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14nov18


Conférence sur la Libye à Palerme: les tergiversations du maréchal Haftar


Aurait-il voulu qu’on ne parle que de lui qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Le maréchal Khalifa Haftar, patron de l’Armée nationale libyenne (LNA) et homme fort de la Cyrénaïque (est), rival du chef du gouvernement d’accord national, Faïez Sarraj, établi à Tripoli (ouest), aura joué jusqu’au bout avec les nerfs des organisateurs de la conférence sur la Libye, qui s’est tenue les 12 et 13 novembre à Palerme.

Pour lui au moins, ce sommet aura été un succès. En effet, du début à la fin, son attitude a mobilisé les esprits, beaucoup plus que le contenu des discussions.

Lors de la conférence de presse finale, le premier ministre Giuseppe Conte a salué le bon déroulement de la réunion, tout en reconnaissant l’immensité de la tâche : « S’il fallait, pour pouvoir parler de succès, dire que nous avons trouvé la solution à tous les problèmes, alors ce n’est pas un succès », a-t-il concédé tout en soulignant que tous les protagonistes importants du jeu libyen étaient présents. A ce moment-là, le maréchal Haftar de même que son allié égyptien, le président Al-Sissi, avaient quitté les lieux depuis plusieurs heures.

Dans l’enceinte luxueuse de la villa Igiea, les informations contradictoires se sont succédé toute la journée de lundi. Les membres de la délégation italienne distillaient au fil des heures les informations parcellaires et sibyllines, sans répondre à aucune question. « Il devrait venir », « il est en route vers l’aéroport », « il est parti », « l’avion est italien »… A 19 heures, rien n’était encore certain. Le maréchal Khalifa Haftar a fini par venir lundi dans la soirée, mais il a d’emblée posé les limites de sa présence à cet événement international autour de l’avenir de son pays.

Ambiance électrique

Arrivé parmi les derniers sur le lieu de la conférence, il a été accueilli dans une ambiance que l’attente avait rendue quelque peu électrique. Devant les photographes et les caméras, il s’est offert un long aparté avec le premier ministre italien, Giuseppe Conte, qui semblait encore devoir le convaincre de s’associer à la conférence. Puis, une fois sorti de scène, le militaire libyen, a fait savoir… qu’il refusait de se joindre au dîner offert par le président du conseil Conte.

Peu de temps après, un porte-parole de l’Armée nationale libyenne a fait savoir que Haftar n’« est pas à Palerme pour participer à la conférence » organisée par Rome mais pour « rencontrer des dirigeants des pays voisins ». Ainsi réussissait-il à apparaître comme à la fois présent et absent, surplombant les discussions des 38 délégations présentes sans avoir à y prendre part. « C’est vrai que les Italiens ont dû se livrer à une chorégraphie particulièrement compliquée », concédait, au sortir des débats, un participant de la conférence.

L’incertitude entretenue jusqu’à la dernière minute autour de son arrivée à Palerme, ainsi que sa volonté affichée de se démarquer du format souhaité par les Italiens s’expliquent par deux raisons principales, selon les observateurs de la scène libyenne.

D’abord, Haftar a tenu ainsi à exprimer sa frustration à l’égard de certains développements diplomatiques survenus dans la dernière ligne droite avant le sommet de Palerme. Selon un de ses conseillers, il n’aurait pas apprécié un tweet publié par Matteo Salvini, vice-premier ministre, lors de la visite effectuée par ce dernier au Qatar le 31 octobre. Dans ce message, M. Salvini disait avoir « découvert un pays respectueux et tolérant qui a repoussé l’extrémisme » et qui « nous aidera à stabiliser la Libye ». Or, le Qatar fait partie avec la Turquie de l’axe régional qui appuie les adversaires – issus du camp « révolutionnaire » ou de la mouvance des Frères musulmans – du maréchal, lequel est soutenu par les Emirats arabes unis et l’Egypte.

D’autre part, le déplacement du ministre turc de la défense à Tripoli le 5 novembre, où il a rencontré M. Sarraj, le chef du gouvernement d’« accord national », ainsi que la visite de ce dernier le 9 novembre à Ankara où il a rencontré Recep Tayyip Erdogan auraient également froissé le maréchal, selon son conseiller. Haftar a ainsi tenu à exprimer son déplaisir en mettant en scène sa possible défection à Palerme.

En faisant ainsi dépendre le succès de la rencontre de Palerme de sa venue, il aurait surtout tenu à adresser un message à Rome, la puissance invitante, qu’il juge trop proche du gouvernement tripolitain de M. Sarraj. « Cela ne lui déplaît pas d’embarrasser un peu les Italiens compte tenu de leurs relations avec les dirigeants de la Tripolitaine », souligne Mohamed Eljahr, chercheur libyen affilié au cercle de réflexion américain Atlantic Council.

Au-delà, M. Haftar chercherait à imposer sa stature d’homme d’Etat. « Le message est surtout adressé à l’opinion publique libyenne, ajoute M. Eljarh. Il s’agit de projeter l’image de l’homme fort. Alors que les autres hommes politiques libyens sont moqués pour leur faiblesse, lui cherche à apparaître comme celui qui permet à la Libye de recouvrer sa souveraineté. »

Aucune avancée significative

Les Italiens, eux aussi, semblaient très préoccupés par leur opinion publique. De fait, hormis la réaffirmation du leadership italien qu’était censée démontrer la réunion, la rencontre n’a débouché sur aucune avancée significative et a surtout donné l’image d’une situation confuse, où les différents acteurs n’arrivent à s’asseoir à la même table qu’avec grande difficulté. Les optimistes relèveront toutefois qu’une échéance approximative a été fixée : sauf accroc, les élections générales devraient se tenir au printemps 2019. Une date que plusieurs diplomates jugent réaliste. « Si tout va bien, le processus peut être mis sur pied en quatre ou cinq mois », confie ainsi un diplomate français.

Lors de sa brève rencontre avec le premier ministre Sarraj, en marge de la conférence, le maréchal Haftar s’est voulu rassurant. « On ne change pas de cheval au milieu du fleuve », a-t-il ainsi déclaré dans une métaphore osée, pour signifier qu’il n’est pas question de chercher à évincer son adversaire. Le problème est qu’en Libye, justement, il n’y a pas de fleuve.

[Source: Par Jérôme Gautheret et Frédéric Bobin, Le Monde, Paris, 14nov18]

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