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19jan13


L'Algérie, seule puissance régionale à lutter contre le terrorisme


Louis Caprioli est inspecteur général honoraire de police, conseiller du président du groupe GEOS, ancien sous-directeur chargé de la lutte antiterroriste à la DST (France).

- Comment analysez-vous l'action terroriste menée mercredi contre le site gazier d'In Amenas, près de la frontière libyenne ?

Cela paraît être dans un premier temps une action de représailles et d'intimidation faisant suite à l'autorisation des autorités algériennes, qui ont permis le passage dans leur espace aérien des avions Rafale qui ont bombardé les différents groupes terroristes au Mali.

Mais, en réalité, je suis convaincu que cette opération contre une base en Algérie a été préparée bien avant les opérations militaires au Mali. Pour réaliser une telle action d'envergure, il faut du temps, des reconnaissances préalables d'objectifs et une logistique. Il est donc impossible que cette action ait été montée en peu de temps en riposte à la décision d'Alger.

Il est vraisemblable que le groupe revendiquant cette action trouve son prétexte dans l'actualité du moment et que les autorités algériennes ne sont pas dupes de cette opération de manipulation médiatique. Celle-ci s'adresse, au-delà de l'Algérie, aux autres pays de la zone, qui envoient des troupes au Mali dans le cadre de la résolution de l'ONU.

AQMI saisit cette occasion pour tenter d'exercer des pressions sur les gouvernements de la zone. L'objectif est aussi d'envoyer un avertissement aux pays occidentaux, ayant des otages sur cette base, pour les inciter à ne pas s'engager dans les combats au Mali. C'est un avertissement à tous leurs ennemis et un message de «victoire» en direction des combattants et de leurs soutiens.

- L'action terroriste a été revendiquée par une katiba se revendiquant de Mokhtar Belmokhtar. Cela vous semble-t-il plausible ?

Cette opération terroriste a été revendiquée par un individu déclarant : «Nous appartenons à la brigade Khaled Aboul Abbas, Mokhtar Belmokhtar». Ce terroriste est bien connu, c'est un ancien d'Afghanistan (1990/92), qui a rejoint le GIA dès 1993, puis le GSPC et AQMI, pour créer récemment son propre groupe en raison de ses désaccords avec Abou Zeid, les autres émirs d'AQMI au Sahel et même avec l'émir national d'AQMI, qui l'avait marginalisé depuis quelques années. Il a été longtemps chargé des opérations au Sahara algérien et dans la zone sahélienne (Mauritanie, Mali, Niger) et il a une parfaite connaissance de toute cette région, où il a réalisé des prises d'otages et toutes sortes de trafics : véhicules volés, contrebande de cigarettes, d'armes, de clandestins et de drogue. Cette revendication paraît crédible, Belmokhtar ayant sévi dans le passé en frappant au Sahara algérien et en Mauritanie, notamment à Lemgheti. Il y a mené une opération surprise contre l'armée mauritanienne, en juin 2005, en regroupant plus d'une centaine de terroristes provenant de plusieurs katibas basées en Algérie.

- L'Algérie, de par ses vastes frontières avec la Libye, le Mali et le Niger, n'est-elle pas une cible directe des dommages collatéraux de cette guerre qui est menée aux djihadistes islamistes au Mali à l'initiative de la France ?

L'Algérie a quasiment éradiqué le terrorisme sur son territoire, et tous les jours les forces de sécurité neutralisent des émirs et des cellules. Pour survivre, le GSPC et AQMI s'étaient déployés au Sahel pour financer l'organisation au Nord et lui fournir une logistique en armes.

Ce sont les émirs du Sud, Belmokhtar, Abou Zeid et les autres, qui permettent encore à Droukdel d'exister et qui sont responsables de la crise au Mali, après l'occupation du nord du pays avec l'assistance du Mujao et de Ansar Eddine. Ce cancer et cette menace que représentent ces terroristes existaient bien avant l'intervention militaire française.

Il est vrai que l'Algérie est la seule puissance régionale qui ait lutté depuis des années, au prix d'énormes sacrifices, contre les terroristes et que certains des pays riverains ne sont pas actuellement en capacité d'apporter une aide significative dans la neutralisation des réseaux terroristes et la protection des frontières.

La Libye et la Tunisie n'ont pas encore les services de sécurité pour exercer ces missions de prévention et de neutralisation, de même que les moyens pour sécuriser leurs immenses frontières.

L'Algérie doit aussi protéger ses frontières sud avec le Mali et le Niger, dont les moyens sont soit inexistants soit trop insuffisants par rapport à l'ampleur du phénomène. L'Algérie se trouve effectivement confrontée à une nouvelle situation régionale profondément perturbée, mais elle a toujours été la cible directe des terroristes et reste l'objectif prioritaire d'AQMI et de ses affidés, qui attendent leur heure au Mali pour frapper l'Algérie. Déjà, votre pays a été ciblé suite à la prise d'otages de vos diplomates à Gao en 2011. L'Algérie a su répondre aux immenses défis des «années de plomb», je suis convaincu que sa réponse sera adaptée à l'importance de la menace.

- Justement, comment l'Algérie pourrait-elle se prémunir d'une infiltration des groupes terroristes sur son territoire, vu la vulnérabilité de ses voisins au plan sécuritaire et les moyens humains et techniques que cela implique ? La fermeture de la frontière avec le Mali est-elle suffisante pour ce faire ?

Pour assurer la protection de ses frontières, une nouvelle stratégie a été mise en place par le commandement militaire algérien en décembre dernier et les groupements de gendarmerie des frontières agissent en étroite collaboration avec les éléments de l'ANP déployés sur toutes les frontières.

Mais il est évident que vu l'immensité des frontières, il serait nécessaire de disposer de moyens techniques, soit au sol soit une surveillance aérienne par drones pour affiner le contrôle des frontières. Les autorités algériennes ont la volonté, les compétences et les personnels spécialisés pour ces missions de protection des frontières.

Leurs difficultés proviennent de leurs voisins ayant actuellement des capacités opérationnelles insuffisantes pour neutraliser par anticipation les cellules, réseaux terroristes et les filières d'acheminement d'armes. «Le Printemps» arabe a entraîné la déstabilisation de l'appareil de sécurité antérieur.

- Cette menace directe contre sa sécurité territoriale va-t-elle amener l'Algérie à s'impliquer davantage militairement contre les groupes armés djihadistes ?

Depuis 1992, l'Algérie s'est impliquée totalement dans la lutte contre le terrorisme et poursuit la destruction d'AQMI en Algérie. Cette nouvelle menace à ses frontières, les responsables politiques et militaires algériens l'avaient évidemment anticipée. Les autorités algériennes sont seules maîtres de décider du type de riposte face à ces risques.

- Quelles sont les conditions d'une éradication des groupes terroristes qui opèrent au Mali ? Comment les empêcher définitivement de nuire ?

Ces groupes terroristes qui agissent au Mali ne sont pas soutenus par la population, comme cela peut être le cas pour les combattants en Syrie, en Afghanistan, en Irak. De plus, ils ne bénéficient d'aucun pays d'accueil dans la zone pour soigner leurs blessés, former leurs éléments. Leur logistique va leur poser à terme un grave problème. Comment avoir de l'eau, de la nourriture, du carburant, entretenir le matériel, avoir des munitions, des armes, soigner les blessés, disposer de nouveaux combattants pour remplacer les morts et les blessés ?

Contrairement aux taliban, ils ne disposent pas de sanctuaires au Pakistan, avec un réservoir de combattants, des centres de soins, de repos, etc. Il faut donc maintenir au Mali la pression en permanence sur eux et anéantir leur logistique en bombardant leurs dépôts de ravitaillement et en coupant la route des filières en armes vers la Libye, notamment. Il convient aussi de bloquer l'arrivée de renforts éventuels en provenance de Libye, Tunisie, etc. Donc, il existe là une possibilité de coopération régionale pour arriver à les asphyxier en se coordonnant avec les pays de la zone.

A mon sens, il n'y a pas une «afghanisation» du Mali, parce que les conditions sont différentes et les terroristes au Mali ne bénéficient pas du même environnement favorable qu'en Afghanistan. La déstabilisation du Sahel se serait réalisée si les terroristes au Mali n'avaient pas été stoppés dans leur projet de conquête de Bamako. Il est vrai que cette opération contre eux peut légitimement inquiéter les gouvernements, avec les exemples irakien et afghan.

Pour autant, la situation est différente et plutôt favorable aux puissances régionales, dont aucune n'apporte de soutien aux terroristes. Une des inquiétudes dans cette guerre, ce sont les dommages collatéraux contre les populations civiles et un traitement inhumain de certaines ethnies de la zone. La guerre ne résoudra rien si une solution politique n'est pas apportée aussi aux populations délaissées du nord Mali.

- Quels sont les groupes les plus actifs et les plus dangereux ?

AQMI au Sahel a quatre katibate historiques, dont l'émir régional est, depuis octobre 2012, Yahia Abou El Hamman. Il est assisté d'émirs de katiba très cruels, tels Abou Zeid. A partir de 2011, sont apparus deux mouvements qui combattent au Mali, le Mujao, soi-disant des dissidents d'AQMI, et Ansar Eddine avec le Targui Ag Ghali, qui a participé à de nombreuses insurrections contre l'Etat malien depuis 1990, et qui a décidé, en 2001, de créer son mouvement de jihadistes, lié aux deux autres.

Et puis, à côté, un émir atypique, Belmokhtar, qui, depuis 1992, combat au sein du GIA, du GSPC et d'AQMI, avec un positionnement historique au Sahara et au Sahel. Ayant des relations conflictuelles avec les responsables d'AQMI au Sahel et l'émir Droukdel, il a décidé de créer un mouvement distinct.

Début décembre 2012, son adjoint, Oumar Ould Hamaha, a confirmé son retrait d'AQMI au Sahara. «C'est pour que nous puissions mieux coopérer dans le domaine que nous avons quitté ce groupe qui est lié à l'appellation ''Maghreb.'' Nous voulons élargir notre zone d'opération à travers tout le Sahara, allant du Niger à travers le Tchad et le Burkina Faso.» Mais Ould Hamada a précisé que leur nouveau groupe, «Les signataires par le sang», restait lié à la branche centrale d'Al Qaîda, donc à Ayman al-Zawahiri, le successeur de Ben Laden.

Les différentes katibate d'AQMI, du Mujao et d'Ansar Eddine basées au Sahel ont une connaissance parfaite de cette région : leur armement s'est considérablement renforcé avec le matériel provenant de Libye et celui récupéré à la suite des combats contre l'armée malienne. Elles représentent toutes une menace, d'autant qu'au cours de ces derniers mois, elles ont eu de nouvelles recrues qui sont venues les renforcer, leur permettant d'aligner plusieurs milliers de combattants, de valeur inégale certainement.

- Quelle évaluation faites-vous de la menace terroriste contre le territoire français, ses intérêts et ses ressortissants à travers le monde, alors que le Mujao menace de «frapper la France au cœur», sachant qu'AQMI, l'autre groupe terroriste, n'a jamais perpétré d'attentat en France ? AQMI ou le Mujao sont-ils aujourd'hui en mesure de mettre à exécution leurs menaces ?

Les menaces proférées contre la France par le Mujao, Ansar Eddine, voire AQMI, sont diffusées à des fins de propagande.

Les capacités opérationnelles de ces mouvements en France sont inexistantes. Même AQMI, dont l'émir Droukdel menace la France depuis sa nomination à la tête du GSPC en 2004, n'a pas réussi à projeter des opérations comme l'avait fait Djamel Zitouni, émir du GIA, dans les années 1994/95 en commettant des attentats en France.

Non seulement il n'y a pas eu d'attentats d'AQMI, mais il n'y a pas eu au cours de ces dernières années de démantèlement de réseaux d'AQMI. Je doute que le Mujao et Ansar Eddine puissent commettre des attentats en France, mais je redoute toujours un projet de Droukdel, dont les menaces n'ont pas été suivies d'effet, et il y va de sa crédibilité. Il ne faut pas écarter les «jihadistes» en France, qui ont séjourné dernièrement en Syrie.

A ma connaissance, il n'existe pas de réseaux structurés de jihadistes maliens ou africains ; par contre, quelques individualités certainement. Ceci étant, il existe une mouvance de «jihadistes» qui veulent frapper en France. En ont-ils les moyens et les capacités ? Il ne faut pas les négliger.

[Source: Par Nadjia Bouzeghrane, El Watan, Alger, 19jan13]

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