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10jan18

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Selon l'avocat général Wathelet, l'accord de pêche conclu entre l'UE et le Maroc est invalide du fait qu'il s'applique au Sahara occidental et aux eaux y adjacentes


Conclusions de l'avocat général dans l'affaire C-266/16
The Queen et Western Sahara Campaign/Secretary of State for
Environment, Food and Rural Affairs et Commissioners for Her Majesty's
Revenue and Customs

Selon l'avocat général Wathelet, l'accord de pêche conclu entre l'UE et le Maroc est invalide du fait qu'il s'applique au Sahara occidental et aux eaux y adjacentes

En concluant cet accord, l'Union a violé son obligation de respecter le droit du peuple du Sahara occidental à l'autodétermination ainsi que de ne pas reconnaître une situation illicite découlant de sa violation et n'a pas mis en place les garanties nécessaires pour assurer que l'exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental se fasse au bénéfice du peuple de ce territoire

Le Sahara occidental est un territoire du nord-ouest de l'Afrique, bordé par le Maroc au Nord, l'Algérie au Nord-Est, la Mauritanie à l'Est et au Sud et l'Atlantique à l'Ouest. Actuellement, la plus grande partie du Sahara occidental est occupée par le Maroc, lequel le considère comme partie intégrante de son territoire. Une partie de moindre taille de ce territoire, située à l'Est, est contrôlée par le Front Polisario, un mouvement qui vise à obtenir l'indépendance du Sahara occidental.

L'Union européenne et le Maroc ont conclu en 1996 un accord d'association, en 2006 un accord de partenariat dans le secteur de la pêche (« accord de pêche ») |1| et, en 2012, un accord de libéralisation pour les produits agricoles, les produits agricoles transformés, les poissons et les produits de la pêche. Par arrêt du 21 décembre 2016 |2|, la Cour de justice, saisie en pourvoi d'un recours direct opposant le Front Polisario au Conseil de l'Union européenne, a déclaré que les accords d'association et de libéralisation conclus entre l'Union et le Maroc n'étaient pas applicables au Sahara occidental. Cette affaire ne concernait cependant pas l'accord de pêche, si bien que la Cour ne s'est pas prononcée sur la validité de cet accord dans son arrêt |3|.

Au Royaume-Uni, Western Sahara Campaign (WSC) est une organisation bénévole indépendante qui a pour but de promouvoir la reconnaissance du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. Elle fait valoir, devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen's Bench (chambre administrative), Royaume-Uni], que l'accord de pêche conclu par l'Union et le Maroc ainsi que les actes l'approuvant et le mettant en œuvre |4| sont invalides pour autant que cet accord et ces actes s'appliquent au territoire et aux eaux du Sahara occidental.

WSC estime par conséquent que les autorités britanniques agissent de manière illégale en donnant application à cet accord et, en particulier, en accordant un traitement tarifaire préférentiel aux produits originaires du Sahara occidental certifiés en tant que produits originaires du Maroc. En outre, WSC conteste la possibilité offerte aux autorités britanniques de délivrer des licences pour pêcher dans les eaux adjacentes au Sahara occidental (l'accord prévoyant en effet que les navires de pêche de l'Union peuvent exercer, dans certaines conditions, des activités de pêche dans les zones de pêche du Maroc).

La High Court of Justice demande à la Cour de justice, d'une part, si une association telle que WSC a le droit de contester la validité d'actes de l'Union pour non-respect du droit international et, d'autre part, si l'accord de pêche est valide au regard du droit de l'Union. Il s'agit là de la première demande préjudicielle en validité visant des accords internationaux conclus par l'Union ainsi que leurs actes de conclusion.

Dans ses conclusions de ce jour, l'avocat général Melchior Wathelet propose à la Cour de répondre qu'elle est compétente pour apprécier la légalité des accords internationaux conclus par l'Union, qu'une association telle que WSC est habilitée à contester la légalité de l'accord de pêche et que l'accord de pêche n'est pas valide parce qu'il s'applique au territoire et aux eaux du Sahara occidental.

S'agissant de la possibilité, pour des personnes physiques et morales, d'invoquer les règles du droit international dans le cadre du contrôle juridictionnel d'un accord international conclu par l'Union, l'avocat général considère que les règles du droit international auxquelles l'Union est liée, dont le contenu est inconditionnel et suffisamment précis et dont la nature ainsi que la structure ne s'opposent pas au contrôle juridictionnel de l'acte contesté, doivent pouvoir être invoquées en justice.

L'avocat général considère que ces conditions sont remplies en ce qui concerne trois normes du droit international invoquées par WSC : 1) le droit à l'autodétermination, 2) le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles en ce qu'il impose que leur exploitation bénéficie au peuple du Sahara occidental et 3) les règles du droit international humanitaire applicables à la conclusion des accords internationaux visant l'exploitation des ressources naturelles d'un territoire occupé. L'avocat général en conclut que ces normes peuvent être invoquées dans le cadre du contrôle juridictionnel d'un accord international conclu par l'Union.

L'avocat général examine par la suite si l'accord de pêche et les actes l'approuvant et le mettant en œuvre sont compatibles avec ces trois normes.

En premier lieu, l'avocat général relève que le peuple du Sahara occidental a été, jusqu'à présent, privé de l'opportunité même d'exercer le droit à l'autodétermination dans les conditions prévues par l'Assemblée générale des Nations unies. Ainsi, le Sahara occidental a été intégré au Maroc par annexion sans que le peuple de ce territoire ait librement exprimé sa volonté à cet égard. L'accord de pêche ayant été conclu par le Maroc sur la base de l'intégration unilatérale du Sahara occidental à son territoire et de l'affirmation de sa souveraineté sur ce territoire, le peuple sahraoui n'a pas librement disposé de ses ressources naturelles, comme l'impose pourtant le droit à l'autodétermination. De ce fait, l'exploitation halieutique par l'Union des eaux adjacentes au Sahara occidental instaurée et mise en œuvre par les actes contestés ne respecte pas le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination.

Étant donné que l'affirmation de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental résulte d'une violation du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination, l'avocat général en conclut que l'Union a manqué à son obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la violation, par le Maroc, du droit de ce peuple à l'autodétermination ainsi que de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation. De ce fait, dans la mesure où ils s'appliquent au territoire du Sahara occidental et aux eaux y adjacentes, l'accord de pêche et les actes l'approuvant et le mettant en œuvre sont incompatibles avec les dispositions des traités qui imposent à l'Union que son action extérieure protège les droits de l'homme et respecte strictement le droit international.

L'avocat général considère également que la qualité du Maroc en tant que puissance administrante de facto ou puissance occupante du Sahara occidental n'est pas susceptible de justifier la conclusion de l'accord de pêche. D'une part, la notion de « puissance administrante de facto » n'existe pas en droit international. D'autre part, le Maroc est la puissance occupante du Sahara occidental, mais la manière dont l'accord de pêche a été conclu n'est pas conforme aux règles du droit international humanitaire applicables à la conclusion, par une puissance occupante, des accords internationaux applicables sur le territoire occupé.

En second lieu, l'avocat général constate que la majorité de l'exploitation prévue par l'accord de pêche vise presque exclusivement les eaux adjacentes au Sahara occidental (les captures effectuées dans ces eaux représentant environ 91,5 % des captures totales effectuées dans le cadre de l'exploitation halieutique instaurée par l'accord de pêche). Il s'ensuit que la contrepartie financière versée au Maroc par l'Union au titre de l'accord de pêche devrait bénéficier presque exclusivement au peuple du Sahara occidental. Or, selon l'avocat général, l'accord de pêche ne contient pas les garanties juridiques nécessaires afin que l'exploitation halieutique bénéficie au peuple du Sahara occidental. En ce sens, l'accord de pêche et les autres actes contestés ne respectent ni le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, ni les règles du droit international humanitaire applicables à la conclusion des accords internationaux visant l'exploitation des ressources naturelles d'un territoire occupé, ni l'obligation de l'Union de ne pas reconnaître une situation illicite découlant de la violation de ce principe et de ces règles et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien d'une telle situation.

Pour toutes ces raisons, l'avocat général conclut que l'accord de pêche est invalide.

RAPPEL: Les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.

RAPPEL: Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème similaire.

[Source: Cour de justice de l'Union européenne, Communiqué de presse n° 1/18, Luxembourg, 10jan18]


Notes :

1. JO 2006, L 141, p. 4. La conclusion de cet accord a été approuvée par le règlement (CE) n° 764/2006 du Conseil, du 22 mai 2006 (JO 2006, L 141, p. 1). L'accord de pêche a été précisé par un « protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues par l'accord de pêche » (Jo 2013, L 328, p. 2). La conclusion de ce protocole a été approuvée par la décision 2013/785/UE du Conseil, du 16 décembre 2013 (JO 2013, L 349, p. 1). [Retour]

2. Arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C-104/16 P, voir CP nº 146-16. [Retour]

3. Le Front Polisario conteste cependant le protocole de l'accord de pêche devant le Tribunal de l'Union européenne (affaire T-180/14). Le Tribunal a suspendu le traitement de cette affaire jusqu'à ce que la Cour se prononce dans l'affaire WSC dont les conclusions sont rendues aujourd'hui. [Retour]

4. Outre les actes cités en note 1, le recours de WSC porte également sur la validité du règlement (UE) n° 1270/2013 du Conseil, du 15 novembre 2013, relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre du protocole de 2013 (JO 2013, L 328, p. 40). [Retour]


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