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26jan13


Iyad Ag Ghali, le djihadiste touareg


Ses vieux amis se rappellent un poète, un homme à femmes et un amateur d'alcool. Ils se souviennent aussi d'un lève-tard qui n'émergeait pas avant midi, l'esprit embrumé par les nuits à discuter politique autour d'un verre. L'un d'eux, touareg comme lui, l'avait même grondé parce qu'il ne faisait jamais le «fajr», la prière de l'aube.

Aujourd'hui, Iyad Ag Ghali impose la règle la plus stricte à tout son monde. À la mosquée, il se tient au premier rang, il ne serre plus la main à une femme, il boit de l'eau et refuse tout contact avec les non-musulmans. Zélé converti, son projet politique l'est tout autant: un émirat islamiste au Nord-Mali, précurseur d'un «Sahelistan» englobant toute la région.

L'incarnation de la lutte touareg

Fondateur et commandant de la milice Ansar Dine - les partisans de la religion -, Iyad Ag Ghali, 54 ans, est aussi le principal chef de guerre qu'affrontent les troupes françaises et leurs alliés. C'est lui qui a lancé ses milices à la conquête de Bamako, précipitant des colonnes de pick-up chargés de combattants vers le Sud. C'est donc lui qui a poussé un François Hollande, pris de court, à déployer l'armée sur le territoire malien, quitte à revenir sur tout ce qu'il avait affirmé auparavant.

Dans le paysage de la rébellion touareg, Iyad Ag Ghali n'est pas un nouveau venu, tant s'en faut. Il incarne au contraire la lutte des Hommes bleus contre Bamako depuis plus de vingt ans. «Un de nos plus grands chefs de guerre», dit de lui un intellectuel touareg, qui ne veut pas que l'on publie son nom par peur des représailles. Son charisme, son courage et son opportunisme ont bâti sa légende, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, parce que de jeunes Touaregs sont prêts à suivre son turban blanc jusqu'à la mort, même si le chef les exhorte aujourd'hui au sacrifice au nom du djihad et de la charia. Le pire, parce que ses rivaux et ses ennemis lui reprochent duplicité, trahison, luttes fratricides et d'innombrables pactes avec le diable - de Bamako, d'Alger ou d'al-Qaida.

Dans les années 80, il s'enrôle dans la Légion verte du colonel Kadhafi

Né dans la tribu noble des Ifoghas, près de Kidal, ville du nord-ouest du Mali, Iyad Ag Ghali a laissé derrière lui la misère du nomade pour s'enrôler dans la Légion verte du colonel Kadhafi au début des années 80. Le «Guide» avait beaucoup promis aux Touaregs, feignant d'épouser leur cause.

Équipé et formé en Libye, le jeune Iyad fait partie du corps expéditionnaire envoyé par Kadhafi au Liban pour sauver les Palestiniens en guerre contre les milices chrétiennes et les Israéliens. Selon un de ses camarades de l'époque, il aurait été évacué de Beyrouth avec Yasser Arafat le 30 août 1982 par un bateau français. Un an plus tard, Iyad Ag Ghali fait partie des unités libyennes qui entrent au Tchad en appui des rebelles pour renverser le président Habré. Une aventure stoppée (déjà!) par l'armée française.

«Le Renard du désert»

La carrière d'Iyad Ag Ghali se perd ensuite dans les sables du désert. On sait seulement que le mercenaire de Kadhafi, déçu, a regagné le Mali. Avec quelques compagnons de la Légion verte, il monte une rébellion touareg.

En juin 1990, un premier fait d'armes fonde sa légende. Flanqué d'une poignée d'hommes équipés de seulement six fusils, il s'empare de la garnison de Ménaka, une bourgade du nord-ouest du Mali. Par la suite, la geste d'Iyad Ag Ghali ne cessera de s'enrichir et lui vaudra le surnom de Renard du désert. Au gré des révoltes, il devient «le» leader, à la fois politique et militaire, de la cause touareg face à l'État malien. Interlocuteur de Bamako, il négocie plusieurs accords qui portent, entre autres, sur le développement du Nord-Mali et l'intégration de Touaregs dans les forces armées.

Sa route croise celle de prédicateurs pakistanais

Chapeautées par l'Algérie (accords de Tamanrasset en 1991, accords d'Alger en 1996), les discussions permettront à Iyad Ag Ghali de nouer d'étroites relations avec le puissant voisin du nord, au point d'être regardé aujourd'hui comme un de ses agents. À la fin des années 90, sa route va croiser celle de prédicateurs pakistanais du Jamaat al-Tabligh en visite au Mali. À leur contact, le guerrier qui composait des chansons d'amour va basculer vers le rigorisme. Aussi, en 2003, quand des bandes d'islamistes opérant dans le Sahara prennent des Occidentaux en otages, c'est naturellement vers lui que les autorités maliennes se tournent pour récupérer les touristes.

Non seulement Iyad Ag Ghali s'enrichira en prélevant sa commission sur les rançons, mais il va se lier à ces groupes radicaux. Début 2012, on les retrouvera à ses côtés quand il s'emparera du Nord-Mali. C'est en Arabie saoudite qu'Iyad Ag Ghali se convertira à l'idéologie djihadiste qui guide sa milice actuelle, Ansar Dine. Nommé conseiller consulaire à Djedda par le président malien Amadou Toumani Touré, en 2007 il y fréquente les musulmans les plus radicalisés.

«Une véritable haine des Occidentaux»

«Il aurait pu obtenir un poste plus important, confie un de ses amis touaregs, mais il a préféré celui-ci pour pouvoir se rendre tous les vendredis à la grande prière de La Mecque.» Le Royaume l'expulsera pour ses contacts avec des membres d'al-Qaida...«Il est revenu de Djedda avec une véritable haine des Occidentaux», dit un vieux compagnon de route.

L'universitaire français Pierre Boilley, qui passa des soirées à refaire le monde avec lui, confirme: la dernière fois qu'il l'a vu, il l'a à peine salué de loin. Celui qui se prenait pour le Che Guevara de l'Azawad n'est plus qu'un djihadiste infréquentable. Et la cause touareg, si chère à son coeur, est passée du côté sombre de la charia.

[Source: Par Jean-Marc Gonin, Le Figaro, Paris, 26jan13]

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