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Rapport du Secrétaire général sur la protection des civils en période de conflit armé


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Nations Unies
Conseil de sécurité

S/2016/447

Distr. générale
13 mai 2016
Français
Original : anglais

Rapport du Secrétaire général sur la protection des civils en période de conflit armé

I. Introduction

1. Le présent rapport, qui couvre la période allant de janvier à décembre 2015, fait suite à la déclaration du Président du Conseil de sécurité du 25 novembre 2015 (S/PRST/2015/23), dans laquelle le Conseil a modifié la périodicité des rapports pour la porter de 18 à 12 mois et a indiqué que le Conseil examinerait formellement ces rapports chaque année à la même session de l'Assemblée générale. Ces changements sont bienvenus. Le nouveau cycle annuel de présentation des rapports, associé à l'assurance de leur examen régulier, facilitera un suivi systématique à l'appui de l'action menée par le Conseil pour renforcer la protection des civils en période de conflit armé. Dans le présent rapport, je passe en revue l'état de la protection des civils dans divers conflits, décrit les progrès et les réalisations, recense les possibilités à venir et formule des recommandations à l'intention du Conseil afin que son approche soit plus cohérente et plus systématique dans l'intérêt de la protection des civils.

2. La célébration par l'ONU en 2015 du soixante-dixième anniversaire de sa création a offert une chance unique de revenir sur les réalisations et les perspectives. Des progrès considérables ont été accomplis, particulièrement sur le plan normatif, depuis que le Conseil de sécurité a pris la décision historique, en 1999, de placer la protection des civils au cœur de son mandat. Néanmoins, compte tenu du très grand nombre de civils dont les vies sont dévastées par des conflits armés, il est évident que beaucoup reste encore à faire pour respecter la promesse faite dans la Charte des Nations Unies de : « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». À la fin de 2015, plus de 60 millions de personnes avaient été forcées de fuir leurs foyers en raison d'un conflit, de violences et de persécutions. Les besoins humanitaires ont atteint des niveaux sans précédent et plus de 80 % du budget humanitaire de l'ONU sont affectés à des interventions faisant suite à un conflit. La situation dans laquelle se trouvent les civils en période de conflit est si grave que j'ai publié une déclaration conjointe inédite avec le Président du Comité international de la Croix-Rouge le 31 octobre 2015, demandant que des mesures urgentes soient prises pour faire respecter le droit international et atténuer les souffrances humaines.

3. Aujourd'hui, dans la majorité des conflits armés, ce sont les civils qui sont les plus durement touchés. Chaque jour, des civils sont délibérément ou aveuglément blessés ou tués, souvent dans l'impunité la plus totale. Les violences sexuelles brisent la vie de femmes, d'hommes, de filles et de garçons. Les villes sont la cible de tirs d'artillerie lourde ou de frappes aériennes qui tuent des milliers de civils, détruisent des infrastructures vitales et provoquent des exodes de masse. D'après les données recueillies en 2015 par l'organisation Action on Armed Violence, lorsque des armes explosives ont été utilisées dans des zones peuplées (terrains de jeux, hôpitaux, rues animées et files d'attente pour recevoir de la nourriture), 92 % des personnes tuées ou blessées étaient des civils. Derrière les chiffres se cachent des familles brisées et en deuil, des communautés entièrement dévastées, un héritage culturel dont le monde se trouve privé et une génération d'enfants non scolarisés.

4. Dans sa déclaration présidentielle du 25 novembre 2015, le Conseil de sécurité a réaffirmé que la protection des civils faisait partie « des questions essentielles inscrites à son programme de travail ». Il s'agit d'un signal fort qui doit être traduit dans les faits. L'année dernière, la communauté internationale a démontré qu'elle pouvait obtenir des résultats remarquables lorsqu'elle agissait de manière concertée. Nous avons ainsi adopté un programme de développement durable ambitieux visant à éradiquer la pauvreté dans le monde ainsi qu'un accord universel sur les changements climatiques. Nous avons également mis au point un nouveau plan-cadre visant à réduire les risques de catastrophe et à renforcer la résilience. Enfin, nous avons entamé un processus majeur de réformes dans les domaines de la sécurité et de la paix. Le premier Sommet mondial sur l'action humanitaire, qui se tiendra les 23 et 24 mai 2016 à Istanbul, rassemblera des dirigeants du monde entier, des organisations humanitaires nationales et internationales, des représentants de communautés touchées par des conflits et bien d'autres encore. Il s'agira de la première grande occasion de démontrer que les plus laissés-pour-compte doivent se voir accorder la priorité. En préparation de ce sommet, j'ai élaboré un Programme d'action pour l'humanité (A/70/709, annexe), priant les dirigeants mondiaux de prendre des mesures pour prévenir les conflits et y mettre un terme, mieux faire respecter le droit international, améliorer la protection des civils et renforcer les mesures prises face aux déplacements forcés.

5. La communauté internationale se trouve à la croisée des chemins. Les États Membres doivent saisir l'occasion offerte par le Sommet mondial sur l'action humanitaire pour prendre des mesures concrètes et collectives, fondées sur des cibles et indicateurs clairs, afin de faire respecter le droit international et protéger les civils en période de conflit armé. En outre, le Conseil de sécurité doit mener des efforts concertés et constants pour protéger la vie et la dignité des civils touchés par des conflits. Nous devons tous œuvrer ensemble pour concrétiser notre promesse de ne laisser personne de côté et venir en aide en premier lieu à ceux qui sont les plus oubliés.

II. État de la protection : évolution des conflits

6. Le présent rapport dresse un état des principales tendances et caractéristiques des souffrances infligées aux civils en période de conflit armé, d'après les informations fournies par les organisations humanitaires et les entités des Nations Unies intervenant dans le monde entier. Les données ont été collectées dans divers pays plongés dans un conflit armé ou s'en relevant ou accueillant un grand nombre de réfugiés. Dans les différents conflits, plusieurs questions se sont révélées prioritaires : améliorer la conformité avec le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme; faire en sorte que les auteurs de violations aient à répondre de leurs actes; renforcer la protection des civils contre l'utilisation d'armes explosives dans des zones habitées; faciliter l'accès du personnel humanitaire aux civils qui ont besoin d'assistance; protéger le personnel et le matériel humanitaires et sanitaires; prévenir les déplacements forcés et mieux y répondre. Les exemples évoqués ici sont donnés à titre d'illustration, sans prétendre à l'exhaustivité.

Il est indispensable de mieux faire respecter le droit international pour protéger les civils

7. La plupart des morts, des souffrances et des déplacements de civils pourraient être évités si les parties au conflit respectaient les règles fondamentales du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme. Dans de nombreux cas, les belligérants violent régulièrement ces règles dans le mépris le plus total de la vie humaine. Dans les écoles, les hôpitaux et les lieux de culte, des civils sont tués ou grièvement blessés dans des bombardements ciblés ou aveugles. Des agents de l'aide humanitaire sont enlevés ou tués, des hôpitaux détruits et des ambulances pillées. Les violences sexuelles demeurent très répandues et, chaque jour, il est fait état d'exécutions sommaires, d'arrestations et de détentions arbitraires, d'enlèvements, de disparitions forcées et d'actes de torture.

8. Aujourd'hui, c'est surtout en République arabe syrienne et au Yémen que le total mépris par les parties étatiques et non étatiques au conflit du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme est le plus flagrant. Tout au long de 2015, des frappes aériennes aveugles et des tirs d'artillerie, de mortiers et de missiles ont tué, blessé et forcé le déplacement de millions de civils dans ces deux pays. Il a été établi que des armes chimiques sont utilisées en République arabe syrienne, alors que, dans ce pays comme au Yémen, le recours à des armes à sous-munitions a été signalé. Les parties à ces conflits ont commis de graves violations des droits de l'homme, dont des homicides illégaux, des détentions arbitraires, des actes de torture, des violences sexuelles, des disparitions forcées et des prises d'otages. Elles ont aussi pris pour cible des infrastructures civiles et délibérément perturbé des réseaux essentiels, notamment d'eau et d'électricité. En République arabe syrienne, par exemple, au cours de l'été 2015, les coupures d'eau délibérées ont touché 7,7 millions de civils à Alep, Damas et Deraa.

9. Les mêmes violences sont commises, avec plus ou moins d'intensité, sur d'autres théâtres de conflit. En Afghanistan, par exemple, 11 002 victimes civiles (3 545 morts et 7 457 blessés) ont été recensées en 2015, soit le chiffre le plus élevé enregistré depuis que l'ONU a commencé de comptabiliser systématiquement les victimes en 2009. Le nombre de civils victimes délibérées des groupes armés non étatiques a progressé de 27 % par rapport à 2014, et celui de victimes femmes et des enfants a augmenté, respectivement, de 37 % et 14 %. En Iraq, on a recensé un nombre élevé de victimes parmi les civils (7 515 tués et 14 855 blessés), bien qu'inférieur à celui enregistré en 2014. En Iraq, en Libye et au Nigéria, les forces gouvernementales et les groupes armés non étatiques se sont rendus coupables de graves violations des droits de l'homme à l'égard des civils, dont des homicides illégaux, des enlèvements, des actes de torture, des disparitions forcées et des violences sexuelles. Au Nigéria, Boko Haram s'est davantage tourné vers les femmes et les jeunes enfants pour commettre des attentats-suicides.

10. En 2015, au Soudan du Sud, de nombreuses atrocités ont été commises, dont des homicides illégaux, des enlèvements et des violences sexuelles ainsi que le recrutement et l'exploitation d'enfants, les civils étant souvent ciblés en fonction de leur appartenance ethnique. Rien qu'entre avril et septembre 2015, le Groupe de la protection a recensé plus de 1 000 victimes civiles dans le sud et le centre de l'État de l'Unité. Des maisons appartenant à des civils et des établissements médicaux et scolaires ont été systématiquement détruits, des élevages pillés et des récoltes et des semences brûlées. Des attaques ciblant des civils et des fermes ont également été constatées en République démocratique du Congo et au Soudan. En République centrafricaine, 1 263 violations graves des droits de l'homme seraient à imputer aux forces gouvernementales ou aux groupes armés, avec 2 038 civils touchés.

11. Dans le territoire palestinien occupé, la construction de colonies illégales s'est poursuivie en 2015, entraînant la perte de biens et de moyens de subsistance, des atteintes à la sécurité physique et des restrictions de l'accès à certains services, comme indiqué dans mon dernier rapport (A/HRC/31/43). La destruction d'habitations et d'infrastructures palestiniennes a provoqué le déplacement de 781 personnes en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Le territoire palestinien occupé et Israël ont connu une nouvelle série d'attaques et de violences en octobre 2015, causant la mort d'au moins 141 Palestiniens, 22 Israéliens et 2 ressortissants étrangers, selon un bilan arrêté à la fin de 2015.

12. Dans ces conflits et d'autres, faire en sorte que le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme soient mieux respectés est une condition indispensable pour améliorer la protection des civils. Il s'agit de l'une des priorités de mon Programme d'action pour l'humanité. L'absence de mesures concrètes pour promouvoir le respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme contribue aux souffrances des civils et, en fin de compte, compromet l'ordre légal. Un monde où les règles et normes communes ne sont pas respectées n'est dans l'intérêt de personne.

Il faut redoubler d'efforts pour protéger les enfants

13. Le non-respect généralisé du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme a un effet particulièrement dévastateur sur les enfants, comme je l'ai expliqué dans mon rapport sur le sort des enfants en temps de conflit armé (A/70/836-S/2016/360). Dans plusieurs conflits, notamment en Afghanistan, en République centrafricaine, en Somalie, au Soudan du Sud et au Yémen, le nombre de violations graves commises contre des enfants a sensiblement augmenté en 2015 par rapport à 2014. Je réitère les recommandations formulées dans ce rapport et demande au Conseil de sécurité, aux États Membres et aux autres acteurs concernés de prendre des mesures concrètes pour protéger les enfants touchés par les conflits armés et s'assurer que les auteurs de violations graves aient à rendre compte.

14. La militarisation des écoles compromet encore plus la sécurité des enfants. En République démocratique du Congo, par exemple, 30 incidents liés à cette pratique ont été enregistrés en 2015, contre 9 en 2014. Un total de 20 incidents ont été recensés en Afghanistan, 40 au Soudan du Sud, 34 en Ukraine et 51 au Yémen. Toutes les parties au conflit sont tenues de prendre des précautions pour protéger les civils et les biens de caractère civil contre les effets des opérations militaires. Depuis la Conférence d'Oslo sur la sécurité dans les écoles, tenue en mai 2015, plus de 50 États ont approuvé la Déclaration sur la sécurité dans les écoles et se sont engagés à mieux protéger les établissements scolaires, les élèves et les enseignants en cas d'attaque, notamment en intégrant les Lignes directrices de Lucens pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés dans leurs cadres juridiques et opérationnels nationaux. J'encourage tous les États Membres à approuver la Déclaration.

Les violences sexuelles liées aux conflits restent endémiques.

15. Protéger des violences sexuelles les populations vivant dans les zones de conflit, notamment les populations déplacées, reste un grave sujet de préoccupation. Par exemple, dans mon dernier rapport sur la question (S/2016/361), je décris en détail les allégations de viols à grande échelle dans l'est de la République démocratique du Congo, au Soudan et au Soudan du Sud, de violences sexuelles généralisées et systématiques en Iraq et en République arabe syrienne, et d'agressions sexuelles contre des femmes membres de l'opposition politique au Burundi. Je réitère les recommandations formulées dans ce rapport et demande au Conseil de sécurité, aux États Membres et aux autres acteurs concernés de redoubler d'efforts pour prévenir et combattre les violences sexuelles liées aux conflits, notamment en veillant à ce que les auteurs de ces crimes en soient tenus pour responsables et en aidant les survivants à se rétablir et à reconstruire leur vie.

16. Tous les États inscrits à plusieurs reprises sur les listes figurant dans mes rapports annuels sur le sort des enfants en temps de conflit armé et sur les violences sexuelles liées aux conflits ne seront plus autorisés à participer aux opérations de paix des Nations Unies. Les pays fournisseurs de contingents et de personnel de police actuellement inscrits sur ces listes sont tenus de mettre en œuvre des engagements précis et assortis de délais ainsi que des plans d'action concrets pour lutter contre ces violations s'ils veulent être supprimés des listes (voir résolution du Conseil de sécurité 2242 (2015) et A/70/357-S/2015/682).

Les transferts illicites et irresponsables d'armes favorisent les violations

17. Le grand nombre d'armes et de munitions en circulation, associé à l'insuffisance des contrôles, contribue à l'insécurité et facilite les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme. Je réitère les recommandations formulées dans mon rapport de 2015 sur les armes légères et de petit calibre (S/2015/289) visant à mettre un terme à l'utilisation abusive, au détournement et à la circulation illicite de ces armes. Le Traité sur le commerce des armes est le principal instrument mondial pour réglementer les transferts d'armes et prévenir leur détournement. Je demande instamment aux États Membres de ne pas exporter d'armes lorsqu'il existe un risque sérieux qu'elles puissent être utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations du droit international humanitaire ou du droit international des droits de l'homme. Tous les États Membres devraient évaluer ces risques, faire preuve de retenue et ratifier sans délai le Traité sur le commerce des armes.

Il est fondamental que les responsables aient à rendre compte pour prévenir les violations, promouvoir la réconciliation et rendre justice aux victimes

18. L'absence généralisée de poursuites à l'encontre des auteurs de violations a caractérisé l'ensemble des zones de conflit en 2015. Par exemple, malgré le grand nombre de victimes civiles en Afghanistan, en Iraq, en République arabe syrienne et au Yémen, les responsables des incidents au cours desquels des civils paraissent avoir été directement visés ou blessés par une attaque aveugle n'ont à l'évidence pas eu à rendre compte. Dans le territoire palestinien occupé, 18 mois après les hostilités qui ont fait rage à Gaza pendant l'été 2014 et au cours desquelles quelque 1 500 civils palestiniens, 4 civils israéliens et 1 ressortissant étranger ont trouvé la mort et près de 18 000 habitations ont été gravement endommagées ou détruites, les poursuites contre les responsables restent toujours inadéquates, malgré les conclusions de la commission d'enquête indépendante selon lesquelles de graves violations, assimilables sans doute à des crimes de guerre, pourraient avoir été commises (voir A/HRC/29/52). Au Soudan du Sud, l'Accord de paix conclu en août 2015 prévoit la création d'un tribunal mixte chargé de juger les crimes de guerre; cependant, à la fin de 2015, aucune mesure concrète n'avait été prise pour mettre en place ce tribunal avant que le gouvernement provisoire d'union nationale ne soit constitué L'impunité ne doit pas être la norme. L'obligation de rendre systématiquement compte des violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme est capitale pour assurer réparation aux victimes, décourager de nouvelles violations et promouvoir la réconciliation.

Des efforts plus systématiques sont nécessaires pour rassembler des données factuelles et dénoncer les violations

19. Des informations fiables sont indispensables pour mettre en évidence les tendances, faciliter les efforts de protection, prévenir les violations et favoriser l'imputabilité. Des mécanismes de surveillance et de signalement, y compris pour la localisation des victimes, sont indispensables. En République démocratique du Congo, par exemple, les rapports réguliers de l'ONU sur les droits de l'homme ont contribué à encourager les parties au conflit à renforcer le respect du droit international. En Afghanistan, le signalement des victimes a facilité les activités de plaidoyer auprès des parties au conflit, notamment en démontrant la nécessité de prendre des mesures pour réduire l'incidence de leurs opérations sur les civils. Les actions menées dans le domaine de la gestion de l'information devraient être élargies afin de recueillir et analyser systématiquement les informations et de faciliter l'établissement de rapports sur la protection des civils dans les conflits. Je m'engage à inclure ces informations dans mes rapports sur la protection des civils et dans mes exposés périodiques au Conseil de sécurité.

20. Les journalistes jouent un rôle clef en favorisant la circulation de l'information, en dénonçant les violations et en assurant l'imputabilité. Mais certains d'entre eux sont tués et blessés sur des zones de conflit partout dans le monde, souvent de manière délibérée. En 2015, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a condamné le meurtre de 52 journalistes dans des conflits armés. Les États Membres devraient informer l'UNESCO de l'état d'avancement des enquêtes judiciaires pour chacun de ces meurtres, prendre des mesures pour renforcer la sécurité des journalistes dans les conflits armés et lutter contre l'impunité. Je salue l'initiative prise par la Lituanie d'organiser un débat public sur cette question en mai 2015 ainsi que l'adoption par le Conseil de la résolution 2222 (2015), et je demande instamment aux États Membres de mettre en œuvre les recommandations contenues dans mon rapport à l'Assemblée générale sur la sécurité des journalistes et la question de l'impunité (A/70/290).

Les mécanismes de responsabilisation nationaux et internationaux doivent être renforcés

21. C'est aux États qu'incombe au premier chef la responsabilité d'enquêter sur les crimes commis sous leur juridiction et d'en poursuivre les auteurs. Il convient donc de les appuyer et de les encourager dans l'action qu'ils mènent en vue de renforcer les mécanismes de responsabilisation. En 2015, par exemple, le Gouvernement de la République centrafricaine a pris des mesures pour créer une cour pénale spéciale chargée d'enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. En Colombie, les pourparlers de paix entre le Gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée populaire (FARC-EP) - ont abouti à une réduction spectaculaire de la violence et des conflits, ainsi qu'à un accord sur l'établissement d'un dispositif global de recherche de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition pour répondre aux violations flagrantes des droits de l'homme. Au Mali, une commission vérité, justice et réconciliation a été créée aux termes de l'Accord de paix conclu en juin 2015. Au Sénégal, l'ancien Président du Tchad, Hissène Habré, a été jugé pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture devant les Chambres africaines extraordinaires. Ce procès est le premier à être organisé sur le continent africain en application du principe de compétence universelle.. D'importantes actions publiques ont également été engagées au Guatemala et en République démocratique du Congo, entre autres. L'ONU se félicite de ces avancées et se tient prête à aider d'autres autorités nationales à renforcer leur capacité d'enquêter sur les violations flagrantes des droits de l'homme et les violations graves du droit international humanitaire et d'en poursuivre les auteurs.

22. Les mécanismes judiciaires et les dispositifs d'enquête internationaux, y compris les missions d'établissement des faits, les commissions d'enquête et la Cour pénale internationale, constituent autant de moyens supplémentaires de renforcer la responsabilisation lorsque les voies nationales se révèlent insuffisantes. En 2015, l'ONU a appuyé les commissions d'enquête sur l'Érythrée, le territoire palestinien occupé et la République arabe syrienne, dirigé des enquêtes et des missions d'établissement des faits en Iraq, en Libye et à Sri Lanka, enquêté sur les sévices commis par Boko Haram, et mené une mission d'évaluation des droits de l'homme au Soudan du Sud. En outre, le Conseil de sécurité a franchi une étape importante en adoptant la résolution 2235 (2015), qui prévoit des mesures pour que les responsables de l'utilisation comme arme de produits chimiques aient à répondre de leurs actes, notamment la création d'un mécanisme d'enquête conjoint entre l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques et l'Organisation des Nations Unies.

23. La Cour pénale internationale a réalisé des progrès considérables en 2015, notamment en procédant à sa première arrestation pour la destruction d'édifices religieux et de monuments historiques (au Mali), et en ouvrant le procès de Bosco Ntaganda pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité en République démocratique du Congo. Néanmoins, elle a continué de se heurter à de graves difficultés. Si la création de cette juridiction internationale est l'une des grandes réalisations de notre temps pour mettre fin à l'impunité des crimes internationaux les plus graves, il est extrêmement préoccupant que certains États parties au Statut de Rome aient menacé de quitter la Cour. Rien n'enhardit plus les auteurs de ces crimes que de savoir qu'ils n'en seront pas tenus pour responsables. Je demande à tous les États parties de réaffirmer leur attachement à la Cour et de coopérer pleinement avec elle, et invite les autres États à ratifier le Statut de Rome. Je demande également au Conseil de sécurité d'utiliser davantage le pouvoir qui lui est conféré de renvoyer des situations à la Cour, et de fournir un appui plus cohérent à celle-ci pour lui permettre d'exécuter ses mandats d'arrêt et ses autres décisions judiciaires.

Il faut agir davantage pour protéger les civils contre l'utilisation d'armes explosives dans des zones peuplées

24. L'utilisation d'armes explosives dans des zones peuplées a continué d'avoir des effets dévastateurs sur la population civile. D'après les données recueillies au niveau mondial par Action on Armed Violence, 33 307 civils ont été tués ou blessés par des engins explosifs en 2015, soit une légère augmentation par rapport à 2014. Lorsque de tels engins ont été utilisés dans des zones peuplées, 92 % des tués ou blessés recensés étaient des civils. Les pays où l'on a enregistré le plus grand nombre de victimes civiles sont la République arabe syrienne, suivie par le Yémen, l'Iraq, le Nigéria et l'Afghanistan. Outre ces chiffres effrayants, l'utilisation d'armes explosives dans des zones peuplées a entraîné des déplacements de population et considérablement endommagé des habitations civiles, des services et des infrastructures, telles que des hôpitaux, des écoles et des systèmes de distribution d'eau et d'énergie. Ces effets sont largement prévisibles et peuvent souvent être évités ou atténués.

25. Les ravages causés par l'utilisation d'armes explosives dans des zones peuplées ont été particulièrement manifestes en République arable syrienne et au Yémen. En 2015, Action on Armed Violence a recensé près de 9 000 civils tués ou blessés par ces armes dans le premier pays et plus de 6 000 dans le deuxième. Environ la moitié de ces pertes en vies humaines et de ces blessures ont été imputables à des frappes aériennes. En République arabe syrienne, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance a signalé plus de 900 cas de meurtres ou d'atteintes à l'intégrité physique d'enfants en 2015 du fait de l'utilisation d'engins explosifs dans des zones peuplées. Au Yémen, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a indiqué que des infrastructures d'alimentation en eau desservant plus de 900 000 personnes avaient été endommagées ou détruites par des armes explosives, et qu'une quinzaine de mosquées et 45 centres éducatifs et culturels avaient été détruits à la suite d'attentats ou de bombardements.

26. La même litanie de destructions est observée dans d'autres conflits. En Afghanistan, un grand nombre des 11 002 victimes civiles recensées par la Mission d'assistance des Nations Unies en 2015 ont été tuées ou blessées lors d'opérations terrestres au cours desquelles des armes explosives ont été utilisées, souvent dans des zones peuplées. Ces armes ont continué de faire beaucoup de victimes civiles en Iraq, en particulier dans les villes. Ainsi, le 13 août 2015, un raid aérien gouvernemental a touché un hôpital de Fallouja, faisant au moins 22 morts et pas moins de 39 blessés. Des bombardements aériens gouvernementaux ont également été signalés dans plusieurs villages du Soudan, en particulier entre janvier et juin 2015. En Libye et en Ukraine, les parties au conflit ont continué d'employer l'artillerie lourde dans des zones peuplées. D'après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, quelque 400 écoles et 150 centres de santé ukrainiens ont été endommagés ou détruits par des armes explosives en 2015. Le Nigéria aurait été le pays le plus durement touché par les attentats-suicides, qui, selon les chiffres de Action for Armed Violence, ont fait 2 181 tués ou blessés parmi les civils en 2015, soit une augmentation de 190 % par rapport à 2014.

27. Les « restes explosifs de guerre » peuvent tuer ou blesser des civils pendant des décennies après que les hostilités ont cessé. Ainsi, en Iraq, d'après le Service de la lutte antimines de l'ONU, certaines zones, à Ninive et au sud de Kirkouk, étaient toujours fortement polluées par des engins non explosés, ce qui entravait l'action humanitaire et empêchait les civils déplacés de rentrer chez eux. Dans le territoire palestinien occupé, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a indiqué que l'enlèvement de seulement 30 % des 7 000 engins non explosés se trouvant encore, selon les estimations, dans la bande de Gaza suite aux hostilités du deuxième trimestre de 2014 a été confirmé.

28. J'exhorte à nouveau les parties au conflit à s'abstenir d'utiliser des armes explosives à large rayon d'impact dans les zones habitées, en raison des dommages étendus et prévisibles qu'elles causent. J'encourage les États Membres à définir des orientations générales visant à réduire les conséquences humanitaires de l'utilisation d'engins explosifs dans des zones peuplées, à participer de façon constructive aux efforts qui se poursuivent pour élaborer une déclaration politique sur cette question et à soutenir les actions visant à protéger les civils des nuisances liées aux restes explosifs de guerre.

L'accès humanitaire est essentiel pour que les civils reçoivent l'aide et la protection qui leur sauvera la vie

29. Il est essentiel de garantir l'accès humanitaire afin que les civils puissent recevoir l'aide et la protection dont ils ont besoin. Les organisations humanitaires doivent être en mesure de collaborer systématiquement avec toutes les parties au conflit pour assurer durablement leur accès aux populations qui ont besoin de leur aide. La même situation s'est reproduite l'an dernier, certaines parties au conflit imposant de lourdes procédures administratives restreignant la circulation des convois ou du personnel humanitaires et entravant l'acheminement de vivres et d'autres produits de première nécessité, ce qui a eu des effets dramatiques pour les civils dans de nombreuses zones de conflit.

30. Ainsi, plusieurs obstacles administratifs, entre autres, ont gêné l'accès humanitaire en Somalie en 2015. Le transport des secours par la route, du Somaliland au Puntland, a notamment été interdit, ce qui a retardé l'acheminement à une population civile vulnérable de vivres, de compléments nutritionnels, de fournitures médicales et de matériels pour l'alimentation en eau et l'assainissement. Au Soudan, l'accès aux zones qui ne sont pas contrôlées par le Gouvernement dans les États du Kordofan méridional et du Nil Bleu est resté interdit, alors que l'accès à la majeure partie du Jabal Marra, au Darfour, est resté coupé ou fortement restreint. En outre, les restrictions administratives retardant la délivrance d'autorisations de voyage et de visas au personnel humanitaire ont entravé les activités de protection.

31. En Ukraine, le Gouvernement et les groupes armés non étatiques ont imposé des démarches administratives contraignantes qui ont gêné les opérations humanitaires dans l'est du pays. À partir de juillet 2015, les opérations de l'ONU et des organisations non gouvernementales internationales ont été suspendues dans certaines zones non contrôlées par les forces gouvernementales, surtout à Donetsk, mais aussi à Louhansk, en raison de la lourdeur des procédures d'accréditation et d'autres obstacles imposés par les autorités de fait. Quelque 3 millions de personnes ont ainsi eu du mal à accéder à des soins médicaux de qualité, à un hébergement ainsi qu'à des prestations et services sociaux.

32. Au Yémen, les intenses bombardements, les combats terrestres et les raids aériens de la coalition ont gêné les opérations humanitaires et empêché des millions de personnes d'avoir accès aux services de première nécessité. En outre, certaines parties au conflit ont imposé des obstacles bureaucratiques qui ont retardé ou empêché l'acheminement de l'aide humanitaire. Un exemple frappant de cette attitude a été le refus obstiné des autorités houthistes, d'août à décembre 2015, d'autoriser l'acheminement d'une aide humanitaire à 175 000 civils retenus dans une enclave de la ville de Taëz. L'entrée du personnel de l'ONU au Yémen a été retardée par l'important retard avec lequel les autorités locales ont délivré les visas, ce qui a affecté les opérations humanitaires. Un sujet particulier de préoccupation a été l'attitude des autorités locales qui se sont opposées de manière répétée, malgré les informations faisant état d'une crise alimentaire imminente, au déploiement par l'ONU dans tout le pays d'une mission d'évaluation d'urgence de la sécurité alimentaire et de la nutrition.

33. En République arabe syrienne, les autorités ont continué d'imposer des formalités administratives qui ont fortement entravé l'acheminement de l'aide humanitaire à travers les lignes de front. Sur les 113 demandes d'autorisation qui leur ont été adressées aux fins de l'acheminement par plusieurs organisations de convois vers des sites accessibles uniquement en franchissant une ligne de front, près de 75 % sont restées sans réponse. À la fin de 2015, quelque 393 700 personnes étaient toujours assiégées. Par rapport à 2013, deux fois plus de personnes vivaient dans des zones en état de siège ou difficiles d'accès. En 2015, l'ONU n'a pu fournir chaque mois une aide humanitaire qu'à environ 1 % de la population vivant dans les zones assiégées et à moins de 10 % de celle vivant dans des zones difficiles d'accès. J'insiste à nouveau sur le fait qu'il est interdit aux parties à un conflit d'utiliser l'arme de la faim contre la population civile. Une telle pratique devrait être poursuivie en tant que crime de guerre.

34. Les exemples ci-dessus illustrent la lutte quotidienne que de nombreuses organisations humanitaires doivent livrer pour atteindre les populations en détresse. C'est aux belligérants qu'il incombe au premier chef de répondre aux besoins élémentaires des civils dans les zones qu'ils contrôlent. Lorsque ces besoins ne sont pas satisfaits, les États ne doivent pas refuser arbitrairement d'autoriser des opérations de secours humanitaire impartiales. Une fois l'approbation donnée, les parties au conflit ont le devoir d'autoriser et de faciliter l'accès humanitaire, rapidement et sans entraves. Les États Membres et le Conseil de sécurité devraient trouver les moyens de remédier aux cas de refus arbitraire d'accès. Les prochaines directives d'Oxford sur le droit des opérations de secours humanitaire dans une situation de conflit armé, que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a fait établir à ma demande, devraient contribuer à une meilleure compréhension de ce cadre juridique et servir de base aux politiques visant à améliorer l'accès humanitaire.

Le personnel et le matériel humanitaires et sanitaires doivent être respectés et protégés

35. L'acheminement de vivres, d'eau, de médicaments, de services de santé de base et d'abris aux populations civiles en détresse appelle le plus grand respect et doit être protégé avec la plus grande énergie. Pourtant, le personnel et le matériel humanitaires et sanitaires sont fréquemment attaqués ou menacés, parfois dans le cadre de la stratégie militaire. La base de données sur la sécurité du personnel humanitaire a recensé 238 cas de travailleurs humanitaires tués, enlevés ou grièvement blessés en 2015. C'est en Afghanistan que les victimes ont été les plus nombreuses, puis au Soudan du Sud, en Somalie, en République démocratique du Congo et au Yémen. Près de 90 % des victimes appartenaient au personnel recruté sur le plan national, qui représente l'immense majorité du personnel humanitaire en général.

36. Chaque fois que des humanitaires ou des installations sont attaqués, ou des ambulances ou des convois pillés, il s'ensuit une rapide détérioration de l'accès des populations touchées à la nourriture, aux médicaments et aux abris. Cette situation ne fait que prolonger les souffrances et ses conséquences à long terme compromettent la capacité de satisfaire les besoins essentiels et d'atteindre les objectifs de développement. Au Soudan du Sud, par exemple, les actes de violence et les menaces à l'encontre du personnel et du matériel humanitaires ont entraîné, en 2015, l'annulation ou la suspension de 210 opérations de secours. Des produits de première nécessité ont été détruits, endommagés ou pillés, notamment des abris, des moustiquaires, des fournitures médicales, des bidons pour l'eau ou l'essence, des réservoirs d'eau, des fournitures scolaires et des compléments nutritionnels.

37. La fréquence des violences exercées contre le personnel, les installations et les transports sanitaires, en dépit de la protection spéciale que leur garantit le droit international humanitaire, est particulièrement alarmante. En Afghanistan, par exemple, 2015 a été marquée par une nette augmentation des attaques recensées contre des infrastructures sanitaires, dont 63 étaient le fait des forces antigouvernementales, soit une augmentation de 47 % par rapport à 2014. Le 3 octobre 2015, l'hôpital de traumatologie de Médecins sans frontières à Kunduz a été touché lors d'une série de raids aériens de la coalition. Au moins 42 personnes ont été tuées et 43 blessées, dont 49 membres du personnel de santé. Seul hôpital de ce type dans le nord-est de l'Afghanistan, il avait, depuis son ouverture en 2011, traité plus de 68 000 patients en urgence et sa destruction a privé des milliers de personnes d'accès aux soins d'urgence. Une enquête menée conjointement par les États-Unis et l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord a conclu qu'il s'était agi d'un accident « tragique et évitable », imputable au premier chef à une erreur humaine.

38. En République arabe syrienne, l'Organisation mondiale de la Santé estime que près de la moitié de tous les établissements de santé sont fermés ou ne fonctionnent plus que partiellement, et que près de la moitié également du personnel de santé est mort ou a fui le pays. Sur les 33 hôpitaux publics que comptait la ville d'Alep en 2010, il en restait moins de 10 en activité à la fin de 2015 (voir A/HRC/31/68). Les actes de violence commis à l'encontre du personnel et du matériel sanitaires ont joué un rôle majeur dans la destruction du système de santé. En 2015, d'après l'organisation Médecins pour les droits de l'homme, 93 établissements médicaux syriens ont fait l'objet de 122 attaques, tuant 107 membres du personnel de santé; dans l'immense majorité (116 sur 122), il s'agissait de bombardements aériens. De nombreux cas de disparition de fournitures médicales transportées par les convois humanitaires ont aussi été signalés. L'Organisation mondiale de la Santé a ainsi dénombré neuf incidents de ce type sur des convois de l'ONU à destination des provinces de Homs, d'Alep et de Damas, privant plus de 140 000 personnes d'un soutien médical de première nécessité.

39. Au Yémen, près de 600 établissements de santé ont fermé en raison soit de dégâts matériels causés par le conflit, soit du manque de fournitures essentielles ou de personnel soignant. En 2015, l'ONU a recensé 59 attaques sur 34 établissements de santé. Début octobre 2015, quatre des installations de Médecins sans frontières au Yémen ont été touchées par les forces de la coalition en moins de trois mois, notamment un hôpital se trouvant à Haydan, dans la province de Saada, qui desservait environ 200 000 habitants.

40. Nous devons faire davantage pour inverser une tendance aussi regrettable. Je rappelle à toutes les parties aux conflits, étatiques et non étatiques, qu'elles sont tenues, en temps de conflit armé, à la stricte obligation de respecter et de protéger le personnel, les installations et les transports sanitaires ainsi que les personnes blessées et malades. En temps de guerre, les hôpitaux devraient être des sanctuaires. Dans sa résolution 2286 (2016), le Conseil de sécurité énumère plusieurs mesures concrètes visant à renforcer la protection des services médicaux en période de conflit armé. Je demande instamment à tous les États Membres, aux parties à un conflit et aux autres intervenants d'appliquer ces mesures afin de rétablir un environnement respectueux des missions médicales.

Une action collective s'impose face aux déplacements forcés

41. À la fin de 2015, on comptait plus de 60 millions de déplacés en raison de conflits, de violences ou de persécutions. D'après l'Observatoire des situations de déplacement interne, le nombre de personnes déplacées dans leur propre pays s'est accru de plus de 2,8 millions en 2015, atteignant le chiffre sans précédent de 40,8 millions. En outre, le nombre de réfugiés a dépassé les 20 millions pour la première fois en 20 ans.

42. En 2015, en Afghanistan, au Burundi, au Cameroun, en Iraq, au Niger, au Nigéria, au Pakistan, aux Philippines, en République arabe syrienne, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, au Soudan, au Soudan du Sud, au Tchad, en Ukraine et au Yémen, des conflits, des violences et des persécutions ont contraint un grand nombre de personnes à s'enfuir de chez elles pour se mettre à l'abri, soit ailleurs dans leur propre pays soit en traversant une frontière. Outre les millions de personnes fuyant la République arabe syrienne, d'importants mouvements de réfugiés ont été observés notamment de la République centrafricaine vers le Cameroun, la République démocratique du Congo et le Tchad, du Burundi vers la République -Unie de Tanzanie et le Rwanda (et, dans une moindre mesure, l'Ouganda et la République démocratique du Congo) et du Soudan du Sud vers l'Éthiopie et le Soudan. La Turquie a été le principal pays d'accueil de réfugiés, suivie du Pakistan, du Liban, de l'Iran, de l'Éthiopie et de la Jordanie.

43. On a pu mesurer dans plusieurs contextes l'ampleur de la crise provoquée au niveau mondial par ces déplacements de population. Par exemple, au moins 2,3 millions de Yéménites se trouvaient déplacés dans leur propre pays à la fin de 2015. En Afghanistan, les déplacés ayant dû fuir à cause du conflit ont atteint le chiffre record de 1,17 million, dont 384 480 pour la seule année 2015, soit une augmentation de 96 % par rapport à 2014. En Iraq, plus de 500 000 personnes ont fui Ramadi en avril et en mai 2015, lorsque l'État islamique d'Iraq et du Levant a lancé des attaques et s'est emparé de la ville. À la fin de 2015, le nombre de personnes déplacées dans le pays atteignait 3,3 millions. En République arabe syrienne, 1,2 million de personnes, en 2015, ont été déplacées dans leur propre pays, portant leur nombre total, au 31 décembre 2015, à 6,5 millions. En outre, 4.6 millions de personnes ont fui à l'étranger. À Gaza, quelque 90 000 personnes étaient toujours déplacées à la suite des hostilités de 2014, tandis qu'un grand nombre de réfugiés de Palestine, parmi les 5 millions que compte la région, se trouvaient en état d'insécurité croissante du fait du conflit en République arabe syrienne.

44. La majorité des réfugiés et déplacés vivaient au sein de communautés d'accueil, souvent dans des zones urbaines, et non dans des camps. Au Nigéria, par exemple, seuls 7,5 % des 2,2 millions de déplacés vivaient dans des camps ou des sites assimilables à des camps, à la fin de 2015. En Ukraine, la plupart des 1.7 million de déplacés vivaient dans des communautés d'accueil et avaient déménagé au moins deux fois au cours de leur déplacement; un tiers avait déménagé au moins trois fois. En République centrafricaine, quelque 260 000 déplacés étaient accueillis dans des familles, 200 000 autres résidaient dans des camps ou des sites assimilables à des camps, et 36 000 autres, selon les estimations, appartenant pour la plupart à des groupes minoritaires, étaient coincés dans des enclaves en différents endroits du pays. Au Soudan du Sud, plus de 190 000 déplacés avaient trouvé refuge à l'intérieur des sites de protection des civils mis en place par l'ONU, soit près du double de leurs effectifs du début de 2015, tandis que près de 1,5 million vivaient au pourtour de ces sites.

45. Assurer la sécurité et la protection est demeurée une préoccupation majeure. Dans de nombreux contextes, les réfugiés et les personnes déplacées ont fait l'objet d'atteintes à leurs droits fondamentaux, telles que refoulement ou expulsion illégale, assassinat ciblé, torture et mauvais traitement, violence sexuelle et sexiste, mariage précoce et forcé, enlèvement d'enfants, enrôlement forcé (y compris d'enfants) dans des groupes armés et arrestation arbitraire. Au nord-est du Nigéria, près de 70 % des familles déplacées se trouvant en état de vulnérabilité auraient subi ou risquaient de subir des violences sexuelles et sexistes. En Somalie, les organismes de protection ont recensé 9 582 actes de violence sexuelle et sexiste en 2015, 75 % d'entre eux ayant été perpétrés dans des zones regroupant des déplacés.

46. Les autorités nationales sont responsables au premier chef de protéger et d'aider les déplacés et les réfugiés se trouvant sur leur territoire. Les organisations humanitaires jouent un rôle essentiel en aidant les pouvoirs publics et en répondant aux besoins les plus urgents des déplacés. Toutefois, la durée moyenne des déplacements étant estimée à environ 17 ans, ce soutien n'est pas suffisant. La durée prolongée des déplacements pose un problème politique et de développement autant qu'un problème humanitaire. Leur séjour se prolongeant, les réfugiés et les déplacés doivent trouver du travail, obtenir un logement sûr et assurer l'éducation de leurs enfants. Pour gérer les incidences socioéconomiques et humanitaires de ces déplacements, les communautés d'accueil ont besoin d'une aide financière, politique et opérationnelle.

47. L'importance de la recherche de solutions aux déplacements forcés est soulignée dans le Programme de développement durable à l'horizon 2030. Dans cette optique, une nouvelle approche doit être définie, qui s'attache non seulement à satisfaire les besoins humanitaires immédiats, mais aussi à réduire la vulnérabilité et à améliorer la résilience, l'autonomie et la protection des déplacés et de leurs communautés d'accueil. Il faut pour cela que les acteurs humanitaires et de développement coordonnent davantage leurs actions, comme je l'ai indiqué dans mon Programme d'action pour l'humanité. En outre, la pleine application de principes de protection conformes à la Convention de 1951 relative au statut de réfugiés et à son Protocole de 1967, y compris le principe de non-refoulement, ainsi qu'aux instruments régionaux applicables en matière de réfugiés, est essentielle. Des cadres solides sont également nécessaires en ce qui concerne la protection des déplacés. La Convention de l'Union africaine sur la protection et l'assistance aux personnes déplacées en Afrique est un bon modèle en la matière; j'encourage sa pleine application en Afrique et l'élaboration de cadres d'action similaires dans d'autres régions. Le Sommet mondial sur l'action humanitaire offrira une occasion unique de progresser sur toutes ces questions.

48. Le 19 septembre 2016, l'Assemblée générale tiendra une réunion plénière de haut niveau consacrée aux déplacements massifs de réfugiés et de migrants. Elle s'appuiera sur mon rapport relatif à cette question (A/70/59) ainsi que sur mon Programme d'action pour l'humanité. Les pays et les communautés qui accueillent un grand nombre de réfugiés fournissent un bien public mondial et devraient être soutenus en conséquence. Un nouveau pacte mondial pour le partage prévisible et équitable des responsabilités doit voir le jour. Les États Membres doivent participer de manière constructive à la réunion plénière de haut niveau et au Sommet mondial sur l'action humanitaire afin de veiller à ce que les personnes déplacées par les conflits, les violences et les persécutions, qui sont parmi les plus vulnérables au monde, ne soient pas laissées de côté.

III. Progrès, résultats et perspectives

49. Des actions importantes ont été engagées aux niveaux normatif et opérationnel pour répondre à certaines des préoccupations dont le présent rapport s'est fait l'écho. Des progrès ont été enregistrés dans plusieurs domaines. Néanmoins, la protection des civils sur le terrain demeure une tâche très lourde. Les mois à venir offriront d'importantes occasions d'améliorer le sort des civils dans les conflits armés. Nous devons impérativement les saisir pour que les avancées réalisées sur le plan normatif et sur celui des politiques générales se traduisent pour les civils par une meilleure protection sur le terrain.

Réviser le programme mondial pour améliorer la protection des civils en temps de conflit armé

50. L'année dernière, un exercice majeur de réforme a été engagé, qui a entraîné l'examen des composantes essentielles du système mondial et a débouché sur des recommandations audacieuses et porteuses de changement. La vision universelle, indivisible et intégrée que les États Membres ont formulée dans le Programme de développement durable à l'horizon 2030 revêt une importance particulière. L'intérêt porté dans ce programme aux plus vulnérables, notamment les populations déplacées, nous encourage à placer la protection des civils en tête des préoccupations. Parmi les autres initiatives importantes de 2015, on retiendra le Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix, mon rapport sur l'avenir des opérations de paix des Nations Unies (A/70/357-S/2015/682), le rapport du Groupe consultatif d'experts sur l'examen du dispositif de consolidation de la paix de l'ONU (A/69/968-S/2015/490) et l'étude mondiale sur l'application de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité |1|. Toutes ces initiatives ont mis en évidence la nécessité, d'une part, de prévenir les crises plutôt que de réagir une fois qu'elles ont éclaté, aux prix de sacrifices humains et financiers beaucoup plus grands, et, de l'autre, de décloisonner le travail des institutions afin de mieux faire face à des enjeux complexes. Il est essentiel que ces messages soient entendus si l'on veut renforcer la protection des civils en période de conflit armé.

51. Ces efforts complètent mon initiative « Les droits avant tout », qui vise à ce que les organismes des Nations Unies engagent des actions précoces, collectives et efficaces pour prévenir les violations massives des droits de l'homme, ou y remédier. Mon récent rapport sur le Sommet mondial sur l'action humanitaire et mon Programme d'action pour l'humanité s'inspirent de toutes ces activités et appellent les dirigeants mondiaux à agir concrètement et collectivement afin d'améliorer le respect du droit international et de renforcer la protection des civils en temps de conflit armé.

Renforcer l'application du droit international humanitaire

52. La trente-deuxième Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, tenue en décembre 2015, a rappelé le rôle toujours aussi important que jouent le droit international humanitaire pour réguler la conduite des parties à un conflit et la protection des civils. Elle a également insisté sur la nécessité de redoubler d'efforts pour combler les lacunes et les faiblesses dans l'application de ce droit. Plusieurs résolutions importantes ont été adoptées, notamment sur la violence sexuelle et sexiste et la protection des services de santé. Tous les États se sont engagés à participer à un processus intergouvernemental, animé par la Suisse et le Comité international de la Croix-Rouge, en vue de parvenir à un accord sur les grandes lignes d'un éventuel forum des États sur le droit international humanitaire. Ils sont également convenus de trouver les moyens de renforcer l'application du droit international humanitaire, en tirant parti des possibilités offertes par la Conférence internationale ainsi que par les forums régionaux consacrés à cette question. J'encourage tous les États Membres et les autres acteurs concernés à participer de manière constructive à ce processus.

Accroître le rang de priorité de la question de la protection des civils dans les travaux du Conseil de sécurité

53. Dans sa déclaration du 25 novembre 2015, le Président du Conseil de sécurité a réaffirmé que la protection des civils demeurait une « question essentielle » dans le programme de travail du Conseil. En annexe à ladite déclaration, la version mise à jour de l'aide-mémoire pour l'examen des questions relatives à la protection des civils en période de conflit armé signalait les évolutions pertinentes dans le langage et la pratique du Conseil, et fournissait des orientations utiles. Je félicite l'Uruguay d'avoir pris l'initiative d'organiser, en janvier 2016, un débat public sur la protection des civils. Ce genre de débats joue un rôle déterminant, en offrant aux États Membres la possibilité de débattre d'importantes questions interdisciplinaires, telles que le respect du droit, la responsabilité et l'accès humanitaire, et il facilite le dialogue entre le Conseil et l'ensemble des États Membres afin d'obtenir des avancées sur la question de la protection des civils.

54. Le Groupe d'experts informel du Conseil de sécurité sur la protection des civils s'est réuni huit fois en 2015, pour traiter de la situation en Afghanistan, en Iraq, au Mali, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud et au Soudan (Darfour). Ces réunions ont abordé la question de la protection des civils sous l'angle humanitaire et ont permis à un large éventail de parties prenantes de faire part de leurs préoccupations et recommandations au Conseil pour l'éclairer dans ses délibérations. J'encourage ce dernier à continuer de faire régulièrement appel au Groupe d'experts et à envisager d'élargir son programme de travail pour y inclure d'autres situations préoccupantes, notamment celles où des opérations de paix ne sont pas déployées.

Donner la priorité à la protection des civils dans les opérations de paix des Nations Unies

55. La protection des civils relève avant tout de la responsabilité des États, mais ce doit aussi être une priorité pour les opérations de paix des Nations Unies. Le Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix des Nations Unies et moi-même, dans mon rapport sur l'avenir de ces opérations, avons souligné qu'elles devaient toutes impérativement assurer la protection des civils, et avons reconnu le rôle que joue le personnel militaire, civil et de police à cet égard.

56. J'ai donné pour instruction à toutes les missions de maintien de la paix et missions politiques spéciales de recenser les moyens de protéger les civils, en tirant parti de tous les outils disponibles et sans oublier qu'en dernière analyse, la protection des civils ne peut être assurée de façon durable que par des solutions politiques. Sur 10 opérations de maintien de la paix chargées de protéger des civils, 8 mettent actuellement en œuvre des stratégies globales pour repérer les menaces qui pèsent sur les civils et définir une approche concertée pour y faire face. J'ai donné des instructions pour que des conseillers de haut rang spécialisés dans les questions touchant à la protection des civils soient déployés dans toutes les missions et qu'ils soient placés directement sous l'autorité du chef de mission, pour lui donner des conseils aux fins de l'élaboration de stratégies de protection et en coordonner la mise en œuvre. Il faudrait que les autres opérations de paix, notamment les missions politiques spéciales, mettent au point des stratégies analogues pour compléter les stratégies de protection des acteurs humanitaires. S 'il faut établir une distinction claire entre action politique ou militaire et action humanitaire, il convient d'en comprendre les objectifs respectifs et de tirer parti au mieux de leurs complémentarités.

57. La participation de la population est essentielle. Des outils tels que les réseaux d'alerte locale et les assistants chargés de la liaison avec la population locale, qui ont été déployés initialement à la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, se sont révélés extrêmement utiles pour comprendre comment la menace est perçue au niveau local, notamment comment les communautés sont censées réduire les risques et quelle peut être la contribution des opérations de paix. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti et la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud ont elles aussi déployé des assistants chargés de la liaison avec la population locale, adaptant les fonctions aux besoins, aspirations et préoccupations des communautés. Il reste nécessaire de mettre au point des approches plus stratégiques et cohérentes pour mobiliser la population, en s'appuyant sur les activités des différentes composantes des missions et en travaillant en concertation avec les intervenants humanitaires.

58. La crédibilité des forces de maintien de la paix des Nations Unies repose en grande partie sur leur volonté et leur capacité d'intervenir lorsque des civils sont menacés. L'adoption en 2015 des Principes de Kigali sur la protection des civils, par lesquels des États Membres se sont engagés à s'acquitter pleinement des mandats relatifs à la protection des civils, marque un tournant décisif. Les indicateurs récemment mis au point aideront les missions à évaluer l'efficacité de ces mandats et contribueront donc à renforcer l'application du principe de responsabilité. Des directives sont par ailleurs en cours d'élaboration pour aider les missions à mieux rendre compte de la protection des civils, notamment des menaces qui pèsent sur ces derniers, des situations à haut risque et des moyens dont les forces de maintien de la paix ont besoin pour intervenir. Tout manquement des forces de maintien de la paix au devoir d'agir ou d'exécuter des ordres sera porté à l'attention du Conseil de sécurité. De son côté, le Conseil doit être prêt à fournir un appui politique et opérationnel quand des civils sont menacés, notamment en hiérarchisant davantage les objectifs, comme cela a été fait lorsque la portée du mandat de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud a été réduite à la suite du conflit qui a éclaté dans ce pays en 2013.

Prévention et répression de l'exploitation et des atteintes sexuelles

59. Des informations particulièrement préoccupantes ont été reçues en 2015 concernant des actes d'exploitation et d'abus sexuels commis par des membres du personnel des Nations Unies à l'encontre de civils, notamment d'enfants, qu'ils avaient été chargés de protéger. L'opinion mondiale a été scandalisée, en particulier par les allégations de violence sexuelle mettant en cause des membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies et d'autres forces étrangères en République centrafricaine. L'Organisation des Nations Unies applique une politique de tolérance zéro vis-à-vis de l'exploitation et des atteintes sexuelles et exige que les auteurs de tels actes aient à en répondre pleinement à tous les niveaux, ce qui suppose un engagement fort de la part des États Membres. J'ai établi un programme d'action élargi pour empêcher que des membres du personnel des Nations Unies, en particulier des forces de maintien de la paix, ne se rendent coupables d'actes d'exploitation ou d'abus sexuels et pour sanctionner les éventuels auteurs de tels actes (voir A/70/729). Je me félicite que, dans sa résolution 2272 (2016), le Conseil de sécurité ait approuvé les dispositions relatives au personnel de maintien de la paix et j'invite les États Membres à collaborer avec l'Organisation pour que celles -ci soient effectivement appliquées.

60. Je me félicite également que les membres du Comité permanent interorganisations aient adopté le 11 décembre 2015 une déclaration sur les actes d'exploitation et d'abus sexuels, plus particulièrement axée sur le personnel humanitaire. Cette déclaration comporte des engagements précis tendant à prévenir et à réprimer plus durement de tels actes dans le cadre des opérations humanitaires. Je demande à tous les acteurs concernés de s'acquitter de ces engagements sans délai.

Placer la protection au cœur de l'action humanitaire

61. Les organismes humanitaires ont pris d'importantes mesures depuis 2015 pour placer la protection des civils au cœur de l'action humanitaire. À l'issue de l'étude indépendante à l'échelle du système que le Comité permanent interorganisations a fait effectuer sur la protection des civils dans les crises humanitaires, des recommandations ont été formulées pour que le dispositif d'intervention humanitaire contre plus efficacement les menaces, les vulnérabilités et les violations et appuient les mesures que les personnes touchées mettent elles-mêmes en œuvre pour se protéger. C'est sur ces bases que le Comité élaborera une nouvelle politique de protection. Par ailleurs, les équipes de pays chargées de l'action humanitaire en Iraq, en République arabe syrienne et au Soudan du Sud ont élaboré des stratégies de protection qui englobent l'ensemble des acteurs humanitaires, même ceux qui ne sont pas expressément chargés d'assurer une protection.

62. L'action humanitaire et le maintien de la paix peuvent jouer des rôles essentiels en sauvant des vies et en préservant la dignité humaine, mais ils ne sauraient se substituer à des actions politiques de longue haleine pour faire respecter le droit international et pour prévenir et régler les conflits. Lorsqu'un conflit ne peut être évité, le plein respect du droit international humanitaire et des instruments relatifs aux droits de l'homme par les parties au conflit est un préalable indispensable à la protection des civils. À long terme, la protection des civils suppose que l'on s'attaque aux causes profondes des conflits et qu'une paix durable soit négociée. Le Sommet mondial sur l'action humanitaire devrait être l'occasion de réaffirmer notre détermination à nous acquitter de notre responsabilité première envers l'humanité, en prenant des mesures concrètes et collectives pour prévenir et faire cesser les conflits et consolider la paix.

IV. Recommandations

63. Rappelant les nombreuses recommandations que j'ai formulées dans mes précédents rapports et dans mon Programme d'action pour l'humanité, j'insiste sur l'importance des mesures énoncées ci-après.

Mieux faire respecter le droit international et veiller à ce que les auteurs de violations répondent de leurs actes

64. Le Conseil de sécurité devrait :

    a) Condamner systématiquement les violations du droit international humanitaire, des droits de l'homme et du droit des réfugiés;

    b) Prendre des mesures contre les violations les plus graves, notamment des mesures ciblées contre leurs auteurs, en diligentant des commissions d'enquête ou des missions d'établissement des faits et en saisissant la Cour pénale internationale lorsque les mesures nationales sont insuffisantes;

    c) Fournir un soutien suivi à la Cour pour lui permettre de faire exécuter ses mandats d'arrêt et autres décisions judiciaires.

65. Les parties en conflit devraient :

    a) Prendre des mesures spécifiques pour mieux faire respecter les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution inscrits dans le droit international humanitaire, notamment en veillant à ce que soient dispensées une éducation et des formations adéquates;

    b) S'abstenir d'utiliser les hôpitaux, établissements d'enseignement et lieux de culte à des fins militaires;

    c) Respecter le caractère civil et humanitaire des camps et installations de réfugiés et de déplacés.

66. Les États Membres devraient :

    a) Veiller à ce que les lois, politiques et pratiques nationales soient conformes aux instruments internationaux, notamment en constituant des comités nationaux pour conseiller les gouvernements, en élaborant des principes et une formation adéquates pour les forces armées, en partageant les meilleures pratiques et en mettant au point des outils, notamment des directives, des explications techniques et des politiques nationales de protection des civils;

    b) Appuyer la mise au point de dispositifs de collecte et d'analyse systématiques de l'information et renforcer les mécanismes de notification concernant la protection des civils dans les conflits armés;

    c) Adopter une législation nationale qui couvre l'ensemble des crimes de droit international et établisse la compétence universelle à l'égard de ces crimes, et renforcer l'application des lois et l'impartialité des systèmes judiciaires;

    d) Condamner systématiquement les violations du droit international humanitaire, des droits de l'homme et du droit des réfugiés et porter ces violations à la connaissance du Conseil de sécurité;

    e) Enquêter sur les allégations de violations graves du droit international humanitaire, des droits de l'homme et du droit des réfugiés et engager des poursuites en conséquence;

    f) Ratifier le Statut de Rome et collaborer avec la Cour pénale internationale sur les plans politique, technique et financier, en lui fournissant un appui adéquat.

Mieux protéger les civils contre l'emploi d'armes explosives dans les zones habitées

67. Les parties à un conflit devraient s'abstenir d'employer des armes explosives à large rayon d'impact dans les zones habitées.

68. Les États Membres devraient sensibiliser davantage l'opinion aux conséquences préjudiciables prévisibles et courantes de l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact dans les zones habitées, s'informer des pratiques et politiques visant à minimiser ces conséquences et les diffuser et participer de façon constructive au processus en cours d'élaboration d'une déclaration politique sur cette question.

Autoriser, permettre et faciliter l'accès de l'aide humanitaire

69. Le Conseil de sécurité devrait :

    a) Rappeler systématiquement aux parties à un conflit qu'elles sont tenues d'autoriser et de faciliter l'accès rapide et sans entrave de l'aide humanitaire;

    b) Condamner systématiquement tout refus arbitraire d'autoriser des opérations de secours humanitaire revêtant un caractère impartial et tout acte privant des civils des objets indispensables à leur survie, notamment en entravant délibérément l'acheminement et l'accès des secours, et rappeler que de tels actes constituent des violations du droit international humanitaire.

70. Les parties en conflit devraient :

    a) Répondre aux besoins essentiels de la population civile se trouvant sous leur contrôle;

    b) Respecter et promouvoir le respect des principes de l'action humanitaire que sont l'humanité, la neutralité, l'impartialité et l'indépendance;

    c) S'acquitter de leur obligation d'autoriser et de faciliter l'accès rapide et sans entrave de l'aide humanitaire, en adoptant des procédures claires, simples et accélérées.

71. Les États Membres devraient :

    a) Autoriser les opérations de secours humanitaire présentant un caractère impartial;

    b) Condamner systématiquement, et prévenir, notamment par l'intermédiaire du Conseil de sécurité, toute entrave à des opérations de secours humanitaire revêtant un caractère impartial et tout refus arbitraire d'y consentir;

    c) Prendre des mesures pour que les acteurs humanitaires impartiaux puissent engager un dialogue et se concerter avec toutes les parties en conflit afin d'assurer durablement leur accès et de répondre aux besoins humanitaires en toute sécurité.

Respecter et protéger la mission humanitaire et médicale

72. Le Conseil de sécurité devrait :

    a) Rappeler systématiquement aux parties en conflit qu'elles ont l'obligation de respecter et de protéger le personnel et le matériel humanitaires et sanitaires;

    b) Condamner systématiquement les attaques perpétrées contre le personnel et le matériel humanitaires et sanitaires et demander l'ouverture d'enquêtes efficaces sur ces incidents.

73. Les parties en conflit devraient arrêter des mesures efficaces pour prévenir et combattre les actes de violence visant le personnel et le matériel humanitaires et sanitaires.

74. Les États Membres devraient adopter et appliquer des mesures législatives, réglementaires et concrètes pour s'acquitter des obligations internationales qui leur incombent s'agissant de la protection des blessés et des malades, ainsi que du personnel et du matériel humanitaires et sanitaires.

Prévenir les déplacements forcés et s'employer à y apporter des solutions durables

75. Le Conseil de sécurité devrait :

    a) Demander systématiquement à ce que les réfugiés et les déplacés soient protégés, encourager les États Membres à favoriser la mise en place de solutions durables pour faire face aux déplacements forcés et inviter les opérations de paix des Nations Unies à soutenir ces mesures en étroite concertation avec les acteurs humanitaires et du développement;

    b) Rappeler systématiquement aux parties en conflit le caractère civil et humanitaire des camps et installations de déplacés et de réfugiés et condamner toutes les attaques les prenant pour cible.

76. Les États Membres devraient :

    a) S'engager à promouvoir des solutions sûres, dignes et durables pour les personnes déplacées et s'attacher à réduire les déplacements internes de 50 % d'ici à 2030;

    b) Renforcer les lois, politiques et capacités nationales propres à assurer la protection des réfugiés et des personnes déplacées et leur intégration dans les filets de sécurité sociale, les programmes d'éducation, le marché du travail et les plans de développement nationaux, et mobiliser des ressources adéquates pour répondre à leurs besoins;

    c) Adopter et appliquer des cadres politiques et juridiques régionaux et nationaux qui améliorent la protection des personnes déplacées;

    d) Élaborer un nouveau pacte mondial sur le partage des responsabilités concernant les réfugiés, de manière à préserver leurs droits, tout en apportant un appui efficace et prévisible aux pays touchés par les mouvements de réfugiés;

    e) S'employer activement à préserver le principe du droit d'asile et du non-refoulement.

Donner la priorité à la protection des civils dans les opérations de paix des Nations Unies

77. Le Conseil de sécurité devrait continuer à donner la priorité à la protection des civils dans les mandats des opérations de paix lorsque ceux-ci sont fortement exposés à la violence, notamment en enchaînant et en échelonnant les tâches prescrites.

78. Les États Membres devraient :

    a) Veiller à ce que les membres du personnel militaire et de police qu'ils affectent à des opérations de paix appliquent les normes les plus strictes en matière de droits de l'homme, reçoivent, avant leur déploiement, une formation conforme aux normes de l'ONU sur la protection des civils et des enfants et la violence sexuelle liée aux conflits, et s'acquittent de leurs fonctions conformément à leur mandat et aux règles d'engagement;

    b) Remédier à l'insuffisance des capacités, notamment en fournissant d'importantes ressources telles que des moyens de mobilité aérienne et des outils d'alerte rapide.

79. Les États Membres devraient collaborer étroitement avec les opérations de paix qu'ils accueillent pour protéger les civils, sans préjudice de la responsabilité première qui leur incombe à ce titre, et devraient envisager de conclure des accords avec l'Organisation pour appuyer les activités de protection des civils.


Notes :

1. Disponible à l'adresse suivante : http://wps.unwomen.org/~/media/files/un%20women/wps/highlights/unw-global-study-1325-2015.pdf. [Retour]


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