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24may13

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Le Festival du film des droits de l'homme de Barcelone oppose son veto à la participation de Baltasar Garzón pour avoir dissimulé des actes de torture à l'Audiencia Nacional


Comme chaque printemps, Barcelone accueille le Festival du film des droits de l'homme. La dixième édition a eu lieu cette année du 16 au 26 mai, et aurait dû être présentée initialement par Baltasar Garzón Real. La projection du film documentaire La Tinta Negra, sur l'affaire Garzón et les crimes du franquisme, était également prévue.

Toutefois, après les plaintes insistantes d'organisations telles que la Coordinatrice pour la prévention et la dénonciation de la torture (Coordinadora para la Prevención y Denuncia de la Tortura), les organisateurs de l'événement ont décidé de faire marche arrière et d'opposer leur veto à la participation de l'ancien juge de l'Audiencia Nacional.

Baltasar Garzón Real

Le Festival du film des droits de l'homme, qui se partage chaque année entre Barcelone, New York et Paris, avait annoncé que l'édition 2013 ouvrirait dans les salles Gerona avec la projection du documentaire réalisé par Sebastian Arabia, La Tinta Negra, et "la présence exceptionnelle du personnage principal du film, le juge Baltasar Garzón, connu partout dans le monde pour sa lutte contre les violations des droits de l'homme".

L'invitation de l'ancien juge a provoqué la stupeur et la contestation de nombreux collectifs luttant en faveur des droits de l'homme et des libertés civiles, qui ne comprenaient pas comment un festival abordant ce thème, reconnu par l'UNESCO à travers la Coalition internationale des villes contre le racisme, pouvait accueillir une personne avec de tels antecédents.

Il faut dire que la Catalogne ne tient pas particulièrement en haute estime ce juge, où il est surtout connu pour des opérations telles que celle menée en 1992 contre des militants indépendantistes, surnommée "Opération Garzón", ou pour la détention et la torture de jeunes à Torà en 2003.

Les cas de torture qui ont été condamnés par les Nations Unies et par le Conseil de l'Europe et qui ont eu lieu sur des individus mis à la disposition du Tribunal central d'instruction dont il était titulaire à l'Audiencia Nacional, ne sont pas les seuls à mettre en question l'image bien travaillée de défenseur des droits de l'homme renvoyée par Baltasar Garzón.

Plusieurs organisations colombiennes dont font partie plusieurs communautés victimes de crimes d'État perpétrés au moyen d'opérations menées par des paramilitaires ou encore par les forces publiques, et vivant dans des zones de conflit armé, ont publié le 16 février 2012 une lettre de protestation au président colombien Juan Manuel Santos pour le poste de conseiller à la MAPP/OEA (Mission d'appui au processus de paix de l'OEA) attribué à Baltasar Garzón.

Dans leur lettre, ces communautés victimes de graves violations des droits de l'homme perpétrées par des agents de l'État, se sont opposés aux moyens illégaux utilisés par l'ancien juge Baltasar Garzón "pour mener des enquêtes et des poursuites pénales, comme l'a fait le DAS et comme le font les organismes de sécurité et des services secrets colombiens.

Elles affirmaient par ailleurs que: "Cela nous peine que ce soit Baltasar Garzón qui a approuvé dans un premier temps le processus de remaniement paramilitaire, appelé démobilisation, qui faisait partie de la politique de sécurité démocratique d'Álvaro Uribe Vélez, en disant que c'était un modèle de justice".

"Son rôle en tant que conseiller de la paix de la MAPP/OEA au sein de l'administration Santos n'a pas supposé un changement de direction dans ce processus. Aujourd'hui, les paramilitaires, avec la complicité des forces publiques, exercent le contrôle social et territorial pour tout ce qui concerne l'agro-industrie, les grands travaux d'infrastructure, les opérations d'extraction. Terrible situation qui se profile, alors que Baltasar Garzón, en tant que conseiller de la MAPP/OEA, n'a pas inclus dans ses recommendations l'accès des victimes à la vérité, la justice et la réparation."

À cela s'ajoute le rôle déterminant joué par l'ancien juge dans la conception et la défense de la "Loi sur la justice et la paix" en Colombie, une loi d'impunité concernant principalement les crimes graves commis contre les droits de l'homme par les paramilitaires.

En Espagne, la violation des droits de la défense lors des enregistrements des conversations entre des avocats et leurs clients s'est soldée par une condamnation de la Cour suprême espagnole qui l'a écarté du pouvoir judiciaire.

Dans la fameuse affaire des "commissions de New York", il a été accusé de corruption passive après avoir demandé et obtenu, en sa qualité de juge, des sommes d'argent importantes versées par des entreprises et des banques espagnoles pour l'organisation de conférences et autres événements à New York. L'affaire a été classée après un artifice de procédure mis en œuvre dans le cadre de la défense juridique d'Emilio Botín, président du groupe Santander, impliqué dans le payement des sommes d'argent au juge au moment où ce dernier, de retour de New York, classait une plainte déposée devant l'Audiencia Nacional contre le président de la banque Santander.

La défense de Botín a réussi à faire en sorte que la Cour suprême déclare que les faits soient prescrits. L'affaire a donc été classée, étant donné que la condamnation de Garzón pour ces faits aurait eu des conséquences pénales pour Emilio Botín.

Au cours de son séjour à New York, Baltasar Garzón n'a pas ménagé ses efforts pour impliquer tous les organismes de renseignements américains dans un observatoire ou centre international antiterroriste. Il a présenté une proposition en ce sens intitulée Terrorisme et sécurité: coordination et coopération.

Parmi les personnes contactées par le juge pour participer aux débats qu'il organisait se trouvait John Negroponte, Directeur du renseignement américain, tristement célèbre pour sa participation dans l'affaire "Iran - Contra" et son soutien aux campagnes d'extermination menées par l'armée argentine et la CIA au Honduras, au Salvador et au Guatemala dans les années 80. La preuve documentaire versée au dossier par les entreprises impliquées dans les payements, spécifiquement la CEPSA (compagnie espagnole de pétroles) et la banque Santander, le confirme.

Pour en revenir à la dixième édition du Festival du film des droits de l'homme de Barcelone, de nombreux collectifs se sont adressés à l'organisateur pour demander des explications et exiger le retrait de Garzón comme présentateur de l'événement, car ils considéraient sa présence inappropriée dans un festival axé sur les droits de l'homme.

Concrètement, la Coordinadora per la Prevenció i Denúncia de la Tortura a adressé une lettre le 30 avril 2013 à Toni Navarro, directeur du Festival, demandant à l'organisateur de reconsidérer l'invitation octroyée à l'ancien juge Baltasar Garzón pour qu'il préside la conférence inaugurale de l'événement, ainsi que la projection du documentaire dans lequel il joue, qui fait partie de la campagne d'image en sa faveur.

La Coordinatrice catalane contre la torture est une plateforme composée de quatorze entités qui travaillent pour les droits de l'homme et qui, plus particulièrement, dénoncent et préviennent la torture et d'autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle regroupe:

- Acción de los Cristianos para la Abolición de la Tortura (Action chrétienne pour l'abolition de la torture)
- Alerta solidaria (Alerte solidaire)
- Centro EXIL (Centre EXIL)
- Asociación Catalana para la Defensa de los Derechos Humanos (Association catalane pour la défense des droits de l'homme)
- Asociación Memoria Contra la Tortura (Association Mémoire contre la torture)
- Asociación Stop Balas de Goma (Association Stop aux balles en caoutchouc)
- Confederación General del Trabajo (Confédération générale du travail)
- Comisión de Defensa del Colegio de Abogados de Barcelona (Commission de défense du barreau des avocats de Barcelone)
- Comisión de Derechos Humanos del Colegio de Abogados de Girona (Commission des droits de l'homme du barreau des avocats de Gérone)
- Coordinadora Contra la Marginación de Cornellá (Coordinatrice contre la marginalisation de Cornellá)
- Justicia y Paz (Justice et paix)
- Observatorio del Sistema Penal y los Derechos Humanos de la Universidad de Barcelona (Observatoire du système pénal et des droits de l'homme de l'Université de Barcelone)
- Rescate (Sauvetage)
- SOS Racismo Cataluña (SOS Racisme Catalogne)

Dans sa lettre, la Coordinatrice catalane explique que la torture et les mauvais traitements étant encore une matière sur laquelle l'État espagnol doit faire des efforts, "nous sommes surpris que l'inauguration du Festival [...] se fera en présence de l'ancien juge Baltasar Garzón, personnage très controversé par la grande majorité des organismes de défense des droits de l'homme en Espagne pour différents motifs", entre autre le fait que "l'ex-juge Garzón a instruit plusieurs procès contre des gens ayant été victimes de torture, et il n'a non seulement rien fait pour enquêter sur les faits, mais il a en outre utilisé leurs déclarations pour formuler des accusations à leur encontre. Ce comportement revient à couvrir les actes commis par les tortionnaires."

Elle indique aussi aux organisateurs du Festival que "La Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg a condamné l'État espagnol en 2004 pour n'avoir pas enquêté sur les actes de torture dont ont été victimes les indépendantistes arrêtés en 1992 au cours de l'opération portant le nom de l'ancien juge: Opération Garzón".

La Coordinatrice ajoute que: "Malheureusement, la torture a été et reste une réalité ici, et l'Audiencia Nacional et ses juges ont toujours eu une responsabilité particulière en ce qui concerne la mise au secret des détenus accusés de terrorisme. L'ancien rapporteur spécial sur la torture à l'ONU, M. Theo van Boven, indiquait déjà en 2002 dans son rapport sur l'Espagne que la mise au secret était en soi une forme de torture et en même temps la pratique bénéficiant le plus de l'impunité."

"Nous ne voyons pas d'un bon oeil la reconnaissance de personnes dont les profils sont essentiellement médiatiques et vont à l'encontre des objectifs essentiels de la Coordinatrice pour la prévention et la dénonciation de la torture, qui depuis toujours montre du doigt le triste rôle joué par la magistrature dans le travail d'erradication de la torture", indique-t-elle.

Comme il ne pouvait en être autrement, les arguments des plaignants ont été entendus par l'organisation, qui, quelques jours avant le début du Festival, a annoncé que Baltasar Garzón ne serait pas présent à l'édition 2013 et que le documentaire centré sur son personnage et sur l'affaire des victimes du franquisme ne serait pas projeté.

Cette modification du programme a sans aucun doute permis de ne pas ternir la réputation du Festival, qui a mis à l'honneur cette année, entre autres, la "Plateforme des victimes de l'hypothèque" et le collectif "Stop aux balles en caoutchouc".

La décision prise par le cycle de cinéma des droits de l'homme organisé par Abycine et Amnesty International est différente: la projection de La Tinta Negra est prévue pour le 5 juin. Une décision similaire à celle de Barcelone serait souhaitable.

Le documentaire est produit par Off Cinema et distribué par Upcinema. Parmi les protagonistes, comme l'informe Upcinema sur son site web, l'on trouve Carlos Jiménez Villarejo, ancien procureur anticorruption, Carlos Slepoy ou encore José Antonio Martín Pallin (ancien procureur de la Cour suprême).

Carlos Jiménez Villarejo et José Antonio Martín Pallín sont connus pour leur contribution intellectuelle et leur soutien moral et médiatique à la Loi sur la mémoire historique, préparée et adoptée sous le précédent gouvernement socialiste comme une réponse politico-sociale au problème de l'impunité en Espagne et des crimes commis sous Franco. Cette loi ne dispose d'aucune valeur pénale et ne reconnaît pas juridiquement les victimes du franquisme, à tel point qu'elle n'accorde qu'un simple caractère archéologique aux restes des Républicains, et en général, aux restes des personnes assassinées dans le cadre de la persécution politique systématique mise en oeuvre durant la dictature.

Cette campagne creuse un peu plus l'état actuel des choses, qui n'est rien d'autre que la conséquence du manque de responsabilités éthique, morale et légale des groupes politiques parlementaires qui ont soutenu la Loi sur la mémoire historique, loi qui n'offre aucune solution législative aux principaux aspects de la question des victimes du franquisme, et qui laisse les victimes et leur famille sans aucune défense. Pis encore, cette loi cherche à les éloigner de l'histoire européenne commune, notamment des solutions qui ont été apportées en la matière dans des pays qui ont connu des régimes fascistes ou nationaux-socialistes

Carlos Slepoy Prada qui, selon des informations journalistiques, dirige la plainte pour crimes commis pendant le franquisme déposée à Buenos Aires, s'est activement et publiquement opposé, au cours de la procédure, à l'arrestation du capitaine de corvette de la Marine argentine Adolfo Scilingo - cela a été prouvé au début de l'instruction et plus tard lors de la phase orale du procès. Son arrestation a garanti la tenue de la phase orale du procès dans la procédure menée en Espagne ainsi que sa condamnation, qui est finalement intervenue. Carlos Slepoy Prada s'y opposait car il cherchait à empêcher Adolfo Scilingo de témoigner des agissements des collaborateurs de l'ESMA - École mécanique de la Marine, tels que Juan Alberto Gasparini, entre autres. Il a maintenu sa position jusqu'à la fin de la procédure.

Carlos Slepoy s'opposa durant toute la durée de la procédure à la représentation et à l'existence de victimes espagnoles de la dictature argentine, pour tenter d'empêcher qu'elles soient juridiquement reconnues et pour éviter la consolidation de la compétence des tribunaux espagnols.

Après l'annonce de la condamnation d'Adolfo Scilingo pour crimes contre l'humanité, il annonça dans le cadre de la procédure qu'il allait introduire un recours contre le jugement, et c'est ce qu'il fit effectivement (voir le recours en cassation devant la Cour suprême espagnole du 12 janvier 2006 ). Les pièces de qualification provisoire et définitive qu'il présenta reflètent son opposition à l'utilisation de la catégorie pénale de crimes contre l'humanité dans l'affaire Scilingo. Il ne fonde pas non plus sur le droit international la simple allusion qu'il fait à "génocide", qui fut l'un des motifs sur lesquels il basa, avec d'autres avocats représentant plusieurs parties de l'accusation, le recours devant la Cour suprême introduit contre le jugement pour crimes contre l'humanité.

À l'instar du juge Garzón au cours de l'instruction de l'affaire sur les crimes commis en Argentine, l'emploi de la catégorie de génocide par cet avocat durant le procès de Scilingo supposait un énorme risque, en termes strictement juridico-pénaux, pour deux raisons: a) La persécution et l'extermination d'opposants aux juntes militaires argentines, concrètement de personnes d'origine espagnole, ont été faites pour des motifs politiques, non repris dans la catégorie pénale de génocide. Un des deux éléments objectifs n'était pas réuni, b) Il n'existait aucune preuve valide qui permettait de conclure que le régime dictatorial argentin avait assassiné des gens pour des motifs de discrimination raciale, ethnique, religieuse ou pour appartenance à un groupe national, et pas pour des raisons politiques. Prétendre à l'existence d' "un génocide", comme ils l'appellent, équivaut dans ce cas à dissimuler les vraies raisons de la persécution et de l'extermination des victimes.

Maintenir cette position supposait, comme l'a analysé l'équipe juridique d'Equipo Nizkor, d'un côté, de vider de tout contenu la catégorie de crimes contre l'humanité et d'un autre côté, de garantir l'impunité des responsables en rendant impossible de réunir les deux éléments requis par le droit pour qu'il y ait génocide: un mens rea (intention) et un actus reus spécifiques.

Radio Nizkor a pour cette raison publié un éditorial en avril 2010, qui consistait en une note explicative de l'article sur la plainte déposée en Argentine, après des déclarations de Carlos Slepoy selon lesquelles "les familles des victimes de la dictature de Francisco Franco se présenteront à la justice argentine en s'en tenant à la juridiction universelle et déposeront une plainte pour génocide dans leur pays".

Cette note, exclusivement rédigée à partir de documents qui ont fait partie des causes judiciaires, répondait à l'époque à l'obligation morale d'informer les familles et les associations de victimes de la répression franquiste.

Les protagonistes du soutien au modèle d'impunité espagnol, dont la Loi sur la mémoire historique est totalement fonctionnelle, se rejoignent à nouveau dans cette campagne d'image. Mais pour cette édition du Festival du film des droits de l'homme de Barcelone, ils n'ont pas réussi à se jouer de l'éthique qui se doit d'accompagner le travail de défense et de promotion des droits de l'homme.

[Source: Rédaction Radio Nizkor, 24may13]

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