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24jan18


Pourquoi la Russie renonce aux plus grands sous-marins du monde


Les sous-marins nucléaires du projet 941 «Akula», véritables symboles de la Guerre froide, pourraient bientôt être réduits en pièces détachées. Et il y en aura beaucoup: les Akula sont les plus grands sous-marins du monde et figurent à ce titre dans le Livre Guinness des records.

Une source du secteur naval affirme que deux bâtiments – Arkhangelsk et Severstal – seront recyclés d'ici 2020. Le Dmitri Donskoï, dernier des Akula, poursuivra quant à lui sa participation aux essais du missile Boulava. Mais pourquoi ces bâtiments exceptionnels à bien des égards sont-ils devenus inutiles pour la marine russe?

Un missile trop lourd

Long de 172 mètres et haut de 23 mètres, un Akula affiche un tirant d'eau de 23.000 tonnes en surface et de 48.000 tonnes en plongée. Les experts ne sont pas unanimes quant à l'utilité des sous-marins d'un tel gabarit: les uns considèrent leur construction comme une folie absolue, les autres affirment qu'elle est une nécessité raisonnable.

«Les sous-marins du projet 941 ont une apparence monstrueuse et terrible, et leur prix a été exorbitant, explique Konstantin Makienko, directeur du Centre d'analyse des stratégies et des technologies. C'est pourquoi même l'Union soviétique, malgré sa puissance, n'a pu construire que six bâtiments de ce type même si les Akula étaient initialement appelés à constituer une réponse aux Ohio des Américains, dont le nombre atteignait pratiquement 20 sous-marins. Ce n'est pourtant pas la faute des concepteurs: leur objectif était de créer une plateforme pour un système de missiles. Ils ont donc créé le sous-marin qui convenait au missile présenté.»

Le projet 941 Akula est né de la volonté des autorités soviétiques de disposer d'un missile balistique à combustible solide basé en mer. Ces missiles ont plusieurs avantages par rapport à leurs homologues à combustible liquide: des préparatifs de lancement réduits, une fiabilité plus importante, ainsi que leur facilité de stockage et de maintien. Le lancement de la conception des missiles à combustible solide Trident C-4 et Trident II D-5 aux États-Unis dans les années 1970 a également encouragé cette initiative. L'URSS a répondu avec le système D-19 Taïfoun muni du missile R-39 Ossetr, entré en service en 1983. Un Ossetr pesait 95 tonnes – avec tous les appareils d'amortissement et de lancement – ce qui en faisait le plus massif des missiles basés en mer. Trois fois plus lourd que le Trident C-4 et 1,5 fois plus lourd que le Trident II D-5, bien que ce dernier ait une charge utile et une portée plus importantes, il témoignait du retard considérable de l'URSS dans le domaine du combustible solide.

Un missile aussi monstrueusement massif exigeait donc un bâtiment spécial. La construction des sous-marins du projet 941 s'est basée sur le schéma des catamarans: deux coques dures au sein d'une coque légère commune. Le volume total des citernes de ballast d'un Akula se chiffrait à plus de 20.000 tonnes. Par ailleurs, le déplacement complet de son concurrent principal américain – l'Ohio – était de 18.500 tonnes. Qui plus est, ce dernier portait 24 missiles Trident II D-5, alors que l'arsenal d'un Akula comptait 20 R-39.

Des «camions à eau»

Le premier Akula – le TK-208 – livré aux marins en décembre 1982 a été tout de suite baptisé «camion à eau» par les blagueurs. Mais les économistes militaires n'avaient pas vraiment la tête à rire. La maintenance et les réparations d'un sous-marin de ce type étaient au moins deux fois plus coûteuses que l'exploitation des porteurs d'engins du projet 667BDR Kalmar et des nouveaux bâtiments du projet 667 BDRM Delfin qui étaient déjà en cours de construction. Qui plus est, un Delfin portait seulement quatre missiles (des R-29M à combustible liquide) de moins qu'un Akula, dont la charge utile et la portée étaient pratiquement équivalentes.

L'infrastructure nécessaire pour les Akula exigeait des dépenses colossales. Ces missiles de 90 tonnes chacun étaient assemblés avant leur transport, qui ne s'effectuait que par voie ferrée. Dans la première moitié des années 1980, on avait spécialement construit à ces fins la ligne ferroviaire Nial-Zaozersk dans la région de Mourmansk – désassemblée aujourd'hui.

La masse énorme du R-39 a créé un autre problème pour la marine: aucune des grues disponibles n'était en mesure de le lever. Afin de réarmer les Akula, les concepteurs ont créé un grue-portique à deux consoles ayant une capacité de 125 tonnes. Un engin de ce type a été installé à la base de maintien et de missiles de la marine à Severodvinsk, et un autre se trouvait sur le lieu de stationnement permanent des Akula à Zapadnaïa Litsa. Afin de transporter les missiles et de les mettre dans les silos des sous-marins, on a mis à l'eau un bateau chargeur spécial – Alexandre Brykine – d'un déplacement d'eau total de 16.000 tonnes.

Un autre bâtiment coûteux créé spécialement pour les Akula est la cale flottante PD-50, commandée par la marine soviétique et construite en Suède en 1980. Elle est toujours considérée comme l'une des plus grandes du monde.

Dans la brèche!

Certains pensaient que les dimensions inédites des Akula présentaient des avantages. Ainsi, en remontant à la surface dans les régions polaires, le sous-marin pouvait selon eux craquer la glace avec sa coque puissante sans avoir à chercher une brèche. Mais en 1990, le porteur d'engins TK-202 a entrepris plus de dix tentatives d'atteindre la surface à travers une couche monolithique de glace – sans succès. Selon les participants à cette mission d'expérimentation, les émersions frôlaient la catastrophe et le bâtiment épuisait rapidement ses réserves d'air comprimé. Qui plus est, l'examen technique lancé suite à son retour à la base a révélé beaucoup de dégradations de la coque légère, de la coiffe plastique du radar acoustique, des équipements escamotables et de l'armature extérieure.

Le premier et dernier tir de missiles par un Akula a eu lieu en 1995 dans la région arctique. Le caractère très compliqué de cette mission a été confirmé par le fait que tous les membres de l'équipage de Severstal ont reçu des décorations gouvernementales. L'officier supérieur du bâtiment, le contre-amiral Vladimir Makeïev, a reçu le titre de Héros de Russie. Cette fois, le sous-marin était remonté en surface dans une zone libre de glaces.

Transport de gaz et de nickel

Depuis 1982, les chantiers navals de Severodvinsk ont livré à la marine six sous-marins du projet 941, dont trois existent encore aujourd'hui: le TK-208 Dmitri Donskoï, le TK-20 Severstal et le TK-17 Arkhangelsk. Par le passé, les médias estimaient qu'on pourrait les réaménager afin qu'ils puissent tracter les nouveaux missiles à combustible solide R-30 Boulava – les derniers R-39 ayant été liquidés au milieu des années 2000. On proposait également des variantes alternatives à l'utilisation des Akula.

«Les Américains utilisent les Ohio comme porteurs des missiles de croisière tirés en mer. A mon avis, on pourrait faire la même chose avec le projet 941, souligne Kostantin Sivkov, expert militaire et capitaine de la marine. Si un Ohio peut porter 150 Tomahawk, un Akula pourrait embarquer environ 250 missiles de croisière. La décision de mettre hors service les sous-marins du projet 941 est donc, d'après moi, une erreur.»

A première vue, l'idée de munir les Akula de missiles de croisière semble attractive: on pourrait monter les systèmes de lancement dans les silos existants et installer des systèmes de contrôle compacts. Cette proposition perd pourtant de son attrait si l'on analyse les dépenses nécessaires pour remettre en exploitation Severstal et Arkhangelsk, qui pourraient s'avérer fatales pour la marine selon les experts.

«On pourrait évidemment réaménager Arkhangelsk et Severstal pour y installer des missiles de croisière, mais l'utilité de cette décision n'est pas évidente, contrairement à son coût très élevé, estime Konstantin Makienko. Nous avons déjà assez de plateformes de missiles de croisière beaucoup moins coûteuses et plus mobiles.»

Les idées les plus extravagantes concernant la modernisation des Akula ont été avancées dans les années 1990. On avait notamment proposé de réaménager un sous-marin pour transporter du nickel de Norilsk à Mourmansk. Outre Nornickel, Gazprom avait également exprimé sa volonté de créer sa propre flotte nucléaire: un projet suggérait de transformer les sous-marins en méthaniers submergés. Quoi qu'il en soit, aucune initiative de «civiliser» les plus grands sous-marins militaires du monde n'a été mise en pratique.

[Source: Sputnik News, Moscú, 24jan18]

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