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07may12


Un moment historique


Coupes à champagne en plastique, scènes de joie, embrassades : bien avant 20 heures, la foule s'était massée place de la Bastille, à Paris, devant le siège du Parti socialiste, dans les rues… Et ce fut pareil à Lyon, à Marseille, à Lille, partout en France. Tour d'horizon dans la fête d'un soir historique.

Paris

A la seconde où l'image de François Hollande s'est affichée sur l'écran installé sur la place de la Bastille, une immense clameur a fusé de la foule, dans une forêt de bras levés, suivie instantanément par des fumigènes. Les voix s'étaient chauffées depuis une heure, venant des dizaines de jeunes grimpés sur les flancs de la statue du génie de la Bastille scandant : «François, président !» A hauteur d'homme, la place densifiée s'est vite transformée en un fatras de têtes, de drapeaux, d'œillets à la boutonnière, d'enfants sur des épaules, le tout sous les fumées de merguez. Les chiffres avaient circulé, les téléphones en surchauffe : 52%, 54%… Plus trop de doute. Monique, 56 ans, qui a fêté la victoire de Mitterrand à Marseille en 1981, son premier vote, est montée à la capitale pour fêter celle de Hollande avec sa fille. Elle arbore une rose rouge achetée chez son fleuriste. Un nouvel élan, un écho venu de trente ans. «Sarkozy, c'est fini, le diable en personne», crie un grand Ivoirien de 35 ans, qui pense que «c'est mieux pour l'Afrique et les immigrés». Derrière lui, une frêle femme de 70 ans fait le V de la victoire. La clameur reprend et reprend. «Ce soir, c'est la joie !»

De l'autre côté de la place, dès 19 h 15, un carré de supporteurs s'était hissé au premier étage du socle de la colonne de la Bastille. Un quart d'heure plus tard, le second niveau est pris d'assaut et le drapeau du Parti communiste est agité avec énergie. Un original s'est confectionné un fanion à deux faces : un côté bleu-blanc-rouge et un autre rouge, frappé de la faucille et du marteau. En une file continue, les Parisiens convergent et s'écrasent sur les barrières de sécurité. Une armada de podiums, d'estafettes et autres caravanes truffées de moyens techniques est déployée au pied du grand escalier de l'opéra Bastille. «It's a big story», confie, trente minutes avant l'annonce officielle de la victoire de Hollande, Bruno Waterfield, reporter au Daily Telegraph. «Un grand pays européen bascule à gauche.» A mesure qu'on se rapproche de l'heure fatidique, une clameur accompagne chaque image projetée sur les deux écrans géants. A 20 heures, le 51,90% s'affiche. C'est la liesse. Et le bal commence : Noah, Higelin, Camélia Jordana…

Pendant ce temps, du côté de la rue de Solférino, siège du Parti socialiste, l'ambiance était survoltée dès 17 heures. A partir de 19 heures, plus rien ni personne ne passe : ni réseaux, ni sympathisants, ni caciques du PS, tant la foule est dense. Peu importe, les leaders socialistes affichent une mine réjouie, y compris Julien Dray, que l'épisode de l'anniversaire rue Saint-Denis ne semble pas avoir banni des festivités. Le comédien Jacques Weber est venu en fan, enthousiasmé par François Hollande. «Au début, j'étais pour Mélenchon. Et puis l'homme m'a peu à peu convaincu. Aujourd'hui, c'est un type construit, qui a la stature d'un chef d'Etat.» Beaucoup de responsables européens sont présents. Le vice-Premier ministre irlandais et leader du Labour, Eamon Gilmore, dont le pays va voter sur le traité européen le 31 mai, ne cache pas son envie d'aller danser à la Bastille : «Pour nous, c'était très important que Hollande soit élu, on a besoin de lui pour renégocier le traité en y intégrant plus de croissance.» Même satisfaction pour le député européen Thijs Berman : «La gauche européenne attend Hollande avec impatience, il y en a assez du fétichisme de l'austérité.» Et d'oser ce joli jeu de mots : «Moi, Néerlandais, je suis très heureux que, ce soir, la majorité des Français soient hollandais !» Un peu plus loin, à un quart d'heure de métro, sur les bords du canal Saint-Martin, ce dimanche ressemble à tous les autres. Les boutiques chic sont investies par les poussettes à trois roues. Hollande, président ? «Ce n'est pas une surprise», pour Mohamed, trentenaire endimanché qui bosse aux Aéroports de Paris. Après son deuxième mojito, il file à Solférino «pour voir… Après cinq ans de mandat sarkozyste, je suis content». Mariana, 39 ans, photographe, et Maria, 30 ans, attachée de presse, l'une Italienne et l'autre Allemande, ne votent pas en France. «Pourtant, on paie nos impôts ici depuis des années», précise Mariana. Avant de rejoindre leurs copains français à Bastille, elles filent au cinéma.

Les larmes de Zoulika et ses mots à 20 heures : «C'est fini. On va se sentir à nouveau chez nous.» Et puis des rires. Des embrassades avec ses amis du collectif d'ACleFeu. Le collectif citoyen organisait hier soir une garden-party dans ses locaux de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Ici, on fête la défaite de Sarkozy, plus que la victoire de Hollande. «Pendant cinq ans, et même avant, depuis qu'il était ministre de l'Intérieur, il nous a fait comprendre qu'on n'était pas français, que nos enfants étaient des voleurs, qu'on n'avait pas notre place. On ne se rend pas compte de la violence de tout ça. Mais c'est fini», répète Zoulika. Mohamed Mechmache, président d'ACLeFeu, garde la tête froide : «Il faut qu'on reste vigilant. Il ne faut pas que la gauche oublie une nouvelle fois ses promesses. Nous serons là pour lui rappeler.»

Marseille

Une jeune femme approche de la brasserie où sont réunis les écologistes marseillais. «Alors, c'est sûr, ça va être Hollande ?» Il n'est pas 20 heures, les militants ne partagent que des estimations et des sourires hésitants. Il y a quelque chose de l'ordre de la superstition : tant que la télévision n'aura pas montré le visage du nouveau président, on doute. «En cas de terrible désillusion», Europe Ecologie a prévu un «suicide collectif au sommet des marches de la gare Saint-Charles». Sinon, «bal-guinche» avec chorba bio et tapas dans cette ancienne brasserie que les écologistes ont récupérée. On entend des «Sarko en prison, Sarko en prison !», puis le décompte. L'écran montre le visage de Hollande. Les hurlements couvrent la voix des journalistes. Un élu arrose la foule de champagne. «C'est fini, c'est fini, on l'a dégagé !» hurle un vieil homme.

Lyon

«J'arrive à un âge où on a une certaine lucidité», dit Patrick. Ce sociologue est venu célébrer la victoire de François Hollande au Transbordeur, salle de spectacle lyonnaise. «En 1981, j'avais 20 ans et mon enthousiasme était un peu utopique. Là, je sais que ça va être difficile.» Michèle, enseignante retraitée, cultive le même réalisme : «Je ne pense pas que Hollande va pouvoir tout changer, mais je crois vraiment que ça va être mieux qu'avec Sarkozy. C'est un gars très clair, droit, honnête.» Prosper, Walid et Ahmed, eux, exultent : «Ce soir, on est heureux, on célèbre. On est tellement contents qu'ils dégagent tous…»

Bordeaux

Dès 15 heures, le PS installe un écran sur la place de la Victoire, rendez-vous des fêtards et des étudiants. A cinq minutes des résultats, l'endroit est noir de monde. Quatre copines qui se pressent au milieu de la foule sortent des coupes en plastique. «On vit un moment historique, les enfants…» lâche l'une d'elle. Le compte à rebours est lancé. Des cris, des chants et des hurlements saluent l'apparition de François Hollande sur l'écran. Au premier rang, Alain Rousset, le président de la région Aquitaine, que l'on dit ministrable, écrase une larme. Une rose à la main, il déguste le moment.

Toulouse

Dès 19 heures, des chiffres circulent dans la foule de la place du Capitole. Déjà, des sourires éclairent les visages. Une bouteille à la main, Karine, 52 ans, regarde la télé sur son téléphone : «On est venu avec des verres, du champagne et notre cœur.» «Et notre foi», rajoute Michel à ses côtés. Tout un coup, la joie explose. Hollande a gagné. Le bouchon saute. Les mains se tendent, applaudissent. «C'est formidable, s'exclame Ahmed. Cette victoire, c'est pour mes enfants ! Ces cinq années de galère et de divisions sont terminées.» Perchée sur les épaules de son père, une petite fille en rose et bleu chantonne : «On a gagné ! On a gagné !» Il y a du soleil sur le Capitole.

Lille

«On n'était pas là en 81, on fait notre 81 comme on peut.» Ils se disent «socialistes de cœur», ils ont voté Hollande ou Mélenchon au premier tour, Hollande hier. Juliette, 24 ans, attachée de recherche clinique, Christophe, étudiant en école d'ingénieur, Nicolas, rédacteur scientifique. On les a trouvés sur la Grand-Place de Lille, un peu perdus. Le collectif Art Point M prépare une fiesta, mais à 19 heures c'est le calme plat. «Je m'en bats un peu de la musique. Ce que je veux, c'est un écran. Je veux voir le dépit de Sarko.» Ils marchent vers l'hôtel de ville, pour trouver un écran. Juliette raconte qu'elle a craint que Hollande ne passe pas : «Entre les deux tours, j'ai eu peur du vote FN.» Il est presque 20 heures, ils se pressent dans le grand hall. A la télé, le visage déconfit de Nathalie Kosciusko-Morizet est sifflé. Voilà le décompte, comme un soir de nouvel an. Dix, neuf, huit, sept… On a perdu Juliette, Nicolas, et Christophe dans la foule qui saute et hurle de joie.

[Source: Par Alexandra SCHWARTZBROD, Fréderique ROUSSEL, Laure Noualhat, Catherine Maussion, Alice Géraud (à Paris), Olivier bertrand (à Marseille), Catherine Corroller (à Lyon), Stéphanie Lacaze (à Bordeaux), Gaël Cerez (à Toulouse) et Haydée Sabéran (à Lille), Libération, Paris, 07Mai12]

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small logoThis document has been published on 07May12 by the Equipo Nizkor and Derechos Human Rights. In accordance with Title 17 U.S.C. Section 107, this material is distributed without profit to those who have expressed a prior interest in receiving the included information for research and educational purposes.