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DERECHOS


1976-2001: 25 anes d'impunité


De Rosas à Péron, 150 ans de grandeur et d'infortune argentine.

Par Jorge Magasich, Historien.


Gigantesque pays rural, l'Argentine s'est un jour rêvée aussi puissante que les États nord-américains, dont elle a un moment disputé l'hégémonie économique. Cependant, le pays n'a jamais pu se départir des pesanteurs conservatrices de sa puissante oligarchie foncière. C'est peut être là, l'origine de sa traditionnelle instabilité politique et de ses maux d'aujourd'hui.


L' Indépendance de l'Argentine est l'oeuvre de fonctionnaires et intellectuels citadins, souvent francs maçons. Débarrassés de la tutelle espagnole, ils vont s'attacher à unifier ce qui s'appelait encore les Territoires du Rio de la Plata par deux constitutions unitaires, en 1819 et 1826. Mais les provinces du Nord contestent l'hégémonie de Buenos Aires et mettent son armée en déroute. Les propriétaires du Sud, quant à eux, soutiennent la ville et finissent par lui imposer leurs conditions. En 1927, leur chef, Juan Manuel Rosas, s'empare du pouvoir qu'il conservera jusqu'en 1852. Il va jeter les bases constitutives de l'Argentine moderne dont certains éléments subsistent encore aujourd'hui.

Le règne des estancieros

Le nouveau président organise d'abord la colonisation des plaines du sud de Buenos Aires. Plusieurs offensives militaires montées pour repousser les Indiens prennent des allures de guerres d'extermination pures et simples. Les terres capturées sont d'abord louées puis vendues ou données, le plus souvent aux vétérans des expéditions. Ainsi, se reproduit le système colonial de latifundia et de concentration foncière. Vers 1840, 293 personnes, les pères de l'oligarchie foncière argentine, détiennent une surface grande comme trois fois la Belgique.

L'Argentine est un pays essentiellement rural. Elle vend son cuir à Londres et sa viande salée à Cuba ou au Brésil. La polarisation sociale est absolue, les propriétaires des estancias dominent l'administration, le Parlement et la milice. Il s'agit le plus souvent de chefs locaux -des caudillos- qui dépendent à leur tourd'un caudillo plus puissant. En bas de l'échelle sociale se trouvent les péones, des petits paysans et gauchos marginaux au service des caudillos. Dans l'estancia, les péones sont protégés des levées militaires forcées ou des incursions des Indiens, peuvent installer leur rancho (chaumière) et prétendre, parfois, à un salaire. La famille rurale de base reste la mère célibataire, le mariage constituant l'exception. La classe moyenne est rare, composée d'artisans et entrepreneurs européens.

Rosas bénéficie du soutien de l'Eglise (à l'exception des jésuites qui ont été expulsés de l'Argentine), son portrait est présent dans les processions et orne les autels. Il impose un style vestimentaire de couleur rouge. La terreur est un élément essentiel de son système politique. Ses proches se regroupent dans la Sociedad popular restauradora, une organisation politique qui dispose d'un escadron paramilitaire, la mazorca, composé de policiers et de délinquants professionnels.

Mais Rosas se brouille avec l'Europe en fermant la navigation sur les fleuves Parano et Uruguay. En 1838, une flotte française bloque le port de Buenos Aires durant deux ans. En 1845, les Français, rejoints par les Anglais bloquent à nouveau le port pendant cinq ans. Ces conflits provoquent la rupture entre Rosas et la bourgeoisie du port, proche de l'Europe. Une alliance entre l'Angleterre, le Brésil et les caudillos de l'intérieur, fait tomber Rosas en 1852. Il mourra en exil en Angleterre.

Unité nationale

Jusqu'alors, la «Confédération des provinces unies du Rio de la Plata» qui réunit treize provinces était une fiction. Une nouvelle guerre entre les provinces et Buenos Aires s'achève par une victoire plus ou moins négociée de cette dernière. Les grands propriétaires commerçants porteños dominent le pays qui s'appelle désormais«Argentine», depuis la constitution de

1853. Le premier président, Bartolomé Mitre, et son successeur, Faustino Sarmiento, achèvent l'unité nationale et territoriale. La guerre contre le Paraguay (1865-1872) où l'Argentine est l'alliée du Brésil et de l'Uruguay, permet de créer une armée nationale. En 1881, le peso oro devient la seule monnaie du pays.

Les présidents libéraux partent en guerre contre les caudillos locaux, les rébellions et les Indiens, autant d'incarnations, à leurs yeux, de «.la barbarie»qu'ils opposent à la «civilisation» européenne. C'est au nom de cette dernière d'ailleurs qu'en 1879 le ministre de la Guerre, Roca, organise l'occupation de la Patagonie. Cette campagne -comme celle de 1837- s'est terminée par l'extermination de la plupart des ethnies au sud.

A partir des années 1860, le maïs, le blé, la laine, le graine de lin, les chevaux vivants et parfois la canne à sucre, s'ajoutent aux exportations de cuir, alors que les bateaux frigorifiques permettent à la viande d'atteindre les marchés européens. L'État investit dans l'extension du port et du télégraphe et développe l'instruction publique obligatoire et laïque. Des sociétés britanniques ouvrent des banques à Buenos Aires qui financent la construction de lignes de chemins de fer.

Six millions d'immigrants

Les 1,7 million d'Argentins recensés en 1869 ne peuvent, seuls, répondre à la demande de main d'oeuvre. L'Argentine attire les immigrants européens, ruinés par les céréales américaines importées à bas prix, en leur offrant des droits identiques aux citoyens argentins. De 1870 à 1930, près de 6 millions d'immigrants, surtout Italiens et Espagnols, répondent à l'appel. La moitié s'y fixera définitivement.

L'exploitation des nouveaux territoires reliés par 34 000 kilomètres de voie ferrée permet à l'Argentine de concurrencer les céréales nord-américaines. Le pays connaît une croissance économique de 5 % pendant 30 ans. Le revenu par habitant atteint celui de l'Allemagne et des Pays-Bas et dépasse le niveau de l'Espagne ou de l'Italie.

La population de Buenos Aires passe de 180 000 habitants en 1880 à 1 575 000 en 1914 dont la moitié sont des immigrants.

La richesse est perceptible dans l'opulence des nouveaux bâtiments publics, comme le «souterrain»(métro), les gares, véritables copies de celles de Londres ou de Liverpool ou encore dans le magnifique théâtre Colon. La vie culturelle, très européanisée, est rayonnante et les publications se multiplient.

Les progrès sociaux par contre sont lents et dans le quartier la Boca, le berceau du tango, les conventillos (taudis) se multiplient plus rapidement que les belles villas du nord de la capitale. Au plan législatif, ce n'est qu'en 1914 que le repos dominical et le travail des femmes et des enfants seront réglementés.

Les propriétaires spéculateurs

Cependant, ni l'essor économique, ni les millions d'immigrants ne modifient vraiment les bases de la société argentine. La propriété de la terre reste très concentrée : deux mille estancieros possèdent les 40 millions d'hectares de la Patagonie.

Plusieurs présidents libéraux ont cherché à remplacer les estancias, ces fermes gigantesques aux terres sous exploitées, par des fermes transférées aux immigrants, mais l'Etat n'a jamais pu s'émanciper des propriétaires spéculateurs. L'ambition libéra le de bâtir une nation aussi puissante que les Etats Unis se heurte constamment à la structure latifundiste incarnée par la puissante Sociedad Rural qui regroupe les gros propriétaires terriens. Pendant ce temps, les terres disponibles s'épuisent et la spéculation gagne le secteur foncier. En une décennie, la valeur de la terre se multiplie par dix.

Les récessions de 1913, 1921 et 1929 ébranlent les acquis de trente années de croissance. Les métayers ne peuvent plus payer le loyer de leur terre tandis que le chômage urbain fait son apparition. Sans industrie, l'Argentine dépend entièrement des matières importées, dont les prix sont devenus exorbitants. Elle prend conscience de sa vulnérabilité.

En 1916, les premières élections au suffrage universel donnent la victoire à Hipólito Yrigoyen, leader de l'Union Civica Radical, expression de la classe moyenne issue de l'immigration. En 1919, à Buenos Aires, dockers et métallos partent en grève, à l'appel des socialistes, pour protester contre la chute des revenus. L'année suivante, les éleveurs de Patagonie débrayent à leur tour. Les étudiants de Córdoba se rebellent contre le conservatisme clérical, demandent la fin du népotisme dans la désignation des chaires, la modernisation des programmes d'étude et la participation à la gestion de l'université.

Les réformes restent néanmoins très timides. Elles se limitent à l'octroi de crédits aux nouveaux agriculteurs pour l'achat de terres et à l'organisation de l'industrie pétrolière étatique qui couvre la moitié de la consommation nationale en traitant 14 millions de m 3 de fuel-oil. Les conservateurs ripostent en organisant la Liga patriótica, une milice qui fait 200 morts dans les communautés juives et russes (associées à la révolution bolchevique) et qui collabore avec l'armée dans la répression des grèves.

Le péronisme

En 1930, un coup d'Etat renverse Yrigoyen, malgré sa seconde victoire électorale en 1928. Alliée aux conservateurs, l'armée favorise l'élevage limité pour maintenir les prix, réduisant de manière drastique le travail à la campagne. Un million de chômeurs ruraux émigrent vers les villes pour rejoindre les nouvelles industries nées à l'abri du protectionnisme. La population de Buenos Aires passe de 1,6 million en 1914 à 4,7 en 1947.La capitale s'entoure d'une banlieue de paysans devenus ouvriers. Ils deviendront les descamisados (sans chemise) de Perón.

Craignant de perdre les élections de 1943, un groupe d'officiers organise un nouveau coup d'État. D'inspiration fasciste, ces militaires se plient cependant aux réalités de la guerre et aux tonnes de céréales que l'Argentine vend aux Alliés. Ils déclarent la guerre à l'Allemagne en 1944. Le ministre des Affaires sociales, le général Juan Domingo Perón encourage la syndicalisation des ouvriers provoquant la colère des conservateurs qui obtiennent son renvoi. Mais une imposante manifestation le remet en place et en fait l'homme fort du régime. En 1946, Juan Perón est élu à la présidence avec 56 % des voix.

Le nouveau président utilise les bénéfices des exportations pour encourager l'industrialisation et généraliser l'instruction publique. Il nationalise les compagnies de chemin de fer, d'aviation et de navigation et tente de créer un marché intérieur. Par ailleurs, il met en place une législation sociale, certes ténue mais qui offre une reconnaissance aux travailleurs et un accès à la citoyenneté. Sa femme, Evita, est perçue comme la femme modeste restée fidèle au peuple. Après sa mort en 1952, son image devient un véritable objet de culte, aussi vénérée par les «sans chemise» que haïe de l'aristocratie.

À partir de 1950, les exportations de céréales chutent tandis quel'industrie piétine. Dans la confusion de la récession et s'appuyant sur un conflit entre Perón et l'Eglise, demeurée farouchement conservatrice, l'armée prend le pouvoir en 1955. Le président s'exile en Espagne.

Dans la mémoire de beaucoup d'Argentins, les années de Perón restent une sorte d'âge d'or, bien qu'elles n'aient connu aucune réforme structurelle. Les militaires et civils qui gouverneront l'Argentine vont tenter, en vain, de se battre contre un mythe jusqu'à son retour en 1973.

L'espoir déçu

Les militaires organisent des élections en 1958 sans la participation des péronistes. Elles sont pourtant remportées par Frondizi, un radical réformiste soutenu par l'exilé. Et en 1962, les péronistes remportent les principales provinces. L'armée destitue le président et organise de nouvelles élections, à nouveau sans les péronistes, qui porte à la présidence le radical Illia. Mais les péronistes gagnent ensuite les législatives partielles. L'armée prend à nouveau le pouvoir en 1966 pour y rester. Dans un climat de morosité, elle s'installe à tous les niveaux de l'Etat et s'attache à contrôler la hausse des salaires.

La riposte ne se fait pas attendre. La ville de Córdoba connaît, entre autres, une véritable insurrection populaire, tandis qu'une grande partie de la jeunesse se tourne vers les organisations d'extrême gauche qui prônent la lutte armée. La dictature s'essouffle. L'armée remplace Onganía par Levingston et ensuite par Lanousse qui organise des élections présidentielles en 1973. Cámpora, très proche de Perón, est élu à 49 %.

Le vieux leader retourne en Argentine le 20 juin où il est accueilli par 2 millions de personnes. Perón purge l'aile gauche de ses partisans, ce qui provoque la démission du président. Il remporte les nouvelles élections avec 62 % des voix. Sa nouvelle femme, Isabel, devient sa vice-présidente.

Dans un climat dégradé d'inflation, de violence de la guérilla et de pressions sociales, Perón meurt en 1974.Sa femme lui succède, secondée par López Rega, un ancien policier devenu secrétaire privé et astrologue Juan Perón et qui anime aussi une milice d'extrême droite. Isabel Perón ne parvient pas à se faire obéir par l'armée. Pour attiser la crise, celle-ci combat à sa guise les mouvements de guérilla sans chercher à maîtriser les manifestations ouvrières. En 1975, la crise économique atteint un paroxysme avec une inflation frôlant les 1000 %. Bientôt plus aucune force sociale ne défendra le gouvernement. Les conditions sont réunies pour le coup d'État.

[Source: Demain Le Monde, Bruxelles, Belgique, février 2001]

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Este documento ha sido publicado el 14may01 por el Equipo Nizkor y Derechos Human Rights