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27nov13

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Le vol et la destruction d'archives de l'association Pro-Búsqueda met en évidence les conséquences néfastes du modèle d'impunité au Salvador


Le 14 novembre 2013, le siège de l'association Pro-Búsqueda de Niñas y Niños Desaparecidos en El Salvador (Pour la recherche des enfants disparus au Salvador, ci-après "Pro-Búsqueda") a été victime d'une attaque armée au cours de laquelle du matériel, des archives et des équipements de travail ont été détruits et volés.

Pro-Búsqueda se consacre à la recherche d'enfants disparus lors du conflit armé qu'a connu le Salvador entre 1980 et 1992. L'association a été fondée en 1994 et depuis lors, a résolu des dizaines de cas de disparitions forcées de mineurs d'âge survenues pendant la guerre civile.

Depuis sa fondation, elle a enquêté sur 925 cas et a réussi à retrouver 387 mineurs, devenus adultes pour la plupart. Parmi ceux-ci, 295 ont pu retrouver leur famille biologique grâce au rôle d'intermédiaire joué par l'association entre les familles biologiques et les familles adoptives.

Ce travail a permis de rassembler des documents sur la méthode employée par les militaires dans leur stratégie contre les populations qu'ils considéraient favorables à la guérilla et voyaient comme une source potentielle de profit pour des adoptions illégales d'enfants.

Comme en a fait part l'association, vers 4h45, au matin du 14 novembre, trois hommes armés ont menacé à bout portant le chauffeur de l'association qui arrivait aux bureaux. Il a été mis en joue et menacé, afin qu'il appelle le veilleur de nuit pour pouvoir accéder aux installations de Pro-Búsqueda.

Le veilleur et le président du comité directeur, qui se trouvaient à l'intérieur, ont été également menacés à bout portant. Après les avoir baîllonnés et couchés au sol, les agresseurs se sont rendus dans des bureaux bien particuliers, où ils ont pris des archives et des documents et ont détruit du matériel informatique. Ils ont également aspergés d'essence certaines pièces, avant d'y bouter le feu, provoquant des dégâts plus ou moins importants.

Il convient de souligner que ces actes violents avaient pour but de détruire des objets spécifiques appartenant à l'association, puisque les agresseurs s'en sont pris à des équipements vitaux pour le fonctionnement de Pro-Búsqueda : des ordinateurs sur lesquels se trouvaient des documents classés ont été dérobés, et des archives essentielles dans des affaires qui ont été soumises au pouvoir judiciaire, tant au Salvador qu'en dehors du pays, et des informations financières de l'association, ont été détruites.

Le même jour, vers 7h50, une employée de l'association a été poursuivie alors qu'elle se rendait au travail. Un véhicule s'est approché de l'arrêt de bus, près de Metrocentro (centre commercial), où elle se trouvait, et trois individus en sont descendus, pour la suivre à pied. Elle a réussi à leur échapper en montant dans un taxi, mais est arrivée au bureau en état de choc.

Cet acte d'agression contre les victimes et proches des victimes de disparition forcée au Salvador s'inscrit dans un contexte de préoccupation toute particulière, avec la fermeture de Tutela Legal de la part de l'archevêché de San Salvador et l'incertitude par rapport à la Loi sur l'amnistie, qui pourrait être déclarée anticonstitutionnelle.

Tutela Legal tire son origine dans le département Socorro Jurídico (secours juridique) de l'archevêché, créé en 1977 par Monseigneur Romero, qui s'est imposé, après être devenu Tutela Legal sous l'archiépiscopat de Monseigneur Arturo Rivera y Damas, comme le contrepoids aux versions officielles, qui ont toujours nié l'existence des disparitions, des tortures et des assassinats extrajudiciaires. Sans leur travail, le massacre d'El Mozote n'aurait jamais été soumis à la justice.

La fermeture de Tutela Legal a eu lieu sans avertissement préalable fin septembre 2013, quelques semaines seulement après que la Cour suprême de Justice a commencé à débattre de la possible anticonstitutionnalité de la Loi sur l'amnistie, adoptée en 1993, et que le Ministère public a annoncé que pour le première fois, il avait décidé d'enquêter sur des violations des droits de l'homme pendant la guerre civile.

Les archives historiques de Tutela Legal renferment plus de 50.000 dénonciations de violations des droits de l'homme (disparitions, assassinats,...), qui ont été à la base du rapport de la Commission de la vérité.

La fermeture de Tutela Legal signifie la disparition du plus important dépôt d'archives concernant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, alors qu'il y a quelques semaines seulement, les chefs militaires du Salvador oriental ont participé à une cérémonie publique rendant hommage aux colonels Monterrosa et Azmitia, responsables du massacre d'El Mozote.

C'est précisément la Cour interaméricaine des droits de l'homme qui, dans son arrêt rendu le 25 octobre 2012 et notifié aux parties le 10 décembre 2012, dans l'affaire des massacres d'El Mozote et alentour v. El Salvador, a souligné que "l'impunité totale perdure car elle est protégée par la Loi sur l'amnistie générale pour la consolidation de la paix."

La Cour a également signalé que cette Loi enfreignait expressément les dispositions établies par les parties au conflit dans l'Accord de paix qui mit fin aux hostilités et est contraire à la Convention américaine des droits de l'homme étant donné l'absence d'enquêtes, de poursuites, de capture, de jugement et de sanctions prises contre les responsables des faits.


L'attaque avait été planifiée minutieusement pour détruire les archives de l'association Pro-Búsqueda : elle a détruit partiellement les locaux, endommagé des archives et le feu a consumé une pile de dossiers.

Trois dossiers concernaient une affaire en phase d'instruction devant la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de Justice du Salvador pour la disparition forcée de sept enfants au cours d'une opération militaire appelée la Guinda de mayo, menée en 1982 dans le département de Chalatenango.

L'attaque contre Pro-Búsqueda a eu lieu quelques jours avant la tenue d'une audience dans le cadre de cette affaire, qui était fixée au 18 novembre 2013, et à laquelle le ministre de la Défense, le général David Munguía Payés, avait été sommé d'assister par la chambre constitutionnelle, mais à laquelle il ne s'est pas rendu, et ce, pour la deuxième fois.

La séance faisait suite à trois demandes d'habeas corpus présentés en novembre 2012 par l'association Pro-Búsqueda, considérées comme faisant partie de la même affaire : la participation de l'armée aux disparitions forcées d'enfants dans le Chalatenango en 1982.

Selon l'enquête menée par Pro-Búsqueda, cette opération, à laquelle ont participé les bataillons de réaction immédiate Belloso et Atlacatl et la 4e brigade d'infanterie d'El Paraíso, a touché des villages et des hameaux de l'est du département de Chalatenango. Cinquante trois enfants ont disparus pendant l'opération, et une centaine de personnes, toutes civiles, des paysans non-combattants, y ont perdu la vie.

Aujourd'hui, l'association est parvenue à retrouver vingt enfants, devenus adultes, sur les cinquante trois disparus, et soutient les habeas corpus pour en retrouver neuf autres.

À la requête des demandeurs, la chambre constitutionnelle avait convoqué le 11 novembre les représentants actuels des forces armées. Les demandeurs veulent que le ministre de la Défense actuel, David Munguía Payés et celui de l'époque, José Guillermo García (condamné au civil aux États-Unis pour trois cas de torture); le chef actuel de l'état-major conjoint de la force armée, Rafael Melara, et celui de l'époque, Rafael Flores Lima (intimé par le Ministère public dans l'affaire des soeurs Serrano Cruz, dont s'occupe Pro-Búsqueda, et pour laquelle le Salvador a déjà été condamné par la Cour interaméricaine des droits de l'homme), aident à établir la vérité sur les disparitions et à retrouver les enfants.

Aucun représentant des forces armées ne s'étant présenté à la Cour, la chambre fixa une nouvelle audience le 18 novembre 2013.

"Nos collègues du département juridique ont déjà constaté que ce sont les archives contenant toutes les informations matérielles sur ces affaires qui ont été les plus endommagées, au point que le feu a consumé les documents papier", a regretté Esther Alvarenga, membre de l'équipe technique d'enquête de Pro-Búsqueda.

Un des dossiers renfermait l'enquête complète sur la troisième affaire ouverte auprès de la chambre constitutionnelle, concernant la disparition des enfants José Rafael Franco, Pastor, Gladis et Norberta Serrano Serrano, âgés de 5 à 11 ans.

Cette affaire est liée à l'opération "Tierra liberada" et à des faits survenus au lieu-dit "Rama Caída", municipalité de Nombre de Jesús, département de Chalatenango.

La population civile tenta de fuir l'opération militaire en cours, qui visait des civils, et après avoir entendu des coups de feu, la panique s'empara du groupe, et les enfants se séparèrent de leurs parents. Les noms des enfants n'apparurent pas sur les listes des morts émises par les forces armées. Les demandeurs exigent que ces enfants soient retrouvés.

Après l'attaque du 14 novembre, Pro-Búsqueda a demandé un délai supplémentaire pour présenter l'affaire, car elle a perdu une bonne partie de la documentation liée à l'affaire. Elle a demandé à la chambre constitutionnelle que l'affaire soit mise sous réserve, craignant pour la sécurité des témoins. L'audience n'a donc duré que trente minutes.


Toutefois, malgré l'évidence et en dépit du fait que, bien avant la destruction et la soustraction d'archives dans les locaux de Pro-Búsqueda, Tutela Legal avait été fermée alors qu'elle possédait un important stock d'archives sur ce genre de crimes, le ministre de la Justice, Ricardo Perdomo, a laissé entendre que les résultats préliminaires de l'enquête indiqueraient qu'il s'agit d'un problème interne à Pro-Búsqueda, à savoir le licenciement d'un employé.

Après ces déclarations, l'association a publié un communiqué, soulignant que "Au cours de l'attaque contre l'association Pro-Búsqueda, les assaillants ont privé de liberté et blessé trois personnes, ont bouté le feu aux installations, ont détruit et brûlé des équipements avec des informations de grande valeur. En plus des destructions, ils ont également soustrait des informations documentées sur des affaires de violations des droits de l'homme survenues pendant le conflit armé, parmi d'autres graves dommages occasionnés."

Elle informe également que "Les bureaux les plus endommagés sont ceux de l'unité Sensibilisation et organisation des familles. Des équipements neufs ont été détruits et brûlés et deux ordinateurs contenant le registre des victimes ont été emmenés. Dans l'unité juridique, les informations sur les affaires qui allaient être présentées prochainement sont parties en fumée, et deux ordinateurs contenant l'information électronique des cas documentés ont été emportés. Le bureau dans lequel se trouvaient les informations les plus précieuses sur les cas dénoncés a aussi été visé: les agresseurs ont déversé de l'essence et fait sauté un engin explosif afin d'y mettre le feu.

Heureusement, les trois personnes qui avaient été attachées ensemble ont réussi à se détacher, ce qui leur a permis d'éteindre le feu qui allait détruire les archives.

Les seuls documents administratifs et comptables réduits en cendres sont ceux qui se trouvaient sur les bureaux. Toutefois, un disque dur de cette unité, contenant des informations sur l'association, a été emmené.

Pro-Búsqueda dénonce également qu'après l'attaque perpétrée contre ses locaux, des employé(e)s se sont sentis poursuvis et observés par des personnes étranges et rapportent que leurs appels sont sur écoute et qu'ils ont été contactés par des personnes qui se faisaient passer pour quelqu'un d'autre.

Il faut ajouter à cela qu'une autre organisation des droits de l'homme a déclaré qu'elle aussi était observée et que des personnes rôdaient autour de ses installations. En fait, les organisations travaillant sur des affaires de violations des droits de l'homme survenues au cours du conflit armé font l'objet de menaces et d'intimidations.

Vu cette attaque, Pro-Búsqueda demande qu'une enquête objective soit menée pour que les responsables soient identifiés et mis à disposition de la justice ; qu'elle soit rapidement et opportunément informée des progrès de l'enquête ; que des mesures de protection soient prises pour les bureaux de Pro-Búsqueda ; et que les autorités compétentes tiennent compte des récentes actions commises contre des organisations des droits de l'homme au Salvador et mènent les enquêtes nécessaires."

La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), dans un communiqué officiel émis le 22 novembre "prie l'État de mener l'enquête sur les faits et de sanctionner les responsables matériels et intellectuels, ainsi que d'adopter d'urgence des mesures pour que ce genre d'attaques ne se répète pas.

La Commission prie instamment l'État de garantir la vie et l'intégrité des membres de l'association Pro-Búsqueda et d'assurer que ceux-ci puissent continer à développer leurs activités des droits de l'homme en toute sécurité."

Elle ajoute que:

    "L'association Pro-Búsqueda a joué un rôle essentiel dans la recherche d'enfants disparus pendant la guerre au Salvador. Son travail d'enquête durant toutes ces années a permis de rassembler des informations et de retrouver des dizaines d'enfants disparus et de les réunir avec leur famille, et par là même réétablir leur droit à la famille, à l'identité et à l'intégrité de la personne, entre autres. Tant la Commission interaméricaine que la Cour ont reconnu l'importance cruciale de son travail ainsi que des informations récoltées.

    Le travail des défenseurs des droits de l'homme est essentiel à la construction d'une société démocratique solide et durable, et ceux-ci jouent un rôle dans le processus d'instauration de l'état de droit et de renforcement de la démocratie. Les actes de violences, tout comme les autres types d'attaques à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme non seulement altèrent les garanties propres à chaque être humain, mais portent aussi atteinte au rôle fondamental qu'ils jouent dans la société et plongent dans la vulnérabilité toutes les personnes qui y travaillent. Ainsi, le taux d'impunité élevé pour les crimes commis contre des défenseurs des droits de l'homme se perpétue.

    Par conséquent, la Commission interaméricaine prie l'État de mener l'enquête sur les faits et de sanctionner les responsables. En ce sens, la CIDH suivra de près ces enquêtes et toutes les actions entreprises par l'État afin de remplir son devoir d'investigation, de jugement et de sanction des responsables.

    En outre, la Commission prie l'État du Salvador d'adopter de manière immédiate et urgente toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit à la vie et à l'intégrité de tous les membres de l'association Pro-Búsqueda, pour assurer la poursuite de leur activité de défense des droits de l'homme en toute sécurité et assurer l'intégrité des archives et du matériel appartenant à l'organisation.

    Par ailleurs, la CIDH souligne qu'il est important que l'État respecte et garantisse l'exercice du droit d'accès à l'information qui, puisqu'il constitue une partie fondamentale du droit à la liberté d'expression, est un droit de l'homme.

    L'accès à l'information est fondamental pour pouvoir poursuivre le travail crucial visant à établir la vérité sur les faits survenus pendant le conflit armé, ainsi que pour retrouver les enfants qui furent volés à leurs familles à cette période.

    Finalement, la Commission reconnaît et valorise le rôle important joué par l'association Pro-Búsqueda au Salvador dans le suivi d'affaires sur lesquelles la Comission et la Cour interaméricaine des droits de l'homme ont statuées, en-ce compris les arrêts émis par la Cour dans les affaires Gregoria Herminia Contreras et autres (affaire nš 12.517) et Ernestina y Erlinda Serrano Cruz (affaire nš 12.132), ainsi que le rapport de fond de la Commission dans l'affaire Rochac et autres (affaire nš 12.577), transmis cette année à la Cour."

Il semble évident que ce genre d'actions violentes est conforme au modèle d'impunité implanté au Salvador, confectionné grâce à l'élaboration juridique de l'Espagne, tout comme au Guatemala.

À la lumière des faits, il est incontestable que les archives probatoires de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre commis au cours du conflit armé, ont fait l'objet d'une opération planifiée et executée non seulement en toute impunité, mais aussi en toute immunité, dans le but d'empêcher l'exécution de l'arrêt de la Cour interaméricaine dans l'affaire des massacres d'El Mozote et alentour v. El Salvador, notamment la disposition suivante:

    "L'État doit assurer que la Loi d'amnistie générale pour la consolidation de la paix ne constitue plus jamais un obstacle à l'enquête sur les faits dont il est question dans cette affaire ni à l'identification, au jugement et à la sanction éventuelle des responsables de ceux-ci et d'autres graves violations des droits de l'homme ayant été commises au cours du conflit armé au Salvador."

Radio Nizkor, avec des informations fournies par l'Association Pour la recherche des enfants disparus au Salvador, le journal El Faro et la Commission interaméricaine des droits de l'homme.

Charleroi, 27 novembre 2013

[Traducción al francés de la versión original en castellano realizada por Radio Nizkor el 5 de diciembre de 2013]


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