat d’arrêt le 11 septembre 2002 à Kumbo par des membres des forces de sécurité et transférés par la suite à la prison centrale de Bafoussam, où ils auraient été soumis à des mauvais traitements. Par ailleurs, Agbor Nfaw Joseph, 70 ans, Enow John Enow, 65 ans, Tane Daniel Agbor, Tambe Atem Valery, Ojong Samuel Ndip et le docteur Shinyuy George auraient été arrêtés à Mamfe le 27 septembre 2002 par des membres des forces de sécurité et trans férés dans une prison dont les cellules ne contiendraient ni toilettes, ni douche et dans lesquelles ils auraient été forcés de dormir à même le sol cimenté. Le docteur Shinyuy George serait décédé des suites des traitements qu’il aurait subis après son arrestation.

Observations

272. The Special Rapporteur acknowledges the response of the Government (E/CN.4/2001/66, paras 220 to 230) to the recommendations formulated in his predecessor’s mission report (E/CN.4/2000/9/Add.2) and he would appreciate continuing to receive information on measures taken to implement the recommendations included in this report.

273. The Special Rapporteur notes with concern that no response has been provided to cases brought to the attention of the Government since 1998 as well as to the numerous cases included in the annex of his predecessor’s mission report in 1999 (ibid.). He would appreciate continuing to receive information on measures taken to implement the recommendations included in this report.

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small logo   This report has been published by Equipo Nizkor and Derechos Human Rights on August 2, 2005.